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Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

Khalid Lyamlahy, Lettres Capitales

Khalid Lyamlahy, Lettres Capitales

Auteur, critique, universitaire, Khalid Lyamlahy est un ambassadeur des lettres, au profil atypique et précieux dans le paysage littéraire africain et maghrébin. Auteur en 2017, aux éditions Présence africaine, de « Un roman étranger », un texte qui interroge la création littéraire, les réflexions sur le renouvellement du titre de séjour et l’amour. Passé par Oxford et aujourd’hui enseignant à l’université de Chicago, il porte un regard, entre autres, sur les relations littéraires des deux côtés du Sahara, sur la nécessité d’une critique exigeante. Entretien et portrait.

Par quel bout prendre l’affaire ? Khalid Lyamlahy n’est pas tellement garçon à se laisser deviner ; il n’est pas non plus avare et donne l’embarras du choix. Auteur, critique, universitaire, simple lecteur, il cumule les casquettes – sans disharmonie, ni conflits -, jusqu’à s’affirmer comme un profil précieux pour lire les lettres africaines et maghrébines, en les réconciliant tout en dégageant l’horizon. Un roman d’abord, entre tout, au titre peu évocateur ‘un roman étranger’, publié en 2017 aux éditions Présence africaine. On y suit les réflexions d’un narrateur sur l’écriture, prenant le prétexte du renouvellement de son titre de séjour, pour mettre en miroir les démarches préfectorales harassantes et la tâche du romancier : créer. La quête de l’amour tapisse l’arrière-fond du récit. L’idée d’un tel parallèle est perspicace et le long des pages, elle se révèle pertinente, avec un réel flair. D’une écriture mature, capricieuse, parfois presque symétrique dans la longueur des phrases, il signe un texte abouti et réflexif, qui sous des dehors doux, explore la création et laisse sourdre un regard sur la migration, reprenant presque à son compte le mot de Sartre : « glissez mortels, n’appuyez pas ». En fermant ce court roman, il reste un goût d’inachevé, tant l’auteur porte un discours ouvert sur la signification même de l’écriture, et tout ce qui l’environne, lui donne sa matière : la vie. A ce propos, Khalid Lyamlahy est déjà un tantinet au clair sur le sens qu’il donne à ses perceptions de l’écriture : « Ecrire, c’est tenter d’appréhender un monde qui ne cesse de nous échapper ou de nous être refusé (…), un monde souvent étouffé dans des jeux de pouvoir, des rapports de domination, des logiques de fuite, d’exclusion et de mise à l’écart ».

« Un roman étranger »

Le narrateur qui porte le récit, étudiant dans une ville européenne que l’on devine française, entretient une relation d’amour brumeuse et indicible avec Sophie, collègue étudiante. Il partage la même condition du créateur en bute à la sécheresse de l’inspiration avec Lucien, autre protagoniste, artiste peintre et ami de la faculté. Le roman triangule entre ces trois personnages. On les suit, mais surtout, on embarque à l’ombre du narrateur omniscient, dans son récit du quotidien, du détail. Pour un tel livre qui parcourt les labyrinthes de la création, « le déclic, selon l’auteur, est venu par la forme : j’ai eu d’emblée, confie-t-il, l’idée de construire le roman suivant une structure triangulaire alternant les trois niveaux de la narration (le renouvellement du titre de séjour, l’écriture du roman et l’histoire d’amour.) » Les trois échelles, pas tellement proches en termes d’affinités naturelles, cheminent pourtant, avec la trame commune de l’angoisse, de l’incertitude et de la peur comme socle commun. « Comment transformer la carte de séjour en « objet » littéraire et comment faire dialoguer la page blanche et la pièce d’identité ? », se demande l’auteur ». « Dans un cas comme dans l’autre, et même s’il n’est jamais total ou abouti, « l’épanouissement » – pour reprendre votre terme – s’apparente à un long parcours figurant à la fois le cheminement de l’écriture, avec son lot de doutes et d’incertitudes, et la quête du titre de séjour, avec sa somme d’étapes éreintantes. » C’est ainsi que par le menu, toutes les démarches de renouvellement les objets, les décors, les situations, sont décrits avec une remarquable minutie et une restitution presqu’ethnographique.

