Dans son adresse à la nation du 3 avril 2020, le Président Macky Sall insistait sur la nécessité de la mise en place d’un Comité de pilotage composé de représentants de l’Etat, de l’Assemblée nationale toutes sensibilités confondues et de la société civile afin de superviser le Fonds «Force-Covid-19» pour ainsi garantir les conditions de transparence et d’inclusion. Cet appel du chef de l’Etat a suscité un élan de solidarité nationale instaurant ainsi une confiance au sein de toutes les parties prenantes de la Nation sénégalaise sanctionné par le vote à l’unanimité de la loi d’habilitation, autorisant le gouvernement à légiférer par ordonnance.
Malheureusement depuis quelques jours, le débat est dominé par les questions d’amateurisme et de transparence dans l’attribution des marchés et de la distribution de l’aide alimentaire au profit des citoyens les plus démunis. En aucun cas, cette crise sanitaire inédite dans l’histoire de l’humanité ne doit être une source d’enrichissement de prédateurs économiques ou une porte ouverte à la gabegie. Faut-il le rappeler, si la crise sanitaire semble pour le moment maitrisée, c’est grâce au patriotisme et au professionnalisme de nos vaillants médecins et personnel de santé, faisant preuve d’une forte résilience.
Cependant, avec la montée des cas communautaires, il est prédit que notre pays, comme tant d’autres du continent africain surtout, risque d’être sévèrement atteint dans tous les secteurs. Ce qui rend le défi beaucoup plus grand qu’inquiétant. C’est dire qu’il est plus qu’important de gérer cette crise avec intégrité et patriotisme compte tenu de ses conséquences incalculables pour le moment et susceptibles de bouleverser nos vies.
L’heure n’est pas à la manipulation, à la suspicion ou à la gabegie ; la santé des citoyens est la supra-priorité. L’Etat d’urgence, une des réponses gouvernementales, requiert dans sa gestion l’anticipation, la réactivité et la transparence sur toutes les décisions prises ; l’information sur tout le processus lié à la lutte contre la pandémie dans le seul but de protéger les populations. Par contre, cet Etat d’urgence ne doit pas rimer avec absence de transparence, de reddition des comptes ou d’abstraction des règles de bonne gouvernance et d’intégrité en général. Il ne faudrait surtout pas que la gestion de la crise du Covid-19 renforce les inégalités sociales par une distribution nébuleuse des aides ou un accès inéquitable aux services sociaux de base.
Faut-il le rappeler, les crises sont des moments opportuns pour éprouver les capacités de résilience d’un Peuple, mais bien plus jauger le niveau d’engagement citoyen, de patriotisme et surtout de la primauté de la Nation sur l’Etat. C’est dire que les décisions prises par les autorités, notamment le chef de l’Etat, doivent être ouvertes, informées et transparentes. C’est en ce sens que toute la Nation sénégalaise, dans son écrasante majorité, et les forces vives avaient salué l’initiative du chef de l’Etat et fait bloc autour de lui. Il ne faut donc surtout pas altérer cet élan de solidarité et de patriotisme mobilisé pour une réponse collective et ferme à la pandémie.
L’Etat d’urgence ne doit pas être une funeste opportunité de faire fi de ces règles même s’il est clair qu’une décision participative est toutefois difficile en temps de crise de cette envergure. C’est pourquoi il faut saluer et consolider la récente décision du président de la République de matérialiser le Comité de pilotage annoncé par le chef de l’Etat tel qu’annoncer dans son adresse à la Nation du 3 avril 2020. Ce Comité aura au moins à atténuer autant que possible les risques de malversations en surveillant, contrôlant et supervisant la mise en œuvre de toutes les décisions des pouvoirs publics.
Le débat autour de l’attribution de marchés et de la distribution de l’aide alimentaire constitue une opportunité pour nos gouvernants de renforcer les moyens de contrôle et de contre-pouvoirs attribués au Comité, mais aussi communiquer plus clairement sur ses actions. Il nous faut favoriser les bonnes pratiques capables de renforcer l’élan de confiance, de solidarité et de cohésion nationale, éléments essentiels pour répondre efficacement aux besoins des citoyens.
Au moment où le coronavirus survient en temps d’agitation sociale et nous dicte un changement drastique de comportement, un avenir incertain et la peur, il importe de construire un partenariat collaboratif entre nos dirigeants et nos communautés pour surmonter cette crise sanitaire aux conséquences économiques incalculables. Le gouvernement, en mettant à disposition un financement d’urgence de 1 000 milliards de F Cfa, se doit d’intensifier ses opérations en mettant le focus sur les besoins prioritaires en matière de santé et sur la protection des ménages les plus démunis. Dans notre situation actuelle avec la pandémie du Covid-19 en cours, le problème central de gouvernance consiste à amener les gens à se détourner de leurs routines normales au nom d’objectifs de santé publique.
Pour redonner espoir à nos citoyens, nos gouvernants doivent apprendre à changer. Après tout, avant que le virus ne se déclare, le débat était dominé par la politique délétère symbolisée par des jeux d’alliances qui se font et se défont au gré des intérêts du moment des acteurs. Pour le citoyen lambda, «politique et mensonge portent le même pagne». Avec le Covid-19, le gouvernement bénéfice de la confiance des populations et joue la carte de la crédibilité de l’Etat. Nous savons tous que le manque de transparence est encore plus préjudiciable lorsque les systèmes sont exposés à des menaces graves comme la pandémie actuelle ; d’où la nécessité d’un nouveau contrat social. Le Covid-19 est aussi une opportunité de construire un nouvel avenir basé sur une plus grande confiance de la société face à l’Etat, un impératif pour un processus de changement social. Toute rupture de confiance conduirait à des pratiques contre-productives au sein de nos communautés. Enfin, il est surtout indispensable de faire prendre conscience de la valeur des biens publics. Après tout, la corruption résulte en partie d’un manque d’appréciation du bien commun. Le coronavirus est égalitaire et ne cède pas aux fausses allégations. Il attaque tout le monde indépendamment de la classe économique, de l’appartenance politique et du groupe social ou religieux. L’énormité de la situation provoquée par la pandémie du Covid-19 oblige surtout nos décideurs politiques à réfléchir sur la nature et l’efficacité de nos systèmes de gouvernance. Au-delà du Covid-19, nous nous devons d’être les protagonistes de notre propre avenir, nous devons éviter la mentalité de la dépendance et de la coercition pour épouser celle de l’auto-développement coordonné où le citoyen est au cœur de l’action.
Après tout, un Peuple qui exige de la part de ses gouvernants le respect des règles de bonne gouvernance en cette période de pandémie est un Peuple de citoyens informés et engagés, conscients de leurs droits et surtout animés du mieux-être. Comme le dit si bien une sagesse populaire : «Quand vous perdez la confiance du Peuple, même si vous dites la vérité, on ne vous croit plus.» C’est aussi sous cet angle qu’il faut apprécier toute cette exigence de transparence, de reddition des comptes et d’inclusion. Profiter du bien public en cette période de pandémie est pire que le Covid-19 et pourrait-être assimilé à de la haute trahison. Nous ne vaincrons le Covid-19 que lorsque nous respecterons toutes les règles collectives, y compris la gestion vertueuse et efficiente du fonds alloué à cet effet. Le Covid-19, aussi tragique qu’il soit, ouvre également des opportunités.
Doudou DIA
Directeur exécutif
de Gorée Institute