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HÉros Invisibles

Je le confesse, j’ai un faible pour les héros ordinaires. Ceux qui n’attirent jamais la lumière des projecteurs. Même dans les compétitions sportives, j’ai une sympathie particulière pour les petites équipes, les petits poucets comme on les appelle. Lors d’un récent entretien, Coumba Touré, une militante des droits humains, me racontait cette anecdote. Au musée de Selma, une ville d’Alabama (États-Unis), dédié aux héros de la lutte pour les droits civiques, des anonymes ont collé sur le mur, aux côtés des effigies de Martin Luther King et autres célébrités, des étiquettes avec la mention « I was there » (j’étais là). En effet, quand on parle des grands événements historiques, les noms qui sortent, que tout le monde connait, c’est Martin Luther King, Malcolm X, Nelson Mandela… Mais pour que les choses se passent, il a fallu l’apport inestimable de beaucoup de gens. Des « géant(e)s invisibles » tombés à jamais dans l’oubli.

De la même manière, quand on parlera, dans plusieurs décennies, de la pandémie à coronavirus, seuls quelques noms seront mentionnés dans les livres d’histoire : Moussa Seydi, Abdoulaye Bousso… Ailleurs dans le monde, on citera Anthony Fauci (directeur de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses aux États-Unis) ou le désormais célèbre docteur Didier Raoult en France. Ces figures de proue, adulées par le peuple et qui occupent le devant de la scène médiatique en cette période de crise, ont sans doute du mérite. Beaucoup de mérite ! Ils sont en première ligne dans la lutte contre la maladie. Ils coordonnent et orientent la riposte. On ne peut que se réjouir de voir la jeunesse s’identifier à ces nouvelles figures symbolisant une certaine méritocratie en lieu et place des stars du « Lmd » (lutte, musique, danse). Encore que, contrairement au personnel médical pour qui le titre de héros n’est franchement pas usurpé en ce moment, certaines célébrités sont purement des fabrications médiatiques.

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Toutefois, je dois avouer que je suis un peu déçu de constater que la presse, de façon générale, parle peu des infirmières, des aides-soignantes, des brancardiers, des ouvriers du service technique, des lingères, des hygiénistes. Bref, de tous ces « rouages modestes » de la chaîne hospitalière. Pourtant, cette « armée des ombres », les petites mains de l’hôpital, comme on les appelle, sont au plus près du « front ». Dans un autre temps, puisqu’on est « en guerre », on aurait parlé de « chair à canon ». Considérés comme n’étant pas un « rouage essentiel », ils ne sont pas mis en avant dans cette guerre. Ils ne retiennent pas l’attention des médias et du public. En France, le journal « Le Monde » a eu l’heureuse initiative de créer une rubrique, « Journal de crise des blouses blanches », pour donner la parole à des personnels soignants afin de raconter leur quotidien professionnel au cœur de la tempête. En dépit de leurs difficiles conditions de travail, ils montent chaque jour au front, parfois la peur (de chiper le virus) au ventre.

Chez nous, on touche du bois, la pandémie a fait, pour le moment, peu de victimes ; aucune dans les rangs du personnel de santé. Ailleurs, celui-ci a payé un lourd tribut. Particulièrement chez les infirmières qui sont en contact direct avec les malades. Il ne faut pas les oublier dans l’hommage unanimement rendu – à juste titre – au personnel médical en ce moment. J’aurais été directeur d’un prestigieux magazine, comme « Time », j’aurais choisi comme personnalité de l’année une infirmière anonyme en couverture.

Certes, il faut rendre à César ce qui lui appartient. Mais César n’a pas franchi seul le Rubicon. Napoléon, non plus, n’a pas mené seul la campagne de Russie. Il était accompagné d’une armée composée de milliers d’hommes, dont beaucoup y ont laissé la vie. On rapporte même que ce sont des sapeurs anonymes qui sauvèrent Napoléon « le petit » (clin d’œil à Hugo) lors de cette fameuse campagne de Russie en bâtissant un pont dans les eaux de la Bérézina. Qui connaît aujourd’hui les noms de ces hommes ? Personne ! Ils sont réduits à un simple nombre dans les livres d’histoire. Pourtant, ils ont bâti la gloire de l’Empereur au prix de leur vie. C’est normal, me diront certains. C’est la sélection naturelle de l’Histoire, qui ne retient « que les grands hommes », diront-ils. Mais l’Histoire est souvent injuste. Et c’est aux historiens du présent que nous sommes de corriger cette anomalie.

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