Ces dernières décennies, le monde fait face à de plus en plus d’épidémies d’origine virale (VIH/SIDA, Grippe aviaire, Ebola, SARS, MERS, Covid-19). Ceci a été le cas en particulier de l’Africain. Souvent nous y avons laissé beaucoup de vie. Nous en avons aussi gardé dans notre génome beaucoup de restes de matériel génétique viral. Nous avons également développé toute une ingénierie et un savoir-faire en santé publique.
Notre mode de développement nous a emmenés à briser certaines frontières biologiques avec le reste du monde animal mais aussi à réduire de manière drastique la biodiversité qui participait à contenir la virulence des virus. Nous, nous exposons et continuerons de nous exposer aux virus qui jusque-là étaient étrangers à notre écosystème. Notre réaction d’adaptation doit être à la hauteur de l’agression actuelle mais aussi anticipée sur celles à venir en agissant sur les déterminants biologiques et sociaux de la santé.
Nous avons certes une faible connaissance sur ce virus mais nous savons là où il est plus nocif. Nous pouvons alors être plus effectifs dans nos interventions de santé.
Nous parlons souvent de la résilience des Africains et des Sénégalais en particulier. Cependant, ne confondons pas résilience et coping par défaut. La résilience nous ne la saurons qu’au décours de la crise car elle implique une capacité à absorber un choc et à rebondir au décours. En d’autres termes, sortir d’une crise avec plus d’atout et de développement dans le domaine impacté par la crise.
En ce qui nous concerne, elle passera par des ressorts individuels, communautaires, culturels mais surtout l’organisation et la communication de crise qui permettent l’adhésion et la mobilisation communautaire pour un enjeu sanitaire.
Nonobstant les chiffres de contagion, qui semblent refléter plus la faiblesse du dépistage qu’un profil épidémiologique du virus au Sénégal, la jeunesse de notre population, les expositions antérieurs à d’autres virus, une peut-être plus faible virulence du virus, un système sanitaire assez performant et un niveau relatif de mobilisation communautaire semblent contribuer à déterminer un profil particulier de la transmission.
Si les chiffres égrenés tous les jours reflètent vraiment le niveau de la transmission alors on peut affirmer que le virus est devenu moins virulent pour une raison ou une autre ou qu’il existe déjà une certaine immunité collective à même de ralentir la transmission. Car il n’y a pas une spécificité sénégalaise dans la riposte.
La seule jeunesse de la population pourrait expliquer le nombre limité de cas graves mais devrait au contraire participer à une plus grande transmission du virus et le développement rapide d’une immunité collective.
En attendant de disposer d’un vaccin capable de conférer cette immunité, certains pays ont développé une riposte qui se base sur la facilitation de l’immunité collective et n’ont l’aplatissement forcé de la courbe épidémiologique. L’objectif étant de protéger les plus vulnérables et être plus résilient à des vagues ultérieures de contagion, si pas de vaccin d’ici-là (ce qui est assez probable). Les mesures barrières et de cantonnement ne peuvent être que temporairement efficaces et très difficiles à soutenir dans la durée. Seulement, avec un Ro à 2.5 il faudra au moins 60% d’immunisation pour y arriver.
La modélisation mathématique de la transmission se fait en tenant compte de trois paramètres à savoir : la capacité du virus à se propager d’une personne à une autre, la dynamique de la propagation et la sensibilité de la population exposée. Partant des deux derniers critères, il serait intéressant de recalculer le Ro en Afrique. Aujourd’hui, toutes les ripostes sont basées sur un Ro calculé dans d’autres contextes environnementaux et épidémiques.
Le défi sanitaire, en l’absence de vaccin, n’est pas tant d’isoler la population entière par rapport au virus ou de se battre contre des chiffres de contagion que nous ne maitrisons pas, mais plutôt de protéger les personnes avec un risque vital important si atteint de covid-19, de réduire la durée et l’impact de la crise engendrée par la pandémie et la riposte.
Toute la communauté devrait protéger de manière généreuse et volontaire ceux qui sont le plus à risque du fait de leur âge ou d’une possible comorbidité. La mobilisation sociale et le discours qui la soutient devrait aider à créer cet esprit de dépassement de soi pour une cause supérieure. La mobilisation et le monitoring familial et communautaire par rapport au port du masque et gestes d’hygiène en général sont souvent des plus efficaces que les injonctions et la moralisation.
Les pays du Nord ont perdu dans cette crise un bon nombre de leurs seniors. Nous devons protéger les nôtres ainsi que toutes celles et ceux qui ont besoin d’être protégé(e)s. Il s’agit pour la jeunesse surtout et pour tous ceux qui se portent bien de protéger les personnes vulnérables à travers des mesures certes contraignantes mais simples. La lutte contre cette infection appelle à notre altruisme individuel et collectif. Il ne s’agit pas seulement de se protéger mais surtout, de protéger l’autre plus vulnérable que soit.
En attendant l’installation d’une immunité collective provoquée ou non, ou de la disparition spontanée du virus, il me paraît important de :
- Se rappeler que la gestion de toute crise se fait de manière holistique et effectivement intégrer le personnel soignant, les artisans, les leaders communautaires, les universitaires, les « bay » et « yayfalls », les socio-anthropologues, les médiateurs communautaires, les étudiants et encore plus, de manière constructive et transparente. Transparence et alignement sont les maîtres mots d’une bonne gestion de crise.
