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Economie De Guerre Et Dette Publique (par Mahammed Boun Abdallah Dionne)

Economie De Guerre Et Dette Publique (par Mahammed Boun Abdallah Dionne)

« Imaginons un pays libre de toute dette, et qu’une guerre éclate qui implique un supplément de dépenses de vingt millions par an ; il y a trois moyens de fournir à ces dépenses.

i. En premier lieu, les impôts pourraient être augmentés d’un montant de vingt millions par an, dont le pays serait totalement libéré au retour de la paix.

ii. En second lieu, l’argent pourrait être emprunté chaque année et la dette consolidée ; dans ce cas, si l’on admet un intérêt de 5 pour cent, la première année de dépense entraînerait une charge perpétuelle d’un million ; une deuxième année de guerre entraînerait à nouveau la charge perpétuelle d’un million et ainsi de suite pour chaque année supplémentaire.

iii. Le troisième moyen de financer la guerre serait d’emprunter chaque année les vingt millions nécessaires, comme ci-dessus, mais de constituer en outre un fonds d’amortissement, par l’impôt, qui, augmenté des intérêts composés, permettrait finalement de rembourser la dette.

De ces trois moyens, nous sommes résolument en faveur du premier. Alors, le fardeau de la guerre est sans doute très lourd tant qu’elle dure, mais il disparaît en même temps qu’elle. 

Du point de vue économique, il n’y a pas de réelle différence entre les trois moyens. Mais les personnes qui paient l’impôt ne raisonnent pas ainsi. Nous ne sommes que trop enclins à estimer le coût de la guerre à ce que nous payons comme taxes sur le moment, sans réfléchir à la durée probable de l’imposition [1] ».

Ce texte de David Ricardo, publié en 1820, éclaire notre compréhension des rapports politiques et économiques que les générations de citoyens d’un même pays entretiennent entre elles au fil du temps. Pour Ricardo, toute augmentation de la dette aujourd’hui se traduit demain par une augmentation de l’impôt, pour rembourser cette dette. 

Plus tard, Barro complétera le travail de Ricardo et de cette réflexion, naîtra le théorème d’équivalence de Ricardo-Barro. Ce théorème établit « qu’il n’y a, d’un point de vue macroéconomique, pas de différence significative entre un financement par l’impôt et un financement par l’emprunt d’un montant donné de dépenses publiques ». Pour sa part, Solow démontrera, par la suite, que le théorème de neutralité ricardienne ne se vérifie que dans des situations très particulières. Solow en conclut que l’Etat ne peut se contenter d’un rôle économique neutre. Et il eut bien raison.

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S’agissant de la dette et du déficit publics, la pertinence des politiques budgétaires ne se discute plus vraiment. Par contre et surtout en temps de crise, ce qui est déterminant pour provoquer l’effet multiplicateur de Keynes sur les agents économiques en doute, reste la qualité de la dépense publique. S’endetter pour couvrir prioritairement des dépenses courantes sans impact sur la croissance économique ne nous paraît pas raisonnable, quoique le débat sur l’opposition entre dépense de consommation et dépense d’investissement ne soit pas totalement épuisé. 

Dans tous les pays du monde, le risque sur la dette est tributaire de plusieurs facteurs comme la nature de celle-ci, sa viabilité telle que perçue par les marchés financiers et les épargnants, sa dénomination, son taux d’intérêt, sa maturité, la réputation du pays, son niveau d’épargne intérieure et l’usage qui est fait des ressources qui sont tirées de la dette. C’est pourquoi les niveaux d’endettement de l’Italie et du Japon qui se situent entre 150 et 200% du PIB, ne suscitent pas de débat particulier. Au demeurant, de tels pays ont atteint un palier qui leur permette de rembourser leurs emprunts passés par l’émission de nouveaux titres de dette, de plus en plus libellée dans leur propre devise. Ce renouvellement infini de la dette publique des Etats fait qu’en pratique elle n’est jamais remboursée.

Au total, si un Etat n’a pas d’autre choix que de dépenser plus qu’il ne collecte en termes de ressources pour assurer sa croissance d’aujourd’hui et de demain, il le fait aussi pour les générations futures et non contre elles. S’y ajoute qu’en situation de crise ou de guerre, au-delà de l’urgence des dépenses militaires et de l’assistance alimentaire, l’intervention de l’Etat doit structurer de nouvelles capacités pour le futur, grâce à des subventions, dans les secteurs clés du système productif, notamment l’industrie et l’agriculture.