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Les nuits d’angoisse, l’encre sèche face à la feuille blanche, les jours sans, tout devient prétexte pour questionner le processus d’engendrement du texte, plus globalement, celui de la création artistique. Sensible et identificatoire, le texte parle à tous, mais surtout, à cette somme d’étrangers, réguliers des couloirs et des guichets consulaires. Plus qu’un clin d’œil, l’auteur l’a inscrit au cœur de son projet : « j’ai voulu aussi écrire un roman qui témoigne à la fois de l’expérience d’un grand nombre d’étrangers et de la souffrance inhérente à toute création ».  Une telle ambition aurait pu s’alourdir d’un militantisme, trait commun de beaucoup de livres africains sur l’immigration, forme de « lamentations sacrées » mais coup de bol, le texte ne verse jamais dans le discours politique. « Je ne voulais pas écrire un réquisitoire mais plutôt un témoignage romancé sur l’expérience du renouvellement du titre de séjour », abonde-t-il, clarifiant le choix. Le produit ? Une philosophie ouatée et un art du roman empreint de maîtrise, marquent déjà une écriture qui habilement met à distance le récit, où l’auteur s’engage sans se dévoiler. Et la réception n’a pas manqué de le saluer. Sur le plateau de Lareus Gangoueus[i], la tonalité de l’appréciation du critique Zacharie Acafou, est élogieuse. Il note un style « détaché », « un enchainement des phrases », un texte « calme » et livre son verdict sur ce qui a été manifestement une belle lecture : « livre à lire ». On note le même enthousiasme chez Julie Gonnet pour Jeune Afrique [ii]qui relate les « obsessions » de l’auteur dans sa quête.

Atelier du nouveau roman

De quelle école tient-il sa filiation ? Khalid Lyamlahy ne semble pas être homme à s’encombrer de figures tutélaires, potentiellement invasives. Grand lecteur, des Balzac, Flaubert, Stendhal, Proust et Cie, il fait néanmoins une halte marquée quand on lui demande des inspirations, chez les figures du nouveau roman : « je garde une affection particulière pour les romans de Robbe-Grillet, Simon, Sarraute, Ollier, Butor et les autres. Leurs écrits m’ont alerté sur la nécessité de saisir la réalité dans ce qu’elle a de plus immédiat et de plus éphémère tout en interrogeant de manière continue « l’aventure de l’écriture », pour reprendre le terme de Jean Ricardou ». Le roman s’inscrit effectivement dans ce sillage, en saisissant à la volée, l’instant, le détail, le sentiment furtif, l’élément fugace ; tout se fondant dans un propos plus global sur le sort des étrangers. Il va même au-delà, en interrogeant l’écriture elle-même, comme question fondamentale de la quête de sens. On pourrait, pour chasser des ascendances, songer à l’absurde parfois dans la maniaquerie de l’écriture, mais la figure est trop convenue.

L’ambiance au ralenti qui accueille le lecteur le conduit à se demander quel créateur se cache derrière ce roman à la fois étrange et étranger ; à l’auteur d’abord, aux lecteurs ensuite, même si tous se retrouvent, bon an mal an au fil des pages, dans la mêlée. L’une des réussites du livre entre autres, c’est justement cette facilité de l’auteur à jouer avec lui-même, avec le lecteur, sans que le style ne soit marqué par une désinvolture particulière, une ironie mordante, ou une cascade d’émotions. Sans manquer dans le texte, ils épousent une marée basse, où d’un jet homogène, tout semble être dit avec l’économie de procédés. Ce qui donne un tonus et une patte spéciale à ce roman de la migration, si peu politique, et qui fait triompher la littérature du piège du combat idéologique toujours prêt à se refermer sur le sujet.

