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La Faillite De La RÉponse Communautaire Dans La Lutte Contre Le Covid-19

Les crises sanitaires ont façonné l’évolution de l’humanité. Celle présente, liée à l’épidémie de COVID-19, ne dérogera pas à la règle en ce qu’elle  montre les limites du positivisme et du rationalisme qui fondent les politiques néolibérales et les courants scientifiques dominants qui gouvernent le monde ; et remet en cause notre rapport au monde.

Cependant, chaque crise, qu’elle soit sanitaire ou autre, fournit des leçons pouvant servir à prévenir et gérer de futures crises si tant est qu’on puisse les déchiffrer.

Dans un texte récemment publié, le Dr Amadou Aly Pam nous rappelle que la quarantaine, le confinement, les cordons sanitaires, la surveillance policière et les vaccinations forcées ont été les principales mesures de lutte contre les épidémies de peste, de fièvre jaune et de choléra qui ont frappé le Sénégal pendant la période coloniale. Il importait, davantage pour les autorités coloniales, de protéger les populations françaises grâce à des mesures d’endiguement des populations indigènes considérées comme vecteurs de maladies.

Face aux résistances, refus et dissimulations qu’ont entrainé ces mesures par contrainte forcée, le colonisateur a dû recourir en 1906 à l’utilisation d’Auxiliaires Indigènes de Santé qui sont des intermédiaires entre les services de santé coloniaux et les populations, avec pour mission «de prendre part dans les soins à donner aux indigènes, de pénétrer dans leur vie intime, de gagner leur confiance et d’acquérir sur eux l’influence sur laquelle nous comptons pour faire pénétrer chez les populations noires les premières notions de l’hygiène», tel qu’il ressort d’une lettre du Gouverneur Général de l’époque.

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L’on retrouve les mêmes mesures administratives et de police dans la présente gestion du COVID-19 au Sénégal, à part les vaccinations forcées qui ont laissé la place à une gestion des cas par un personnel de santé dévoué, compétent et empathique qui ne soigne pas surtout pour savoir, mais d’abord pour guérir. Cependant, nous ne pouvons pas manquer de nous interroger sur la prééminence des mesures administratives et policières  dans la stratégie de prévention du COVID-19 qui ont entrainé des réactions de défiance (exemple des jeunes de la Médina), de refus, de déni et de dissimulation.

Malheureusement, nous constatons, pour le déplorer, l’absence d’ancrage communautaire des stratégies de communication pour la prévention du COVID-19 ajoutée, à une cruelle absence d’engagement communautaire devant permettre de déboucher sur la réponse communautaire tant attendue. Il s’agit-là d’un véritable paradoxe, car nos villes et villages regorgent de comités de santé (devenus comités de développement sanitaire) et de Comité de Veille et d’Alerte Communautaire (CVAC) ; et disposent de milliers d’agents de santé communautaires ou de relais polyvalents, de milliers de leaders communautaires qui, malheureusement, sont tous aux abonnés absents dans la prévention du COVID-19. Seules quelques bajenu gox se font entendre mais de  manière isolée. Les autorités administratives et les maires ont supplanté les leaders communautaires qui sont, ô combien utiles, dans la mobilisation communautaire.

Les CVAC constituent la grande déception dans la mesure où leur vocation première, comme l’indique l’acronyme, est de jouer un rôle de veille et d’alerte en cas d’épidémie.  Donc ils étaient tout à fait indiqués pour catalyser et porter la réponse communautaire qui fait tant défaut dans la lutte actuelle contre le COVID-19. Cette incongruité est à mettre sur le compte de l’approche communautaire des projets de santé basée sur la participation en tant que moyen pour atteindre leurs objectifs de santé, plutôt qu’une participation habilitante comme processus qui peut favoriser l’empowerment, compris comme une capacitation en termes d’apprentissage de l’autonomie, un accès à la dignité et à la responsabilité, et une prise de contrôle de leur propre vie de la part des populations.

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Il est à déplorer que les CVAC et autres comités ne disposent pas d’une réelle autonomie, obligés qu’ils sont de dépendre de la perfusion financière des projets pour disposer des perdiem qui motivent la participation de leurs membres ; et de répondre à leur injonction de participation. Il s’agit-là d’un véritable gâchis !

Une des leçons à tirer de la pandémie du COVID-19 est que les projets de santé, financés à coup de milliards, devront nécessairement revoir leurs approches communautaires et leurs stratégies de communication pour le changement social et comportemental, coûteuses et inefficaces car trop linéaires, dirigistes, messagistes et centrés sur les individus en ignorant le système culturel dans lequel ils baignent.

Dr Mamadou Diaw est spécialiste en engagement communautaire







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