- Augmenter significativement le volume du dépistage afin de mieux détecter, et isoler. Que l’on utilise un modèle de confinement (total, partiel, ciblé, mobile, etc.) ou de non-confinement, tous les experts de la riposte épidémiologique s’accordent à dire qu’il faut tester, tester et tester, isoler les cas et les contacts, et veiller à l’application des gestes dits barrière. Ceci se fait mieux avec une bonne mobilisation « salutogenesique » de la communauté et la préservation tant que possible des ressources communautaires et individuelles (sociales, émotionnelles, spirituelles, économiques et physiques).
- Développer une communication stratégique et changer quelques bruits sémantiques dans la communication avec les populations. Le déni et la négation d’un facteur de perte de normalité sont des étapes normales de résilience en ce sens qu’ils sont une forme de résistance psychologique à cette perte. Il faut savoir utiliser l’énergie que cet état psychologique dégage et non la confronter de manière stigmatisante et culpabilisante.
S’il est vrai que le personnel médical et les décideurs publiques sont dépositaires d’une partie du savoir une autre partie est communautaire.
Dans une crise, aucune des parties ne peut gérer unilatéralement la situation. Il est alors important de se poser la question du comment impliquer l’autre.
En même temps que les populations écoutent les experts et décideurs publiques, il est important que ces experts et décideurs écoutent également avec humilité les populations. C’est aussi pour cette raison qu’il est important d’associer pleinement dans la riposte les médiateurs communautaires, les experts du comportement humain et les communicateurs.
Les stratégies de communication gagneraient à être « empowering » et surtout ne pas déposséder les populations de leurs mécanismes de contrôle contre la perte ou l’adaptation à la nouvelle normalité. Lorsque les populations seront acteurs des politiques de sante publiques alors le pari sera gagné.
Par rapport à la « distanciation sociale », il me semble plus opportun, dans nos réalités sociales, de changer de sémantique et de parler plutôt de « distanciation physique dans l’engagement social ». La « distanciation sociale » est une crise à la crise en ce sens qu’elle introduit une « normalité » anxiogène. Nous avons besoin de soutenir et protéger un pan de la communauté rendu vulnérable par la pandémie et la riposte. Le « nit, nitaygarabam » prend tout son sens dans cette crise. C’est collectivement que nous devons traverser la crise et mettre en place les barrières aux adversités à venir et qui ne manqueront pas. Dans les moments de crise, le soutien social est crucial et doit être valorisé.
- Faciliter et encadrer le retour des sénégalais de la diaspora à travers des corridors humanitaires. Il est normal qu’ils veuillent rentrer. Ils essaieront encore plus lorsque les frontières seront ouvertes avec quelques porteurs asymptomatiques. Faciliter leur retour est une manière de prévenir la diffusion du virus au-delà de nos moyens de détection et de suivis des cas.
- Transformer les comportements dans le court et moyen terme par effet d’entrainement et renforcement positif du comportement souhaité. Pour combattre Ebola, les dispositifs de lavage des mains et de prise de la température étaient si présents dans la communauté et leur bon usage si démontré par les multiplicateurs communautaires que le comportement souhaité était devenu la « mode ». Si nous voulons que les gestes barrières et en particulier le bon port du masque soit adopté par la majorité des Sénégalais, il faudra en faire une « mode » et non une contrainte. Cette mode devrait être renforcée par le discours altruiste de protéger ceux que nous aimons et voulons protéger.
- Mettre en place un réseau de relais communautaire en utilisant la formidable énergie qui se dégage un peu partout et qui tend à amplifier le discours médical sou à le nier. Des réseaux de relais communautaires ont déjà commencé à se former spontanément (étudiants en médecine et Pharmacie, étudiants des autres facultés, les relais de la Croix-Rouge, les pharmaciens, etc). Certains réseaux de relais existent depuis des crises antérieures. Ils demandent à être réactivés et structurés pour s’aligner à l’effort national à travers une organisation pyramidale de coordination de la riposte.
- Enfin, faire sortir l’hôpital de ses murs et rendre le personnel soignant plus proactif en se rendant dans les communautés et familles physiquement, en ligne ou au téléphone, pour éduquer, soutenir, monitorer et soigner. Le discours médical doit être adapté à la compréhension des populations. La sémantique compte ! Si la terminologie « cas communautaire » a un sens épidémiologique il ne fait que créer une angoisse supplémentaire et confusion chez le profane. On a l’impression, avec sa vulgarisation, que le Sénégal fait face à deux dangers : coronavirus et cas communautaires. A la fin de la journée, ce qui compte le plus c’est la compréhension de la population. Alors vulgarisons des mots qui donnent sens à chaque sénégalais et qui déclenche en lui le reflexe souhaité sans créer de panique. Pour ce faire, le corps médical et les décideurs doivent se faire aider de communicateurs, dans leur communication de crise et surtout démontrer qu’ils ou elles appliquent les mêmes règles.
Nous devons définir une stratégie de communication à même de mobiliser la communauté à se focaliser à la protection des vulnérables et prévenir des vulnérabilités secondaires.
Pendant que la crise et la riposte sont en cours, il est important de déjà penser à la stratégie de sortie de crise mais aussi au développement post-crise synonyme de résilience.
Garder les gens sains et non les empêcher d’être malades est le défi fondamental et nous pouvons collectivement y arriver.