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Passerelle entre l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord

Cette élégance, on la retrouve, identique dans les mots de l’auteur, sur son propre texte. A nos questions, la même précocité, parfois, un poil, agaçante, tant il semble méconnaître ou mépriser les vagues. Tout paraît soupesé. L’horizon d’écriture, maîtrisé. Cet air de rien est-il pour autant une renonciation ? Un retrait ? Pas vraiment. Il s’en explique : « Personnellement, je pense qu’il faudrait mettre encore plus de lumière sur les conditions, souvent absurdes et inhumaines, qui créent cette tension et favorisent l’humiliation, le rabaissement et l’exclusion des étrangers ». S’il a été bien reçu du Maroc à la France, en passant par l’Angleterre, ce roman évolue dans un espace littéraire non identifié : l’espace entre l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord. Marocain, Khalid Lyamlahy, ne peut manquer de remarquer cette étrangeté qui fait des discontinuités dans le paysage littéraire. Outre l’évidente barrière de la langue, la littérature maghrébine reste très méconnue en Afrique et inversement.

 Si l’auteur a été publié par Présence africaine, le constat lui reste inchangé, un poil amer, sur l’absence de passerelles, encore plus marquée dans les nouvelles générations. Car, comme le rappelle, l’auteur : « On oublie souvent que Présence Africaine a publié des auteurs maghrébins tels que le poète algérien Noureddine Aba, l’universitaire et économiste marocain Driss Dadsi ou encore l’écrivain et dramaturge tunisien Hafedh Djedidi. » Cette période paraît lointaine et confidentielle pour beaucoup. Preuve que les ruptures semblent plus nettes, sans être condamnées, Khalid Lyamlahy esquisse des pistes sur cette histoire non soldée, héritière des traites transsahariennes et de leurs séquelles : « il faut enseigner et étudier cette histoire, éclairer les consciences, rappeler les crimes du passé et œuvrer au présent pour éradiquer les différentes formes de racisme qui, faute d’éducation, continuent malheureusement de sévir au Maghreb et ailleurs. Il me semble aussi que l’une des clés est d’apprendre à « franchir » cette pseudo-séparation entre le nord maghrébin et le sud sub-saharien : par exemple, les auteurs maghrébins devraient lire beaucoup plus leurs confrères sub-sahariens et vice-versa. A cet égard, la traduction doit jouer un rôle majeur de transmission et de désenclavement. Malheureusement, très peu d’auteurs africains sub-sahariens sont aujourd’hui traduits en arabe : c’est incompréhensible ! » Le diagnostic est on ne peut plus précis ; le chantier lui, immense, dans un désert saharien au sens total du mot qui engloutit les initiatives et dresse des bordures.

Le profil de critique

De ce propos pénétré d’expérience et d’acuité sur le paysage littéraire, se dessine le profil d’un homme en lettres capitales. Né à Rabat en 1986, Khalid Lyamlahy a grandi « dans une famille d’enseignants de langue arabe spécialisés respectivement en rhétorique et en grammaire » Le pedigree est déjà là mais aussi le potentiel conflit linguistique. « A la maison, j’ai pu lire les œuvres des grands romanciers arabes même si je me suis très vite focalisé sur la littérature francophone », se souvient-il. Si les études en lettres ont mauvaise presse, « certes, je suivais une formation scientifique, mais je prenais soin de maintenir un rythme soutenu de lecture », il s’entête. Comme une évidence, la littérature s’affirme d’elle-même et une anecdote ancre un peu plus le choix : un concours d’écriture remporté au centre culturel français. Un lieu fondateur ? « Dans ma jeunesse, la fréquentation du Centre culturel français m’a beaucoup marqué : c’est là que j’ai découvert et cultivé ma passion pour la littérature et plus tard pour l’écriture. »