Imaginons à présent un pays endetté, aux capacités financières limitées, et qu’une guerre éclate qui implique un supplément important de dépenses, comment financer cette dépense de guerre qui lui est imposée ?

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i. En instaurant un nouvel impôt pour gagner cette guerre, le pays court le risque d’une crise sociale intérieure et d’une récession dont les effets, se cumulant à celui de la guerre, entraîneraient la perte à court terme de celle-ci.

ii. En second lieu, en réussissant à emprunter pour couvrir cet effort de guerre, le pays court toutefois à moyen terme le risque d’un défaut sur sa dette et la perte de la guerre surtout si elle devait perdurer.

iii. Le troisième moyen pour financer la guerre est le renouvellement de la capacité d’endettement du pays. Ce renouvellement peut s’opérer grâce à la conversion du stock de dette du pays en rente perpétuelle ; plus la rente perpétuelle se rapprochera du taux zéro, plus vite le pays financera sa guerre surtout si les intérêts de ses créditeurs sont intriqués aux siens, partageant avec lui le même intérêt pour la victoire.

De ces trois moyens, nous sommes en faveur du troisième car l’emprunt perpétuel est une obligation sans date d’échéance, dont seuls les intérêts sont exigibles. Si le taux d’intérêt de la rente est nul, l’emprunteur n’a donc plus rien à payer.

Ce troisième moyen de financement de la guerre sauvegarde la réputation financière de l’Etat, réduit significativement le service de sa dette, soulage sa trésorerie immédiate et renouvelle sa capacité d’investissement, en annulant de facto la dette publique, même si celle-ci continue d’exister perpétuellement de jure sur le papier. Dans le cas de l’Afrique qui a encore besoin d’emprunter massivement pour financer l’investissement productif et son industrialisation, l’annulation directe de la dette reste la meilleure solution. Le Président de la République du Sénégal, Son Excellence Macky Sall, ne s’y est pas trompé en portant le plaidoyer de l’annulation de la dette publique africaine auprès de ses pairs du continent et du monde.

Une annulation du stock de la dette ouvrirait la voie à la poursuite dans les meilleures conditions de l’investissement, dans les secteurs essentiels (i) de la santé et de l’éducation, (ii) des infrastructures, (iii) de l’agriculture, et (iv) des services d’appui à l’industrialisation. A défaut d’annulation, la voie médiane de l’allongement de la durée de la dette à cent (100) ans au minimum, voire sa perpétualisation, à un taux voisin de zéro, nous paraît être la seconde meilleure solution. Certains diront, comme en droit judiciaire, que la perpétuité évoque une contrainte dont on ne se libère jamais. Nous leur répondrons que comme s’agissant de la grâce, même si celle-ci entraîne la non-application d’une peine, et qu’elle n’entraîne point son oubli que seule l’amnistie accorde, l’essentiel pour le condamné est de reconquérir sa liberté de mouvement. Dans le cas que nous présentons, qu’il s’agisse d’une annulation de sa dette ou de la reconversion de celle-ci en une rente perpétuelle, l’essentiel pour l’emprunteur est qu’il n’ait plus rien à payer afin de reconquérir sa capacité d’endettement.

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Au lendemain de la guerre sanitaire et économique en cours actuellement, l’Afrique devra beaucoup investir, pour repartir du bon pied. Pour notre continent, le risque de défaut n’est toutefois pas évalué de la même manière que pour les autres régions du monde ayant des notes souveraines comparables. Il y a encore comme un effet de loupe optique quant à la perception du stock actuel de la dette africaine. Les taux d’intérêt sont partis pour rester bas pour longtemps encore, du fait de la surabondance de liquidités due aux politiques monétaires expansionnistes pratiquées par la majorité des grandes Banques centrales. 

Aussi, ils sont partis pour demeurer proches de zéro en raison du décalage existant entre l’excès d’épargne globale et la rareté des investissements productifs de qualité attendus par les détenteurs de capitaux. Nos partenaires du G20, du Club de Paris, mais également de grands pays partenaires comme la Chine et ceux du Moyen Orient, devraient travailler de concert avec les leaders africains afin que l’annulation du stock actuel de la dette publique extérieure du continent soit une réalité. C’est à ce prix que nous pourrons vaincre nos vulnérabilités exacerbées par la crise sanitaire et que nous serons en position de poursuivre notre marche victorieuse vers l’émergence.

Dakar, le 19 mai 2020

Mahammed Boun Abdallah DIONNE

Ingénieur Economiste, Ancien Premier Ministre du Sénégal

Ministre d’Etat, Secrétaire Général de la Présidence de la République

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