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Alioune Diop, La Grande Ombre Des LumiÈres Transafricaines

 » Il y a 40 ans Alioune Diop s’éteignait à Paris. Que le voile de l’oubli ne tombe pas sur sa mémoire « …

Ces mots simples et intenses reçu aujourd’hui de l’une des filles du défricheur de talents et organisateur de l’intelligentsia transafricaine que fut Alioune Diop, nous rappellent à l’impératif de mémoire et au devoir de reconnaissance envers un homme auquel nous devons tellement d’éblouissement.

Dans  » Les précurseurs de Kafka « , un essai d’archéologie du savoir, Jorge Luis Borges identifie les figures qui ont rendu possible l’éclosion du génie de Prague. Quiconque entreprendrait dans le paysage intellectuel de l’Afrique d’après la seconde guerre mondiale une rétrospective similaire, croiserait les pas de ce meneur d’hommes à presque toutes les intersections. Les grandes dates qui jalonnent le parcours des clercs africains sont liées au fondateur de la Revue puis des éditions Présence Africaine.

En fait de présence, la silhouette de Alioune Diop fut de tous les rendez-vous de la pensée. Initiateur à Paris puis à Rome, avant les indépendances, des premier et second Congrès des écrivains et artistes noirs en 1956 et 1959, il inspira en 1966 le Festival Mondial des Arts Nègres qui se tînt à Dakar et vit triompher les princes du verbe que furent Léopold Sédar Senghor et André Malraux.

Métronome de la circulation des idées, il favorisa avec le concours de la trinité de la négritude (Césaire, Senghor, Damas), le bouillonnement du Paris Noir sous l’influence du mouvement Harlem Renaissance. Alioune Diop stimula les rencontres entre les plumes du Continent et celles d’outre-atlantique à partir de son carrefour parisien. L’écrivain étasunien Richard Wright appartient à cette déferlante, cette vague prometteuse de lendemains enchanteurs.

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Ce hub fut le foyer de la protestation morale des grandes voix de l’émancipation et des savoirs ethnographiques endogènes. Fédérateur, il faisait cohabiter des sensibilités aussi hétéroclites que celles de Léopold Sédar Senghor et de son cadet Cheikh Anta Diop.

Le Congrès de la Sorbonne réunissait les Haïtiens Jean Price-Mars, Jacques-Stephen Alexis, René Depestre et l’Ivoirien Bernard Dadié pour lequel ce raout constitua une sorte de révélation de l’interchangeabilité des situations de domination.

Dadié publia plus tard  » Iles de tempête « , un drame auquel l’île magique, tient lieu de décor historique. Jacques-Stephen Alexis, auteur chez Gallimard de  » Compère Général Soleil « , développa dans les colonnes de la Revue Présence Africaine sa théorie du réalisme merveilleux. Dadié publie en 1959 chez Présence Africaine une de ses chroniques sur les grandes métropoles, « Un Nègre à Paris « . Sur Rome il consigna également des notes de voyage et de curiosités qu’il publia en 1969 par l’entremise de l’éditeur qui fut un ami bienveillant. C’est le sujet de sa chronique citadine,  » La ville où nul ne meurt « .

Protégé de Abdoulaye Sadji avec lequel il avait milité au cours de ses années dakaroises au Comité d’études franco-africaines et au Rassemblement Démocratique Africain (RDA) de 1945-1946 à son retour en Côte d’Ivoire en 1947 pour rejoindre la section ivoirienne du RDA, Dadié doit à ce compagnonage et à ce bouillon de culture la transposition littéraire du patrimoine de l’oraliculture, celui des contes.

Maximilien Laroche et Laennec Hurbon ont montré dans leurs travaux sur les cultures populaires, la prégnance des contes de Bouki et Malice, la version haïtienne des fabuleuses histoires ouest-africaines de Bouki l’hyène et Leuk le lièvre, dont Senghor et Sadji sont les plus célèbres passeurs. Alioune Diop a fait éclore le talent littéraire de Dadié autant que Pierre Seghers et Gabriel D’Arboussier. Senghor l’avait pressenti en 1944 à Dakar sans que cela ne se concrétise par une publication.

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Il y aurait tellement à dire sur Alioune Diop et sur l’aventure séminale de Présence Africaine !

Avant le début du confinement je m’étais rendu Rue des écoles devant la grille close de la librairie, sur les traces des deux poètes dont la médiation m’accompagne (Dadié, Senghor) pour m’imprégner de cette ambiance de l’immuable quartier latin.

À l’heure de repenser d’un point de vue prospectiviste l’Afrique d’après les hégémonies… je songe à ces clercs épris de fraternité universelle, qui n’ont pas hésité à interpréter le monde à travers un idéal de justice, de dignité, de liberté retrouvées.

Honneur à Alioune Diop auquel Frédéric Grah Mel consacre une très instructive biographie aux Presses Universitaires de Côte d’Ivoire (PUCI) : « Alioune Diop le bâtisseur inconnu du monde noir « .







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