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Pourquoi La Corniche De Dakar Pose-t-elle Un Probleme ?

Pourquoi La Corniche De Dakar Pose-t-elle Un Probleme ?

Les Sénégalais, comme à leur habitude, se passionnent ces jours-ci autour du débat sur la Corniche de Dakar et son occupation par des supposés « privilégiés. Et comme d’habitude, ce sont les aspects «spectaculaires» et très personnalisés du problème qui nous mobilisent. Ce faisant, nous ne parlons que de la surface et non pas de ce qui rend cette discussion essentielle par rapport au bien commun.

J’ai entendu plusieurs personnes protester du fait de la polarisation du débat sur la Corniche de Dakar alors que nous avons 700 kms de côtes. Un responsable administratif a même dit que les Sénégalais attributaires de terrains sur la Corniche de Dakar étaient des compatriotes comme les autres et avaient autant droit au bord de mer que les habitants d’autres zones (villageoises, s’entend) de résider au bord de la mer. Ce type d’analyse ne prend pas en compte la spécificité de notre capitale. Dakar est une presqu’île regroupant plus de 3.000.000 d’habitants.

Dans cette ville surpeuplée, sujette aux embouteillages, polluée… la qualité de l’environnement est un enjeu crucial pour chaque habitant. Déjà, les colons s’étaient installés sur la partie haute de la ville, loin des zones marécageuses, en expulsant une grande partie de la population autochtone. Le combat pour le contrôle de l’espace ne date pas d’hier.

La configuration de la ville et de son site naturel fait qu’elle est extrêmement sensible aux changements de conditions géographiques. Il suffit d’étudier la pollution dakaroise pour se rendre compte que la difficulté de circulation des alizés rend certains endroits de la ville littéralement invivables. Les obstacles que constituent les constructions sur la Corniche en sont très souvent la cause. Second problème posé par cette occupation : l’érosion côtière. Les lébous expriment leurs préoccupations environnementales par un adage très évocateur. Ils considèrent qu’il y a, au nord et au sud de la presqu’île, une mer mâle et une mer femelle. Le jour où la mer femelle rejoindra son époux, la mer mâle, ce sera la fin de Dakar. Jolie figure de style pour expliquer que l’érosion côtière peut transformer la partie occidentale de la presqu’île en une véritable île. Or les lébous ne construisaient pas sur le bord des falaises. Ils y plantaient des cactus pour les stabiliser.

En réalité, il est nécessaire de remonter à la loi 76-66 portant code de l’Etat. Cette loi définit ce qu’est le Domaine Public. Et à son article 4, alinéa a., le domaine public maritime est défini en ces termes : « la mer territoriale, le plateau continental, tel que défini par la loi, la mer intérieure, les rivages de la mer couverts et découverts lors des plus fortes marées, ainsi qu’une zone de 100 mètres de large à partir de la limite atteinte par les plus fortes marées. »

Cette définition est claire et n’a jamais posé de problème pendant les quarante premières années de notre indépendance. Il est précisé, à l’article 9, « le domaine public est inaliénable et imprescriptible ». Les articles 11, 13, 16 et 19 fixent les conditions d’un déclassement éventuel et d’une possible cession. En particulier, l’article 13 précise que « Les autorisations d’occuper le domaine public naturel ou artificiel sont accordées à titre personnel, précaire et révocable. L’acte accordant l’autorisation précise les conditions d’utilisation de la dépendance du domaine public qui en fait l’objet.

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L’autorisation peut être retirée à tout moment sans indemnité. » Les conditions de cession et d’occupation étaient parfaitement claires jusque très récemment. Les procédures permettant de transformer les baux en titres fonciers ont été perçues par beaucoup comme une simple facilitation du droit de propriété pour les citoyens. C’était oublier que cette procédure permettait également aux titulaires de baux sur le domaine public de l’Etat (dans le cas d’espèce sur le domaine public maritime) de transformer ces baux en titre foncier.

Cependant, il est remarquable que toutes les installations en dur (donc non précaires et révocables) qui ont été faites sur le DPM avant la mise en œuvre de cette procédure violaient les conditions de mise en œuvre des permis d’occuper et des baux. Au Sénégal, ces situations, au lieu d’être interdites et analysées comme des violations, sont considérées comme des droits acquis et les titulaires de baux sur le DPM ont pu faire « régulariser » leur situation. C’est la première anomalie. La loi dit : « nul ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude ».

