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Cachez Ce Noir Que La Republique Ne Saurait Voir

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De Cuba à l’Assemblée nationale en passant par la mairie de Paris, découvrez l’histoire exceptionnelle mais néanmoins ignorée de Severiano de Heredia, ce métis et descendant d’esclaves devenu ministre de la République.

C’est un personnage au destin romanesque ! Une personnalité des plus fascinantes qui s’inscrit dans la longue tradition des grandes figures ayant laissé leur trace dans l’histoire de France, mais que le roman national a préféré (volontairement) oublier !

Vous ne connaissez certainement pas Severiano de Heredia, il s’agit pourtant d’un précurseur, d’un grand homme qui aura marqué le XIXe siècle et la IIIe République de son empreinte. Né en 1836 dans la ville de Matanzas à Cuba – alors territoire de la couronne espagnole -, ce métis au teint hâlé est le fruit de l’union entre deux esclaves de couleurs qui furent affranchis avant sa naissance.

Baptisé en tant que «mulâtre né libre», il a pour parrain un certain Ignacio Heredia y Campuzano, lequel serait, selon certaines rumeurs, son véritable père biologique. Une filiation qui ferait de Severiano le cousin issu de germain du célèbre poète franco-cubain José-Maria de Hérédia, membre de l’Académie française de 1894 à 1905. Francophile comme beaucoup d’Espagnols du Cuba de l’époque, son parrain – qui lui léguera l’ensemble de sa fortune à sa mort en 1848, lui assurant ainsi un avenir confortable – l’envoie faire ses études en France dès 1846, alors que le petit Severiano n’est âgé que de 10 ans.

UNE AMBITION POLITIQUE

Brillant élève du prestigieux lycée Louisle-Grand de Paris, Severiano de Heredia en sort diplômé en rhétorique non sans avoir obtenu le grand prix d’honneur de l’établissement, en 1855. Cultivé et amoureux des lettres, le jeune homme – initié à la franc-maçonnerie en 1866 – embrasse alors une carrière de poète et de critique littéraire, mais s’intéresse de plus en plus à la politique. Épris des idéaux républicains et animé d’une certaine ambition, il décide après mûre réflexion de s’engager politiquement afin, comme il le dit à qui veut l’entendre à l’époque, de rendre à la France ce qu’elle lui a donné.

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Après avoir demandé la nationalité française qu’il obtient en 1870, deux ans après son mariage avec Henriette Hanaire (qui lui donnera deux enfants), c’est donc tout naturellement qu’il intègre peu à peu le microcosme politique parisien, où son charme et ses idées vont faire mouche. Défenseur de la laïcité, fervent partisan de la liberté de la presse et favorable à l’instruction universelle chère à Jules Ferry, il commence à se faire un nom dans la IIIe République balbutiante et va très vite occuper des postes importants. En avril 1873, il est ainsi élu au Conseil municipal de Paris pour le quartier des Ternes (XVIIe arrondissement), sous l’étiquette des très influents Républicains radicaux. Il est alors le seul «homme de couleur» à siéger au sein de l’assemblée parisienne.

Mieux, le 1er août 1879, après six ans de bons et loyaux services, Severiano de Heredia s e v o i t confier à l’âge de 42 ans la présidence du Conseil municipal, soit la fonction suprême de la ville qui correspond aujourd’hui au poste de maire*. Il devient par la même occasion le premier et à ce jour seul noir à avoir dirigé la municipalité de Paris. Approuvée à l’unanimité par ses collègues du conseil – comme il était d’usage à l’époque dans un système de rotation de la présidence tous les 6 mois -, sa nomination en dit long sur la popularité et la confiance dont il jouissait auprès de ses collaborateurs.

LA CONSÉCRATION AVANT LE DÉCLIN

En août 1881, il continue son irrésistible ascension sur la scène politique française en étant élu cette fois député de la Seine dans son fief du XVIIe arrondissement de la capitale, où une rue porte aujourd’hui son nom. Il sera réélu en novembre 1885 pour un deuxième mandat qu’il devra néanmoins délaisser temporairement de mai à décembre 1887, afin d’intégrer – honneur ultime – le gouvernement de Maurice Touvier qui le nomme ministre des Travaux publics. À 51 ans, c’est l’apothéose de sa carrière politique ! Durant cette période, il se distingue notamment par son combat en faveur de la réduction du temps de travail des enfants de moins de 12 ans, dans les usines. Mais son passage au ministère s’avère bref et sera surtout marqué par les préjugés liés à sa couleur de peau ! Celui que ces détracteurs surnomment alors « le nègre du ministère » subira en effet, tout au long de son mandat, de nombreuses attaques à caractère raciste, orchestrées entre autres par une certaine presse. Jusqu’alors relativement épargné par ce ce genre de saillies nauséabondes, il doit soudainement faire face à un déferlement de haine, symptomatique d’une époque où les mentalités restent influencées par le racialisme et la hiérarchisation des races.

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Bon nombre de ses contemporains ne voyaient pas d’un bon œil la présence d’un métis au gouvernement, dans une période où la propagande coloniale s’évertuait à dépeindre les personnes de couleurs comme des êtres inférieurs que la France se devait de civiliser. Severiano de Heredia était pourtant la preuve vivante qu’une telle idéologie raciste et xénophobe n’était qu’un tissu de mensonge, motivé par la prétendue supériorité de la race blanche. Aux yeux de nombreux politiques, il fallait l’évincer, mais il tint bon et continua d’exercer ses fonctions avec courage et dignité. Avec l’arrivée au pouvoir du nouveau président Sadi Carnot en décembre 1887, les ministres du gouvernement Touvier vont néanmoins quitter un à un leur poste et Severiano de Heredia retournera dans l’hémicycle, pour y parachever son mandat de député. Le début du déclin !

Après deux revers consécutifs aux élections législatives de 1889 puis 1893, il décide finalement de se retirer de la vie politique pour se consacrer à la littérature, qu’il n’aura jamais cessé de chérir toute sa vie. Il meurt d’une méningite foudroyante dans son domicile parisien le 9 février 1901, à l’âge de 64 ans. Sa dépouille repose au cimetière des Batignolles.

Longtemps, trop longtemps, sa vie a été oubliée comme effacée des mémoires de la République et aujourd’hui encore, aucun manuel d’histoire, ni même de statue ou autre portrait officiel ne rend hommage à ce précurseur d’un autre temps. « Severiano de Heredia a été une victime – je ne sais si centrale ou collatérale – de la politique coloniale de la France en Afrique, et de la persistance d’un état d’esprit colonialiste chez nous, même après l’étape dite de la décolonisation », rappelait à juste titre, il y a quelques années, l’historien Paul Lestrade qui lui a consacré un livre en 2011**. À l’heure où l’épineuse question du racisme systémique se pose dans notre pays, la République, si prompte à donner des leçons de morale en matière de représentativité, gagnerait à se rappeler qu’un homme de couleur et descendant d’esclaves affranchis fut jadis «maire» de Paris, puis ministre et député. Depuis, plus rien ou si peu…

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*Le président du Conseil municipal ne détenait pas le pouvoir exécutif qui dépendait du préfet de la Seine.

** Paul Estrade, « Severiano de Heredia, ce mulâtre cubain que Paris fit «maire» et la République ministre », Paris, Les Indes savantes, coll. «La Boutique de l’histoire », 2011, 162 p







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