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Contradictions Ou Tâtonnements De L’etat Dans La Gestion De La Covid-19 Au Sénégal: Le Dossier De L’éducation Et De L’enseignement Public (koly Fall)

La démarche de l’État du Sénégal face à la gestion de la pandémie de la COVID 19 est pour le moins « contradictoire ». En effet, après la déclaration du premier cas importé à Dakar le 2 mars 2020, le gouvernement a mis en place « une stratégie de contingentement de la maladie » afin de stopper l’évolution du virus sur le territoire national : déclaration de l’État d’urgence, couvre-feu, interdiction des transports interurbains, fermeture des écoles, des Universités et des espaces publics et lieux de cultes, entre autres. Cependant, dans son « message à la Nation » du 11 mai, alors que la courbe d’évolution du virus avait pris l’ascendance, le président Macky Sall a annoncé des mesures d’assouplissement avec la reprise des enseignements des classes d’examen.

Et si l’Etat avait pris la bonne décision au tout début de la pandémie ?

Lors de sa sortie du 14 mars, le président Macky Sall a décliné la stratégie du gouvernement face à la pandémie de la COVID 19. La mesure phare dans le secteur de l’éducation a été la fermeture des établissements d’enseignement public et privé, de l’élémentaire au supérieur, sur l’étendue du territoire national. Dans un premier temps, cette décision a été qualifiée d’un suivisme. Plusieurs montages de vidéos ont circulé dans les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, WhatsApp, etc.) faisant un rapprochement entre le discours d’Emmanuel Macron et celui de Macky Sall. Dans les universités, notamment à l’UCAD, les pensionnaires du campus social ont manifesté une joie « inconsciente » suite à l’arrêt des cours sans envisager la durée et les répercussions d’une telle mesure.

Pourtant, la fermeture des écoles et Universités semblait avoir des effets positifs sur l’évolution de la pandémie au Sénégal et plus généralement sur les conditions sociales des élèves et étudiants. A travers cette mesure, l’État a d’une part supprimé le risque d’une propagation massive du virus dans les campus sociaux des Universités publiques où les étudiants vivent généralement dans une grande promiscuité. Après avoir rejoint leurs lieux de résidence respectifs, beaucoup d’étudiants ont pu participer activement aux campagnes de sensibilisation à l’intérieur du pays et dans les zones reculées qui ne sont pas toujours prises en compte dans la conception des stratégies de communication des structures étatiques.

D’autre part, cette mesure a permis d’endiguer la circulation du virus auprès des enfants dont le rôle dans la propagation du virus faisait encore l’objet d’un débat au sein de la communauté scientifique. Par ailleurs, la décision de fermer les écoles et Universités paraissait trouver une légitimité dans l’opinion publique. En effet, en dépit des accusations d’avoir copié le discours du président français, plusieurs acteurs ont estimé que la décision a été prise à temps. Certains semblaient même s’impatienter en s’interrogeant sur la lenteur dans l’adoption de la mesure.

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Malgré tout, l’Etat s’est empressé de prendre la contre-mesure de sa décision en annonçant la reprise des enseignements pour les élèves des classes d’examen et l’assouplissement des mesures restrictives. Ce qui a semblé étonnant pour l’opinion publique c’est que cette décision est intervenue au moment où le nombre de personnes contaminées à la pandémie se comptait à plus de 100 cas par jour. Or, lorsque le gouvernement déclinait sa stratégie, le pays n’avait pas encore totalisé 50 cas de malades de la COVID 19. Ce revirement soudain pour le moins paradoxal soulève plusieurs questions : Quelles sont les véritables raisons qui ont motivé cette mesure ? L’Etat aurait-il perdu tout contrôle sur l’évolution de la maladie ? Ou envisage-t-il la solution de l’immunité collective en laissant le virus contaminer plus de la moitié de la population ? Quelle aura été l’utilité de la « Force COVID 19 » ? Un ensemble de questions auxquelles nous n’aurons peut-être pas des réponses.

Quand le gouvernement se contredit dans sa démarche ?

Suite à la décision du gouvernement de sauver l’année scolaire en cours par « tous les moyens », le ministère de l’éducation national s’est chargé de l’organisation du retour des enseignants dans leurs lieux de travail en mettant en place un calendrier de voyage et des moyens de transports, notamment les bus de la société nationale « Dakar Dem Dikk ». Pendant plusieurs jours, une foule d’enseignants (de l’élémentaire, du moyen et du secondaire) s’est réunie au terminus des de ladite société à Liberté 5, désigné comme point de ralliement pour les enseignants résidents ou bloqués à Dakar à cause du coronavirus.

Ces rassemblements (dont les images ont fait le tour des réseaux sociaux) sont d’abord apparus comme une contradiction avec les décisions de l’État. Après avoir fermé les lieux et espaces publics (restaurants, bars, écoles, universités, Mosquées, Églises) et interdit les regroupements de personnes à l’occasion des cérémonies socioculturelles (mariages, baptêmes, funérailles), l’Etat, a organisé plusieurs rassemblements à travers le retour du personnel enseignant. En outre, le manque d’organisation et l’absence de dispositif d’encadrement pour le respect de la distanciation physique d’un mètre ont exposé les enseignants à la contamination au virus du Corona. Pour rejoindre la région de Ziguinchor, en Casamance, plusieurs enseignants ont été coincés à la frontière gambienne obligeant certains à y passer la nuit avant de rejoindre leur poste le lendemain.