Tout cela le mènera à embrasser des études de lettres à la Sorbonne Nouvelle d’abord, ensuite à Oxford où il soutient son doctorat consacré aux thèmes de la révolte et de la mémoire dans l’œuvre de trois auteurs marocains contemporains. C’est dire que le jeune chercheur est dans son élément. Les textes, il les connaît. A côté du romancier, cette fibre critique se développe. Dans ses recensions, dans des revues et journaux spécialisés en littérature, dont principalement En Attendant Nadeau (dirigée par l’ancienne équipe de La Quinzaine littéraire fondée par Maurice Nadeau en 1966), Non-Fiction.fr et Zone Critique, la tonalité studieuse partage la même distance, la même force d’analyse, et une fidélité de la restitution : « L’écriture correspond à la tentative de restituer, et peut-être combler, cet écart. » Parent pauvre du paysage littéraire africain, très souvent vilipendée pour ses soumissions aux coteries, la critique peine à s’épanouir. Elle est éreintée, parfois injustement, tant les champs ne paraissent pas également dotés. Dans la critique universitaire, la tradition ne s’affadit pas. C’est plus globalement dans celle accessible, médiatique, que semble régner une complaisance qui va jusqu’à disqualifier le genre réduit à une petite portion sans portée et surtout incarnée par des figures hors du continent dans l’extraversion habituelle. Khalid Lyamlahy en est conscient : « Je profite de cet échange pour souligner qu’il y a un besoin urgent de développer et de promouvoir la critique littéraire en Afrique. La critique exigeante prolonge l’œuvre, donne sens à l’écrit, ouvre des espaces de réflexion et d’échange. C’est là un exercice qui doit être pris au sérieux. » Il s’inscrit dans un regard plus global, dans l’essence même de l’exercice : « La critique est une école de l’exigence et de l’humilité mais aussi l’occasion de saluer l’effort d’un travail, d’entamer un dialogue à distance avec son auteur et d’ouvrir des pistes de réflexion. » Un constat salutaire de nécessité d’échange, entre tous les niveaux de la critique : « J’essaie de pratiquer une critique qui combine la rigueur de l’universitaire, le souci d’informer du journaliste et la sensibilité réfléchie du lecteur lambda ». On ne saurait dire plus sinon souhaiter la venue de ce temps, en une expression plus contagieuse.

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Depuis l’hiver 2019, Khalid enseigne les lettres maghrébines à l’université de Chicago. Il a pris le chemin de nombres de profils universitaires formés en France qui cèdent à l’appel de l’Atlantique, aussi pour échapper aux crispations françaises « et peut-être les repenser à partir d’une nouvelle perspective », glisse-t-il. Le contrat semble rempli et à l’aube d’une vie pleine de lettres au sens plein, le gamin mordu de foot de Rabat, même un brin nostalgique de ce qu’est devenu son sport fétiche aujourd’hui industrialisé, élargit le champ. Lui qui aime le jogging : « La course à pied m’installe dans une forme de vide salutaire qui me rappelle l’écriture : l’esprit s’éclaircit et les idées se renouvellent. J’ai également une grande passion pour les voyages et l’art en général ». Ça ferme le ban ! Un profil de l’agrégation, de la superposition. Hétéroclite ou éclectique ? C’est selon. Un nouveau souffle générationnel dans les lettres africaines qui embrassent tout le monde, sans céder aux tentations particularistes, non plus à celles de la dilution ? C’est un vœu commun, déjà en lettres capitales, avec celui qui en fait frémir le rêve.

Note : Cette chronique est la dernière de cette rubrique qui s’achève. Merci pour les lectures, les mails et les commentaires. Et un merci tout spécial aux ‘idoles’ célèbres ou anonymes qui ont nourri les textes.

elgas.mc@gmail.com

[i] http://www.sudplateau-tv.fr/2017/05/17/les-lectures-de-gangoueus-invite-…

[ii] https://www.jeuneafrique.com/mag/405592/culture/litterature-quete-dun-ex…







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