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Du Racisme Dans Les Sciences Sociales

La question du racisme anti-noir est revenue au-devant de l’actualité à la suite de l’assassinat, le 25 mai dernier, de George Floyd, aux États-Unis. Pour dénoncer le racisme « systémique » contre les Noirs, des manifestants ont même déboulonné des statues de grandes personnalités dont les noms sont associés au racisme. De vénérables institutions comme la Banque d’Angleterre et l’Église anglicane se sont livrées à une repentance publique pour leur rôle dans la traite négrière. Au Sénégal, un vif débat oppose partisans et opposants du déboulonnage de la statue de Faidherbe à Saint-Louis. Il faut se réjouir de cette mobilisation. Mais, dans ce débat, on a peu parlé des ressorts même de ce racisme anti-noir. En effet, c’est dans la production des savoirs, notamment dans les sciences sociales, que ce racisme a trouvé ses fondements les plus solides. Des disciplines comme la philosophie ou l’ethnologie (rebaptisée anthropologie) ont été largement mobilisées pour introduire, dans les esprits, une vision inégalitaire des hommes et, par conséquent, justifier le racisme et l’entreprise coloniale.

Dans les premières années du XXe siècle, le philosophe Lucien Lévy-Bruhl (1857-1939) entreprend de faire de l’ethnologie – laquelle est ipso facto une éthique qui interdit le racisme ou le mépris culturel, selon Senghor – la science du tout autre, de ce qui « nous » (entendons l’Europe) est totalement étranger. Sous son influence, l’ethnologie qui, au commencement de la discipline, a fait de la curiosité pour l’altérité son objet, devant ainsi mener à une sorte de sagesse ethnologique, en vient à remettre en cause « l’unité et l’identité de l’esprit humain ». En introduisant un « dualisme cognitif », en traçant une frontière quasi infranchissable entre la mentalité des sociétés primitives et la « nôtre » (européenne), Lévy-Bruhl posait ainsi les bases de la négation de l’Autre (Noir), remettant ainsi en cause l’unité de l’esprit et finalement du genre humain.

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Cet essentialisme, c’est-à-dire une différenciation essentielle entre race noire et race blanche – différence fixée une fois pour toutes – on le comprend aisément avait pour but de « matérialiser » l’homme et de le priver de toute espérance, soit par la volonté de démentir le récit mosaïque en alléguant « une diversité primitive des races humaines », soit, enfin, par le souci de défendre la domination coloniale en prétextant l’absence supposée des facultés morales du Nègres, pour se faire un titre de plus pour le traiter impunément comme les bêtes de somme.

Cependant, on aurait tort de n’incriminer que les sciences sociales uniquement, même si celles-ci sont plus poreuses à l’idéologie. Les idées les plus étranges peuvent parfois loger au cœur d’un discours scientifique. Si les théoriciens racistes des sciences sociales jouent avec des concepts, ceux sous-couvert de la science jouent, pourrait-on dire, avec le bistouri. À ses débuts, la biologie a été mobilisée pour les mêmes fins. À titre de comparaison, le naturaliste français Georges Cuvier (1747-1810) – pour la petite histoire, c’est lui qui disséqua Saartjie Baartman, la fameuse « Vénus Hottentote – et le philosophe allemand Hegel ont développé les mêmes idées racistes sur les Noirs, l’un sous-couvert de la science, l’autre de la philosophie. Leur objectif était le même : rabaisser le Noir au rang de sous-animal.

Au cours de l’histoire, plusieurs thèses, les unes plus saugrenues que les autres, ont été véhiculées, sous le couvert de la science, sur la race noire : l’un « pense que la couleur des Nègres est due à la couleur foncée du cerveau », alors que les anatomistes contemporains « trouvent la même couleur dans les cerveaux des Nègres et ceux des Blancs » ; l’autre croit que la « bile des Nègres est d’une couleur plus foncée que celle des Européens » ; tel autre encore fait de « la membrane réticulaire » l’explication de la couleur noire. Toutes ces absurdités ont été balayées par les progrès scientifiques. Certaines positions sont plus difficiles à tenir dans les sciences exactes !

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Pour les sciences sociales, l’aggiornamento a été beaucoup plus lent. Au-delà des dérapages personnels ou corporatifs, il y a des points communs entre les formulations extrémistes du racisme et la doxa des sciences sociales. Il suffit de voir la virulence de certains milieux intellectuels français à l’égard des postcolonial studies. Même si un travail de déconstruction est aujourd’hui largement effectué par des chercheurs africains et d’ailleurs. Plus étonnant encore, est l’attitude de certains intellectuels africains à l’égard de ces grands noms de la pensée accusés de racisme. Ainsi, avant que le philosophe sénégalais Djibril Samb ne s’attaque frontalement à Hegel dans le tome 3 de « L’heur de philosopher la nuit et le jour » (L’Harmattan Sénégal, 2019), la plupart de ses collègues africains se sont montrés « archirévérencieux, et même obséquieux », envers l’icône de la philosophie allemande qui, pourtant, a eu l’outrecuidance d’exprimer le plus absolu irrespect envers les Noirs. Ils restent tellement tétanisés par l’immense prestige de ces figures de la pensée qu’ils préfèrent les laver à grande eau du péché du racisme. Une attitude étrange qui, sans doute, mérite aussi l’attention des déboulonneurs de statues.







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