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Covid 19 Ou Le Couvre Feu De La Vie Contre La Mort

De tout le temps, la relation trilogique entre la vie que certains symbolisent par le corps, la raison ou conscience et la foi a divisé les hommes et les peuples. Si certains ont soutenu la prééminence de l’intellect et du spirituel sur le biologique, d’autres ont toujours estimé que la raison et la foi ne sont que des instruments du corps.

L’avènement du covid 19 avec son lot de conséquences réactualise ce débat ancien d’une haute facture philosophique. À travers, les mesures de restriction prises par les gouvernements, suites aux protestations, aux résistances ou simplement aux interrogations que ces mesures ont suscitées, le sujet ressurgit avec acuité sous cette problématique : peut-on légitimement décréter un couvre-feu qui exige de compromettre l’économie, de suspendre notre liberté, de fermer les écoles et même les lieux de culte ? Ce confinement sectoriel qui suit un ordre de priorité peut-il légitimement placer l’éducation et l’économie devant la religion? Pour bien investir cette problématique il faut en soulever d’autres questions : d’où nous viennent la vie spirituelle et intellectuelle ? La vie n’est-elle pas la condition sine qua non de la liberté de la morale et de la religion ? L’éducation et l’économie ne sont-elles pas les deux mamelles qui fondent en priorité la vie ? Cependant, donner la priorité à la vie exclut-il à ce point la raison, la bonne gouvernance et la transparence?

La réponse à toutes ces questions exige de nous d’abord un rappel historique des différentes conceptions que l’homme s’est faites de lui-même et en lui, des relations entre corps, foi et raison. Ensuite montrer la place privilégiée du biologique sur le spirituel dans la vie. Et enfin voir pourquoi la nécessité de vivre n’exclut pas la volonté de bien vivre chez l’homme. Depuis l’antiquité grecque, la réflexion notamment philosophique a présenté l’homme comme un être d’esprit de raison et de conscience. La partie vivante à savoir le biologique ou le corporel a soit été négligé soit subordonné au spirituel et à l’intellectuel. Aussi cette prétention se retrouve dans la pensée moderne. Chez Descartes, au début de la modernité on réduit l’homme à la pensée consciente et on a fait du spirituel métaphysique le garant de la connaissance.

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La métaphysique disait-il c’est les racines de l’arbre du savoir. Avec des penseurs comme Hegel la raison, la conscience, l’intellect, vont incomparablement prendre le dessus sur le vivant corporel. Les mesures de restriction partout adoptées sont nécessaires et légitimes Cependant, avec les avancées de la connaissance dues à cette foi en la raison, on s’aperçut qu’à l’arrière fond de la raison, de la conscience et de la foi, il y a la vie, le corporel, le biologique bref l’inconscient.

Dans son ouvrage intitulé Le monde comme volonté et comme représentation, Arthur Schopenhauer enseigna que toute notre vie psychique consciente découle de notre volonté première, mais devenue inconsciente de vivre. Dans la même lancée, ceux qu’il est convenu d’appeler les philosophes du soupçon à savoir Marx, Nietzsche et Freud démontrent le caractère vaniteux, illusoire et subordonné de la raison consciente vis à vis du vivant. Edgard Morin, semble-t-il, part de ce constat pour soutenir que même nos activités spirituelles sont encore des expressions vivantes de notre nature biologique.

D’ailleurs pour Marx, on le sait, la réponse est sans ambages: Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, mais c’est leur existence qui détermine leur conscience. En termes moins philosophiques et pour revenir à l’actualité de la lutte contre le covid 19 nous pouvons affirmer que nous assistons au couvre-feu imposé par la vie à la raison et à la foi. Si nous avons suspendu la loi qui est le condensé de la raison, si nous avons déserté au moins temporairement les lieux de culte, c’est bien la preuve de la prééminence de la vie sur la belle vie, sur la liberté et même sur la foi religieuse.

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Pour vivre la liberté, la spiritualité il faut nécessairement d’abord la vivre. Voilà pourquoi lorsque sa vie est menacée, le vivant quelconque adopte des mesures conservatoires qui peuvent heurter ou au pire radicalement s’opposer aux besoins spirituels ou aux exigences rationnelles. La tendance à l’autoconservation est d’ailleurs ce qui avait fait penser Hobbes que l’homme est naturellement méchants.

Tout cela, tend à démontrer que les gouvernements qui ont la charge d’assurer la sécurité en luttant pour la préservation de la vie, ont légitimement le droit voire le devoir de prendre toute les mesures nécessaires pour faire face à la pandémie. Ces mesures sont par essence au-delà du rationnel et du spirituel. Elles relèvent à la limite de l’instinctif. De même dans l’ordre de priorités l’éducation et l’économie reprennent leur place et leur signification. C’est par l’éducation que la société humaine apprend acquiert perfectionne et transmet tous les moyens d’autoconservation. Sous ce rapport on voit la crainte pour l’effondrement de l’économie car c’est par la matière que l’esprit prend sa forme objective. Sans l’économie l’éducation et la santé autres secteurs prioritaires sont compromises.

Cependant force est de noter que l’absoluité de ce droit n’autorise pas la dictature, ni le tout économique. Si la nécessité de maintenir la vie en état peut légitimement autoriser l’Etat à s’arroger des droits exceptionnels, le devoir de légalité lui incombe de respecter les institutions. Les principes d’efficacité et d’économies doivent guider les mesures. En effet, la vie précède la liberté chez l’homme comme chez tous les vivants. La différence en que pour l’homme la vie est inséparable de la liberté. Un penseur comme rousseau ira même jusqu’à soutenir que renoncer à sa liberté revient à renoncer à sa dignité d’homme. D’autres, part négliger la certaines vies sous prétexte de préserver le niveau économique est aussi insensé. Sauver l’humanité ne nécessite pas le luxe les moyens exorbitants. Sauver l’humanité c’est drastiquement réduire les déséquilibres voire remettre les compteurs économiques à zéro.

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Par ailleurs, le fanatisme religieux aveugle n’a pas non plus sa place dans cette lutte de la vie contre la mort. En vérité, préparer sa mort c’est encore lutter pour la vie. Le monde a toujours semblé être divisé en deux camps comme le notait pierre Theilard de Chaldin. Il y’a, disait-il, le camp de ceux qui défendent ce monde et militent pour la vie et le camp de ceux qui luttent pour l’au-delà. Cette dichotomie est sans nul doute caricaturale. Dans le fond, tous les hommes luttent pour la vie et contre la mort. que ce soit réellement par les procédures scientifiques ou symboliquement par les prières. L’action humaine, quelle qu’elle soit tend toujours et en entier vers l’autoconservation.

 Jean Paul Sartre n’a-t-il pas démontré que même dans le suicide, c’est encore la vie qui est visée. On met en gage la vie pour plus de vie, pour une meilleure vie. En conclusion nous pouvons retenir que dans la mesure où nous acceptons que ce soit à l’Etat d’assurer notre sécurité. Car, même en évoquant Dieu nous reconnaissons que dieu se sert des états, les mesures de restriction partout adoptées sont nécessaires et légitimes. Aussi dans la mesure où nous comprenons que les gouvernements sont de toute façon les plus informés, nous nous devons de respecter notre volonté que nous leur avons confiée en se conformant aux mesures édictées. Toutefois, nous devons veiller à ce que cette lutte n’en cache pas d’autres et qu’elle soit aussi flexible que possible.

Diouldé BOIRO,

professeur de philosophie au lycée Demba Diop/Mbour et membre du comité central du PIT/Sénégal







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