« Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que cela soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils ne veulent pas entendre » : ces mots, d’une si excitante pertinence, sont du célèbre écrivain anglais Eric Arthur blair dit Georges Orwell repris autrement par l’ancien Président français François Mitterrand qui faisait observer à ceux qui aujourd’hui feignent de l’oublier que « tout pouvoir a besoin de contre-pouvoir ».
Ce contrepouvoir ne s’acquiert que dans un champ vertueux de Liberté, une liberté acquise au forceps au prix de sacrifices de générations malmenées par des pouvoirs politiques autoritaires et tortionnaires, totalement imperméables à la critique et à la contradiction. Ce combat pour la liberté du journaliste et la promotion des diversités est toujours au cœur des enjeux du moment. C’est la raison pour laquelle nous, journalistes, considérés dans une lointaine époque — aujourd’hui révolue ? — comme animateurs d’un « quatrième pouvoir », ne devons pas nous priver de célébrer, certes différemment, ce 3 Mai, journée internationale de la liberté de la presse, en ces moments de grisaille oppressante de notre vie trépidante ponctuée par les tristes cliquetis du Coronavirus. Oui, il faut célébrer cette journée en nous posant un peu pour aborder quelques questions qui fâcheraient certains.
1. Peut-on parler d’entreprise de presse au Sénégal ?
2. Les journalistes sénégalais sont-ils bien formés ?
3. Sont-ils dans des conditions psychologiques, financières et matérielles pour exercer pleinement leur mission ?
4. Les journalistes sont-ils respectueux des codes d’éthique et de déontologie de leur profession ?
5. En clair, la presse sénégalaise est-elle sérieuse ? Crédible ? Peut-on lui faire confiance ?
6. Est-elle indépendante ? En a-t-elle les moyens ?
7. Les journalistes femmes sont-elles bien représentées aux postes de responsabilités ?
8. La presse est-elle bien régulée ? Doit-elle être régulée ? Peut-elle être régulée ? Et comment la réguler ?
9. Les organes de régulation, le CNRA (Conseil nationale de régulation de l’audiovisuel), d’autorégulation, le CORED (Conseil pour le respect de l’éthique et de la déontologie) jouent-ils leur rôle ?
10. Les réseaux sociaux peuvent-ils cohabiter avec la presse traditionnelle ?
11. quels modèles de presse à l’ère du numérique et dans un environnement concurrentiel ? Notamment en période de récession économique, financière et de crise sanitaire, écologique, identitaire etc.? Les questions, j’en oublie encore, sont nombreuses et toutes importantes. Il est clair que les destinataires du produit de presse, récepteurs de l’information qui leur est livrée quotidiennement, sont les mieux indiqués pour y répondre.
Néanmoins, nous allons tenter le périlleux exercice d’apporter notre point de vue. Sans complaisance et sans langue de bois. Pour répondre de façon succincte à la première question, il existe bel et bien une entreprise de presse dans notre pays, si l’on considère l’entreprise comme une unité économique de production à but commercial de biens et services, contrôlée soit par l’Etat, soit par une entité ou société privée juridiquement constituée.
L’entreprise de presse est un « marchand de nouvelles » qui produit de l’information qu’elle rend la plus attractive possible pour l’acheteur. Et dans un système de libéralisme économique exacerbé, le modèle concurrentiel favorise une lutte pour la conquête de marchés créateurs de richesses, ce qui induit une quête effrénée de la publicité qui génère l’essentiel des ressources financières de l’entreprise de presse. La question que l’on peut se poser reste toutefois la viabilité économique de cette entreprise de presse dans un pays comme le Sénégal qui n’a pas une marchandise publicitaire élastique dans un système concurrentiel sauvage, complètement désorganisé et désarticulé. Dès lors, la seule manne publicitaire ne peut nourrir l’entreprise de presse. Alors la question qu’il faut poser à ceux qu’on appelle les « patrons de presse », chefs de l’entreprise et très souvent sans formation en management, est de savoir par quelle gymnastique, par quels magie et tour de passe-passe ils arrivent à assurer la survie de leurs sociétés de presse ?
En plus des charges courantes et incompressibles des salaires et de fonctionnement comme l’électricité, le téléphone par exemple, il va aussi falloir obligatoirement payer les charges sociales et fiscales. Qui peut, à défaut de vouloir « jeter la maison par la fenêtre », c’est à dire fanfaronner — je dis bien — qui peut se targuer de remplir ces critères déjà évoqués, que l’on soit dans le secteur public ou privé de l’information? Je laisse le soin aux concernés d’y réfléchir et de répondre.
Toutefois, ces promoteurs privés, notamment les précurseurs qui ont vécu de souffrances, de cauchemars et d’hostilités sans foi ni loi, doivent être salués et au besoin honorés pour leur courage et leur obstination à vaincre les tabous et railleries d’oiseaux de mauvais augure, en son temps dubitatifs sur la viabilité existentielle de cette presse privée qu’ils ont farouchement combattue. En vain. En ce 3 Mai, journée internationale de la liberté de presse, ils méritent notre respect par le rôle social et économique qu’ils procurent et doivent davantage bénéficier du soutien de l’Etat et de l’attention de nos concitoyens. L’un et les autres doivent comprendre que l’information et la liberté de presse ont un prix qu’il faut payer au risque de voir tout simplement la démocratie et les valeurs qu’elle irrigue sérieusement hypothéquées dans leurs fondements.
Sur la formation des journalistes, même s’il faut laisser le soin aux hommes de l’art, aux lecteurs, auditeurs et téléspectateurs, donc consommateurs du produit presse, d’apprécier la qualité de la ressource journalistique, nous n’avons pas à rougir du niveau de formation des journalistes dont beaucoup ont un haut niveau universitaire qui élève la qualité d’exercice du métier. Pour faire simple, le journalisme, c’est la restitution précise et concise des faits. Après chacun en tire les conclusions qui lui plaisent.
Évidemment, notre métier de journaliste a connu une singularité initiale dans sa trajectoire du fait qu’à ses débuts les journaux se sont faits sans journalistes formés dans des instituts de formation dédiés mais par des collaborateurs de presse, «qui ne vivent pas leur activité comme un métier à part entière avec ses savoir-faire propres et sa logique de carrière », tel que enseigné par le professeur et chercheur en sciences politiques Eric Neveu. Il faisait remarquer dans son ouvrage « Sociologie du journalisme » que « travailler pour un journal était une position d’attente vers les vraies carrières de la littérature et de la politique », c’est d’ailleurs ce phénomène que décrivait Balzac dans ses ouvrages « Illusions perdues » et « Monographie de la presse parisienne », en 1843 déjà. Cette monographie rend bien visible ce qu’il appelle « le vide du journalisme qui ouvre la voie vers la réussite ailleurs, ou stérilise ceux qui s’y engluent ».
Ah, c’est comme si Honoré de Balzac était un contemporain ! bien entendu, entre-temps la morphologie du journalisme a beaucoup évolué positivement, tant dans ses variables formation avec un fort niveau académique que dans sa féminisation plus poussée. En attendant d’apporter, sans fausse modestie, mes réponses aux autres questions dans une prochaine chronique, j’invite à répondre à ces questions : la presse est-elle utile pour notre pays? Et comment concilier viabilité économique et indépendance éditoriale ? A la semaine prochaine, inch’Allah !
Oumar-Diouf FALL
MediaPower221.com