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Le Faux Dauphinat

Le Faux Dauphinat

En ces heures où le Covid-19 frappe durement le Sénégal, la citation de Charles Péguy raisonne en termes de responsabilité politique : « Les peuples vont là où les pouvoirs les conduisent ». L’opposition est dans son droit de critiquer lorsque, selon elle, la direction empruntée par le gouvernement n’est pas la meilleure. A contrario, une certaine opposition ne conduit-elle pas parfois vers de fausses pistes et polémiques comme le dauphinat au risque de ne pas se concentrer sur l’essentiel ?

C’est au détour d’une interview de Mamadou Lamine Diallo, fort captivante au demeurant sur la dépendance du riz, que le mot dauphin a été prononcé à l’endroit de Mansour Faye.

En effet, en pleine crise sanitaire, le président du Mouvement TEKKI cible nommément le beau-frère du président comme successeur de Macky Sall. Mamadou Lamine Diallo persiste et signe ; déjà en 2019, tandis qu’Aliou Sall était éclaboussé par l’affaire Petrotim, l’opposant soutenait que Mansour Faye était le « dauphin caché de la famille Faye Sall (sic) ». Bref la solution de rechange pour envisager l’avenir de façon radieuse !

Cela devient un rituel chez les opposants « patriotes ». Lors de sa dernière sortie médiatique, Ousmane Sonko, président du Pastef, comparait Mansour Faye à Karim Wade. Sur le sujet du dauphinat, aux yeux des Sonkoistes, ils sont sur un même pied d’égalité bien que, aujourd’hui, l’un est opposant et l’autre est ministre. Peu importe si au passage les stratégies politiques d’alliance de fait entre les opposants sont mises à mal avec ce genre de comparaison peu flatteuse et peu diplomatique !

Pour des raisons différentes, Babacar Gaye et Mamadou Goumbala ont aussi établi une comparaison entre Mansour Faye et Karim Wade.

S’il est légitime de s’interroger sur l’implication de la famille des présidents sénégalais dans les affaires publiques à l’image de Mansour Faye et sa gestion de l’aide d’urgence, est-il fondé d’utiliser le mot dauphin à l’égard de ces personnalités politiques d’un genre particulier ? Et en conséquence de leur réserver un traitement politique à part ?

D’emblée, il convient de remarquer que le dauphinat est employé par des commentateurs politiques pour décrire un processus de désignation du successeur par le président sortant. Et ce en dehors de toutes considérations familiales ! Sans doute l’hyper présidentialisation de certains régimes africains s’apparente-t-elle aux monarchies au vu de leur automatisation « successorale » : le roi est mort, vive le roi ! L’élection du candidat soutenu par la majorité présidentielle ne serait dans ce schéma qu’une formalité : 100 % de chance de gagner.

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En réalité, je m’attache au mot dauphin tel qu’il est exploité par les opposants « patriotes ». Et donc au regard du sens historique qu’ils leur accordent, à savoir un titre d’héritage « biologique ou familial » tiré de leur lien de parenté avec le président-roi. C’est bien ce sens-là qui est visé par Mamadou Lamine Diallo et Ousmane Sonko dans leurs dernières interventions.

Il faut dire que les exemples en Afrique ne manquent pas où le fils du président a succédé grâce à l’aide de son père, à l’exemple du Togo et du Gabon. C’est donc un argument qui fait mouche. L’opinion publique sénégalaise y est sensible ; elle tient à son patrimoine démocratique. A telle enseigne que la supposée succession de Me Abdoulaye Wade par son fils Karim est considérée comme la principale cause de la chute du pape du Sopi.

En l’espèce pas de preuve tangible de succession contrairement aux monarchies où les titres de dauphin sont strictement réglementés (fils ainé ou fils cadet en cas de décès du premier), juste une rumeur au départ suivie d’une insistante clameur publique au Sénégal ! Cela suffit aux opposants pour en faire leurs choux gras. Ils se focalisent sur les grands ministères attribués aux « dauphins » pour convaincre de la préparation d’un coup d’état, d’un passage en force d’une république à une monarchie. C’est dans ce contexte qu’Ousmane Sonko a fait sa comparaison entre Karim Wade et Mansour Faye.