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Le 1er juin à 23h40mn, le Ministère de l’Éducation Nationale publie un communiqué de presse au dernier journal télévisé de la chaine nationale (RTS1) sur le report de la reprise des cours pour les classes d’examen initialement prévue le 2 juin à une date ultérieure. Selon ce communiqué, cette décision prise par le président Macky Sall intervient suite à des cas de contamination de personnel enseignant (dont certains sont venus de Dakar) recensés dans la région de Ziguinchor le même jour.

Les réactions des syndicats d’enseignants du moyen et du secondaire n’ont pas été tendres face à cette situation. Certains ont perçu cet échec de la reprise des cours comme l’aboutissement d’une stratégie basée sur le « tâtonnement » et « l’amateurisme ». D’autres réactions dans la presse et les médias sociaux soulignent un « manque de considération » et une faible implication des acteurs clés de l’éducation, notamment les enseignants, dans le processus de décision de leur ministère de tutelle. D’ailleurs, la décision de la reprise des enseignements avait été qualifiée de précipitée avant d’être farouchement critiquée. À cela, s’ajoute la faiblesse des dotations en équipements sanitaires (masques, gels hydro alcooliques, thermo flashs, désinfectants) et les incertitudes quant à la capacité des élèves à respecter les mesures de la distanciation physique dans les écoles.

Ces remises en cause des décisions du gouvernement dans le domaine de l’éducation peuvent conduire à des confusions ou perturbations dans les autres secteurs impactés par la crise. C’est le cas notamment dans le secteur des transports avec des affrontements notés le 2 juin dans la ville de Touba entre des transporteurs qui réclament la reprise de leur activité économique et des policiers chargés de faire respecter les décisions de l’État désormais en mal de légitimité. Dans la nuit du 2 au 3 juin, des dizaines de personnes (jeunes pour la plupart) ont manifesté dans les rues pour « décréter » la fin du couvre-feu à Mbacké, dans la région de Diourbel.

Quel avenir l’État réserve-t-il à l’année scolaire 2019-2020 ?

« Sauver les années scolaires » semble être la stratégie du gouvernement du Sénégal et des acteurs de l’éducation et de l’enseignement ces dernières années. En effet, malgré les perturbations liées aux grèves récurrentes des élèves, des étudiants et des syndicats d’enseignants du secondaire et des universités en particulier, le gouvernement parvient toujours à trouver des accords (souvent non respectés) avec les différents acteurs pour « sauver l’année ». Si cette stratégie a fonctionné jusqu’à présent, elle semble avoir du mal dans le contexte de la pandémie du coronavirus.

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Cela s’explique d’un côté par la configuration structurelle de l’année scolaire en cours, particulièrement dans les universités publiques. En raison des complications de son partenariat avec les universités et écoles de formation privées qui réclament plus de 16 milliards à  l’État, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a décidé d’orienter les bacheliers de l’année 2019, soit plus de 50.000 étudiants, dans les universités publiques déjà étouffées. Pour trouver des alternatives face à la faible capacité d’accueil de leur campus pédagogique, certaines universités ont accusé un retard considérable dans le démarrage des enseignements. Le 14 mars 2020, alors que l’État a pris la décision de fermer les écoles et campus universitaires, les enseignements de la première année n’avaient pas encore démarré dans certaines UFR de l’Université Assane Seck de Ziguinchor.

En s’ajoutant à cette situation structurelle, la crise sanitaire liée au virus de la COVID 19 a créé une équation quasi insoluble pour les écoles et universités publiques. Après la décision de la reprise des cours pour les élèves en classe d’examen, c’était au tour des universités d’entrer dans la danse. Ainsi, lors de sa sortie du 26 mai 2020, le ministre de l’Enseignement Supérieur, de le Recherche et de l’Innovation a décliné la stratégie du gouvernement qui mise sur l’enseignement à distance (E-learning) pour « sauver » le reste de l’année universitaire. Là encore, le problème reste entier. Les enseignements tirés de la réforme de l’enseignement supérieur de 2013 semblent avoir montré que les conditions ne sont pas encore réunies pour favoriser l’enseignement à distance au Sénégal. En plus du problème d’accès à internet qui n’est pas garanti se pose la question de l’environnement de travail dans ce contexte de la COVID 19.

En effet, devant la fermeture des universités, le télé-enseignement semble devenir la seule alternative. Or, la structure et les réalités de la famille sénégalaise (pour ne pas dire la famille africaine) ne favorisent pas cette dernière car, pour faire de la recherche et dispenser ou suivre les cours, les enseignants et les étudiants doivent répondre aux interpellations parfois « capricieuses » de leurs familles. Quelle sera la fin de tout ça ? Faudrait-il « sauver l’année scolaire » au risque d’exposer le personnel enseignant et les élèves/étudiants à la pandémie de la COVID 19 ? En attendant de trouver une réponse à ces questions, l’État ne devrait-il pas envisager « l’année blanche » comme une option et non une catastrophe ?

Koly FALL, Doctorant en sociologie Université Cheikh Anta Diop de Dakar

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