Pourtant, de nombreux titulaires de baux ont pu profiter de la procédure de «  régularisation en titres fonciers  », alors qu’ils avaient contrevenu à la loi. Pourtant, il serait injuste d’arrêter l’analyse à ce constat. Les propriétaires ne sont que la dernière roue de la charrette. Et, qui refuserait la possibilité de détenir un terrain bien placé et de grande valeur que l’on peut acquérir à des conditions extrêmement avantageuses ? Il nous faut donc remonter la chaîne des décisions. Pour occuper un terrain du DPM, il y a deux possibilités selon la loi : soit bénéficier d’un droit d’occuper suivant les conditions de la loi ; soit profiter d’un déclassement du terrain.

Dans le premier cas, nous avons vu que l’occupation du terrain doit être temporaire, révocable et précaire. Or, nos services octroient des autorisations de construire pour des bâtiments qui sont tout sauf précaires. Le propriétaire a donc beau jeu de se prévaloir de cette autorisation. Il est important à cette étape de préciser que, si les Maires sont chargés de la police de l’urbanisme et, à ce titre, signent les autorisations de construire, ce sont les services centraux de l’Etat, (à Dakar, le Service Régional d’Urbanisme) qui sont chargés de l’instruction des dossiers. L’Etat ne peut donc occulter sa responsabilité dans la délivrance des permis de construire.

En outre, les autorisations signées par les maires font l’objet d’un contrôle de conformité par l’autorité administrative. Quant au déclassement d’un terrain du Domaine National, il ne peut intervenir que sous la forme d’un décret, acte signé par la plus haute autorité de l’Etat. Ce qui suppose que monsieur le Président de la République donne, en toute connaissance de cause, son accord à l’occupation du DPM, ou alors (ce qui serait plus grave), qu’il est induit en erreur par ses propres services qui lui présenteraient le déclassement comme d’une importance vitale pour le bien public, alors qu’il servirait des intérêts privés.

DÉFICIT ÉTHIQUE

En réalité, si la Corniche de Dakar retient l’attention, elle est simplement la partie émergée de l’iceberg. De 2000 à nos jours, le nombre de scandales liés à la gestion du foncier ne se compte plus. Des terres de Mbane à la Corniche, en passant par l’occupation des forêts de baobabs, il ne se passe pas de mois sans que nos consciences de citoyens ne soient interpellées par la gestion du foncier dans notre pays. Elus locaux emprisonnés, marches de populations, rien n’y fait. L’appropriation du bien public le plus disponible est devenu un sport national. En première division jouent nos élites politiques. La politique est devenue un moyen très efficace de promotion sociale et d’accès aux ressources du pays, parmi lesquelles la terre.

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Ainsi, on a vu des politiciens devenir riches promoteurs immobiliers du jour au lendemain ou des « hommes d’affaires » profiter de leurs relations avec des politiques pour se faire attribuer des hectares de terre sous prétexte de réaliser des projets sociaux qui, au finish, ne sont pas accessibles au commun des Sénégalais. On a vu un fonctionnaire de l’Etat se faire attribuer des terrains en vue de la création d’une école nationale, terrains qui ont fini en parcellaire vendu à prix d’or. On a vu disparaître les réserves foncières de la Foire de Dakar. On a vu les agressions contre la forêt de Baobabs, les agressions contre la forêt de Mbao. En réalité, le foncier est vu par nos élites comme un moyen rapide et efficace d’enrichissement. Faisons un peu de fiction: L’Etat du Sénégal, en application de la loi n° 94/64 du 22 août 1994, décide de vendre à la société Mamadou Jean-Charles TALL et frères, un terrain faisant l’objet du titre foncier XXX/DG, propriété exclusive de l’Etat du Sénégal, (donc faisant partie du patrimoine privé de l’Etat) d’une superficie de 29 ha environ, au prix de 2.175.000.000 FCFA. L’Etat me permet d’acquérir au prix de 3107,142857 FCFA le m2, un terrain que je dois mettre en valeur.

