Nous apprenons avec stupéfaction à la une du quotidien Les Échos que « le Sénégal déchire son accord avec l’Ile Maurice ». La vérité est qu’il prévaut au Sénégal un laxisme consternant dans la gestion des finances publiques. Le budget national est plombé par la pléthore de régimes dérogatoires accordant beaucoup trop d’avantages fiscaux (code minier, zone franche, code pétrolier, code des investissements) à des investisseurs, étrangers pour la plupart, sans oublier cette propension incompréhensible de l’Etat à accorder des remises gracieuses aux multinationales. Pendant ce temps, le gouvernement s’endette de manière éhontée pour des dépenses de prestige, tout en privant des secteurs névralgiques du minimum vital. D’ailleurs la gestion calamiteuse de la crise de la Covid-19 l’a prouvé à suffisance !
La majeure partie de notre dette extérieure est en effet orientée vers des investissements non prioritaires (TER, Aréna, Arène nationale, CICAD, Cité ministérielle, etc.), porte grande ouverte pour les malversations : détournements, surfacturations, marchés de gré à gré, rétro commissions, corruption. A se demander si nos dirigeants ont compris la notion de priorité ! À croire qu’ils le font exprès ! Leur sport favori consiste à s’amuser et à dilapider de toutes les façons possibles nos ressources pour se transformer par la suite en mendiants costumés à la porte des autres nations.
UN ÉTAT QUI FAIT JOUJOU AVEC SON LEVIER D’ENDETTEMENT
L’impact du processus de l’endettement sur l’aliénation de la souveraineté économique est connu de tous. Déficit budgétaire = DEPENSES – RECETTES -RECETTES : impôts et taxes, droits de douanes, recettes non fiscales, dons -DEPENSES : intérêt de la dette, salaire et fonctionnement, biens et services En 2005 la dette publique du Sénégal s’élevait à 2465 milliards de F CFA, soit 22.1% du PIB. La communauté financière internationale, y compris les institutions multilatérales et les autorités nationales, ont œuvré en vue de ramener à un niveau soutenable la charge de l’endettement extérieur des pays pauvres les plus lourdement endettés. Le Sénégal a reconstitué sa dette publique, en dépit des annulations de dette enregistrées dans le cadre de l’initiative des Pays pauvres et très endettés (PPTE) en 2005.
A peine 15 ans après, nous voici revenus quasiment au point de départ. Aujourd’hui, le stock de la dette du Sénégal a presque quadruplé pour atteindre 8 231 milliards en 2019, soit 58% du PIB. Il faut noter que la capacité d’endettement n’est pas la capacité de remboursement (ratio de surendettement).
Parler de surendettement d’un État signe qu’une partie de son endettement est jugée « excessive ». Cela est destiné à légitimer des actions telles que : le rééchelonnement des échéances (maintien de la valeur de la créance, mais modification de l’échéancier), des réductions de dette (annulation d’une partie de la dette) des annulations de dette. Et depuis le début de la pandémie du Covid-19, les sollicitations d’une nouvelle annulation de la dette africaine se succèdent, comme un rituel de conjuration de la pandémie.
Après la demande des ministres africains des Finances et l’Union africaine pour l’allègement immédiat de la dette, c’est au tour du FMI et la Banque mondiale, du G20 et du président français Emmanuel Macron, d’annoncer un allègement massif de la dette africaine.
POUR LUTTER CONTRE L’ENDETTEMENT : HALTE AUX PARADIS FISCAUX !
La gestion de nos maigres recettes par nos gouvernants montre toutes les failles dans la gouvernance de ce régime. Au niveau des recettes fiscales, le Sénégal a un faible taux de pression fiscale en 2019 de 17,4% (2434/13983 – recettes fiscales/PIB – LFI2020). Dans les pays développés ce taux varie entre 30 et 40% selon l’OCDE (France 46,2%, Allemagne 37,5%, Japon 30,6%). Au Sénégal, nous pouvons atteindre un taux de pression fiscale de 25%, pour un supplément de 1000 milliards dans notre budget, en exploitant des niches.
La principale niche concerne la révision des exonérations d’impôts accordées à certaines multinationales, la rationalisation des conventions signées surtout avec des paradis fiscaux (Anguilla, les Bahamas, les Fidji, Guam, les Îles Vierges américaines, les Iles Vierges britanniques, Iles Maurice, Iles Caïman Luxembourg, Oman, le Panama, les Samoa américaines, les Samoa, les Seychelles, Trinité-et-Tobago et le Vanuatu, etc…).
A cause du principe de non double imposition, nous perdons beaucoup d’argent. Les paradis fiscaux se caractérisent principalement par des impôts faibles ou inexistants, le manque d’échange d’informations, le manque de transparence, l’absence d’exigence d’activité substantielle et j’en passe ! Une étude de l’organisme américain, The National Bureau of Economic Research (NBER), réalisée en 2017, renseigne que le Sénégal serait la 8e nation ayant plus d’argent dans les paradis fiscaux.
Ainsi ce n’est pas un hasard si, dans notre balance des paiements 2018 (BCEAO 2018), les investissements (IDE + investissements de portefeuille) sortants (1349 milliards) sont supérieurs aux investissements entrants (48.6 milliards). Lors de la rencontre du Club de Paris en 2018, la représentante de l’Allemagne disait ceci « une croissance à grande échelle ne nécessite pas uniquement des investissements étrangers conséquents.
Au contraire les investissements les plus importants sont ceux des sénégalais eux-mêmes dans leur pays. Car, premièrement, il y’a mathématiquement bien plus d’investissements si chaque Sénégalais investit dans son pays, même s’il s’agit seulement de petits montants. Et deuxièmement, le Sénégal émettrait un signal important, permettant de convaincre les investisseurs allemands et d’autres pays que leur argent est bien placé. A ce jour les capitaux privés des Africains sont placé principalement hors d’Afrique. Le développement économique est donc privé d’un montant de l’ordre de jusqu’à 800 milliards de dollars (476 800 milliards de F CFA) d’où la question suivante : pourquoi investir dans un pays dans lequel ses propres citoyens n’investissent pas ? »
Le 15 février 2018, Ousmane SONKO avait pourtant alerté l’Exécutif et l’Assemblée Nationale sur le danger de signer des conventions de « non double imposition » qui lieraient le Sénégal à des pays avec statut de paradis fiscaux (Ile Maurice, Luxembourg, …). Le député avait soulevé le risque encouru (évasion fiscale) par l’État, du fait des entreprises évoluant dans le secteur pétrolier notamment. C’est le cas de PetroTim Ltd & Petro-Asia New Co qui sont tous les deux domiciliés aux Iles Caïmans sous les matricules 265741 & 270031.
Ainsi si notre Etat attend jusqu’en 2020 pour « déchirer son accord avec l’île Maurice » après avoir supporté une évasion fiscale de plus de 150 milliards, combien avons-nous perdu alors avec les autres paradis fiscaux avant de tenter de combler ce trou par un endettement intempestif ?
Babo Amadou BA
Membre du Secrétariat national à la communication PASTEF