Les opposants d’hier (c’est le serpent qui se mord la queue !) et d’aujourd’hui, ont en commun la mauvaise foi politique. Jamais ils ne se sont demandé s’il y avait une optimisation des ministères en question (regroupement cohérent de différents ministères sous l’autorité d’un même ministre) ; jamais pour le cas de Me Abdoualye Wade il a été abordé l’essoufflement naturel d’un régime après 12 ans d’exercice de pouvoir, et surtout le goût prononcé des sénégalais dorénavant pour l’alternance démocratique vu le précédent de 2000.

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Ces personnalités politiques issues de la famille des présidents, deviennent des boucs émissaires et des proies faciles pour les opposants. Il faut dire que le régime de Macky Sall a élargi la sphère de la famille au pouvoir comme jamais vu auparavant : du frère au beau-père, en passant par le beau-frère, il y a une « surpopulation » politico-familiale ! Et pour ne rien arranger, le président attribua l’aide d’urgence, au coeur du dispositif de la lutte contre la Covid-19, à Mansour Faye !

Cependant, le Sénégal est-il le Togo ou le Gabon ? Admettons que Mansour Faye soit le candidat officiel de Macky Sall en 2024. Ne pensez-vous pas que le sénégalais serait assez mature politiquement parlant pour faire la part des choses et voter en son âme et conscience ? Car l’essentiel dans ces fausses histoires de dauphinat, c’est que le peuple sénégalais ait souverainement le dernier mot. Il y a eu dans l’histoire du Sénégal une seule dévolution monarchique : ce fût le cas lorsque le président Abdou Diouf hérita du pouvoir des mains de Léopold Sédar Senghor, sans vote !

Un bémol à la souveraineté du peuple. Celle-ci ne peut être que pleine et entière sous réserve de la transparence de la future élection présidentielle de 2024. C’est sur ce point-là que l’opposition devra concentrer ses efforts et moins sur la question du dauphinat relevant davantage du populisme. Sous Macky Sall, toutes les élections, la législative de 2017, le référendum de 2018 et la présidentielle de 2019, ont fait l’objet de contestations et de controverses autour des électeurs en doublon, de la non-distribution des cartes à certains électeurs, du changement des règles comme le parrainage, de l’éviction illégale des deux plus sérieux challengers…A l’époque de Wade, le PDS avait perdu les élections intermédiaires car le jeu démocratique existait.

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C’est ainsi que le soi-disant héritier de Me Abdoulaye Wade avait perdu la mairie de Dakar !

Pour ma part, il y a un abus de langage de la part des opposants « patriotes ». Ils en sont conscients, cela est fait de façon délibérée. Ce qui a marché en 2012 peut se répéter en 2024, cette fois-ci à leur profit politique ! Mansour Faye est décrédibilisé pour sa gestion de distribution des kits alimentaires d’urgence. Il suffit d’enfoncer le clou par l’affaire du dauphinat. De manière plus générale, l’opposition « patriote » fait constater l’absence de rupture depuis l’accession de Macky Sall. Et le tour est joué : eux seuls incarnent la nouvelle alternance dans l’opposition ! La manoeuvre politicienne est devant nos yeux : concentrer des tirs nourris vers Macky Sall et égratigner au passage certains opposants emblématiques.

Vraiment, y aurait-il une différence si Macky Sall choisissait Mimi Touré en lieu et place de Mansour Faye ? Peut-être et sûrement sur le plan éthique, mais d’un point de vue politique, non ! Je réitère ma démonstration : le dernier mot appartient au peuple sous réserve d’une élection transparente. Les vraies questions pour en finir avec ce sempiternel faux débat de dauphin au Sénégal, seraient de s’interroger si c’est au président sortant de désigner son successeur et si in fine le vote des sénégalais sera respecté ou confisqué. De surcroît, pour évacuer toute crispation sur le dauphinat, il y a une jurisprudence politique claire, voire même un plafond de verre : les fils ou les membres de la famille d’un président sortant ne peuvent lui succéder immédiatement. A moins d’être possiblement sanctionnés par le peuple.

C’est vrai que c’est le véritable talon d’Achille des régimes qui font participer leurs familles proches, aux affaires d’Etat. Ils se prennent les pieds dans le tapis. Ils tendent le bâton à l’opposition pour se faire battre. Il est acquis aujourd’hui (et surtout depuis 2012) et a fortiori avec la crise de la Covid-19 que cette gouvernance « familiale » ne sied plus au nouveau style des démocraties africaines. Il faudrait y réfléchir lors du prochain remaniement.

edesfourneaux@seneplus.com







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