 Jusque là j’ai juste profité des opportunités qui s’offraient à l’homme d’affaires que je suis. Mais pour me vendre le terrain, l’Etat l’a inclus dans un programme prioritaire qui me fait obligation de construire dans un délai maximum de trente mois, un programme comprenant des villas et autres équipements touristiques. Si dix ans après l’échéance, mon programme n’est pas encore terminé et que l’Etat n’a pas repris son bien, alors il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Et il est normal que monsieur X, promoteur immobilier se demande pourquoi lui n’a pas bénéficié de terrains au prix de 3107 FCFA le m2. Il est normal que le Sénégalais lambda se demande pourquoi il ne trouve pas de terrain pour construire sa maison à moins de 80.000 voire 400.000 FCFA le m2.

Second exemple, l’Etat du Sénégal décide de construire un monument à la gloire de la lutte de libération des Noirs et contre le racisme. Il n’a pas prévu de budget pour l’érection de ce monument. La SCI Mamadou Jean-Charles TALL s’engage à payer le coût de ce monument (disons douze milliards de francs). En contrepartie de la cession d’un terrain de 14ha soit 140.000 m2 cédés à 85.714 FCFA le m2, prix un peu plus élevé mais qui, bien placé dans Dakar, me permettra de revendre les terrains, en faisant une plus-value conséquente. Sauf que, par avenant, l’Etat renonce à me vendre les terrains visés et me propose en substitution 21 ha (210.000 m2), juste à côté des premiers terrains, à 4410 FCFA, le m2 ainsi qu’un autre terrain proche de 7 ha (70.000 m2), à 8270 FCFA le m2.

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Pour obtenir 280000 m2, bien situés (mettons sur la Corniche de Dakar) j’aurais donc déboursé 1.323.000.000 FCFA. A Dakar, en réalité, ces terrains valent au moins 420.000.000.000 FCFA sur la base de 150.000 FCFA le m2. Et suprême coquetterie, l’Etat acceptera de notifier que la valeur vénale des terrains qui m’ont été octroyés est inférieure au prix de 12.000.000.000 FCFA que je me suis engagé à verser pour la construction du monument à la gloire de la lutte de libération des Noirs et contre le racisme. Je suis donc un héros national qui a accepté de perdre environ 10 milliards de francs CFA pour la gloire de mon pays. Comme vous le voyez, les sommes en jeu sont vertigineuses.

 Rassurez-vous, c’est de la fiction. Si j’avais réalisé une pareille opération, les inspecteurs d’Etat auraient démontré en moins de trente minutes que cette opération avait des relents pas très nets. Et je serai en prison depuis longtemps. Il y a aussi les joueurs de seconde division, ceux qui, parce qu’ils occupent un poste administratif leur permettant d’être au courant de certaines affaires, se sont constitué un patrimoine foncier considérable. Mais en fait, personne ne parle de ces deux niveaux d’élite. Ceux qui trinquent, ce sont les citoyens ordinaires dont les maisons sont détruites parce qu’ils ont acheté un terrain ayant les atours de la légalité. Sauf que certains avaient aussi un permis de construire. Ou occupaient une maison dont ils payaient régulièrement le loyer à l’Etat. Quand on joue en division d’honneur, il ne faut pas ignorer la loi. Ici interviennent les notions de transparence, de bonne gestion, d’égalité des citoyens devant la loi, d’éthique.

Tous ces scandales traduisent d’abord un déficit éthique dans notre pays. Ayant réalisé les opérations juteuses dont je parle plus haut, (de manière totalement fictive, bien entendu), j’appliquerai, sans vergogne aucune, l’une des tactiques de la première division : la transhumance que WIKIPEDIA définit comme suit  : « La transhumance est la migration périodique du bétail (bovidés, cervidés, équidés et ovins) entre les pâturages d’hiver et les pâturages d’été. Elle a pour objectif l’engraissement du troupeau mais aussi sa reproduction.”

En langage trivial, on va brouter là où l’herbe est plus verte. Et comme par magie, cela nous rend plus vertueux. D’autant que les candidats à l’élection présidentielle oublient souvent leurs promesses de campagne de raser tout ce qui a été édifié en « violation des règles » et d’obliger tous les contrevenants à rendre gorge. Or on sait qu’au football, le rêve des divisions inférieures c’est de jouer comme en première division. Que l’on ne s‘étonne pas, dès lors, que le citoyen Lambda essaie, avec les moyens du bord d’user des mêmes recettes que l’élite.

MAMADOU JEAN CHARLES TALL

ARCHITECTE







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