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Le Legislateur De 1976, Une Victime Des Pratiques Des Acteurs

Le Legislateur De 1976, Une Victime Des Pratiques Des Acteurs

L a loi n°76-66 portant code du domaine de l’Etat a, aujourd’hui 44 ans. Elle a été promulguée le 2 juillet 1976 et publiée au journal officiel, le 20 septembre 1976. Le domaine de l’Etat comprend le domaine public et le domaine privé. Une analyse statique du système foncier au Sénégal laisse apparaître à côté de ce domaine de l’Etat, le domaine national régi par la loi 64-46 du 17 juin 1964 et l’ensemble constitué par les titres fonciers des particuliers. A la différence du domaine national, un ensemble exclusif de toute idée de propriété, le domaine public et le domaine privé de l’Etat s’entendent de tous les biens et droits mobiliers et immobiliers qui appartiennent à l’Etat. A l’occasion d’un anniversaire de la loi sur le domaine national, nous avions publié un article intitulé Mérites, manœuvres et malheurs du législateur de 1964. Nous avons tenu, s’agissant du domaine de l’Etat, à mettre l’accent sur les malheurs du législateur de 1976 à la lumière de l’actualité autour de la gestion du foncier appartenant à l’Etat. Après avoir analysé la lettre et tenté de comprendre l’esprit de la loi portant code du domaine de l’Etat, nous estimons que le législateur de 1976 a mis en place un cadre juridique adéquat qui a malheureusement été dévoyé par la pratique des acteurs. Ce cadre juridique doit, aujourd’hui être actualisé.

 

I – UNE VOLONTE DU LEGISLATEUR CONSTAMMENT BAFOUEE

1- Comment ne pas voir, dans la gestion du domaine privé, que la volonté du législateur de 1976 a été bafouée au moins par rapport à deux choses : la maitrise par l’Etat de son patrimoine foncier et la préservation de ce patrimoine contre toute dilapidation. C’est au nom de l’exigence de maitrise de la consistance du domaine privé de l’Etat que le législateur de 1976 a tenu à ce que le tableau général des propriétés immobilières de l’Etat dépendant du domaine privé soit tenu à jour. L’autorité réglementaire est même allé jusqu’à exposer la configuration de ce tableau qui devait comprendre trois parties avec i) une première comprenant les immeubles affectés, classés par région et département et par service ou organisme utilisateur ; ii) une deuxième recensant les terrains bâtis ayant fait l’objet d’une autorisation d’occuper, d’un bail ordinaire, d’un bail emphytéotique ou d’une concession du droit de superficie et les classant par région, département, commune ou autre localité et iii) une troisième listant les terrains bâtis ou non bâtis disponibles, classés comme ceux de la deuxième partie. Si la tenue à jour du tableau était réellement réalisée, la réponse à la question sur la consistance du foncier appartenant à l’Etat ne serait pas « on ne sait pas exactement ». Qui peut nous dire, aujourd’hui avec exactitude ce que représente en volume le domaine l’Etat ?

Dans le but de préserver le patrimoine foncier de l’Etat, le législateur a retenu que toute vente par l’Etat d’un bien de son domaine privé doit être autorisée par une loi. Celle-ci a lieu de gré à gré ou par voie d’adjudication avec obligation de mise en valeur et aux conditions fixées dans chaque cas. Il y a eu les lois n° 87-11, 94-64 et 95-12 autorisant la vente de terrains domaniaux mais combien d’autres ventes ont été réalisées sans passer par le parlement ? Le législateur de 1976 soumet toutes les opérations intéressant le domaine de l’Etat, à l’avis de la Commission de Contrôle des Opérations Domaniales (CCOD) qui est tenue de se prononcer sur leur opportunité, leur régularité et leurs conditions financières. Quelle est la part de responsabilité de cette instance dans la gestion peu orthodoxe et peu transparente du patrimoine foncier de l’Etat ? Les griefs contre cette instance sur laquelle le législateur de 1976 comptait beaucoup sont nombreux et variés.

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De sa configuration actuelle (elle regroupe, sous la présidence du représentant du Ministre chargé des domaines huit autres Directeurs nationaux concernés par le foncier) à la périodicité de ses réunions (une indétermination) en passant par sa centralisation. Selon l’IGE, la CCOD a manifestement failli à sa mission pour n’avoir pas émis un avis défavorable lorsque les autorités dans l’affaire du monument de la renaissance africaine, ont pris l’option de contracter avec une structure privée au lieu de transiger directement avec l’IPRES public. Le dé classement a pour effet d’enlever à un immeuble son caractère de domanialité publique et de le faire entrer, s’il est immatriculé, dans le domaine privé. Le législateur de 1976 devrait avoir mal aujourd’hui en constatant toutes ces constructions en dur alors que son homologue de 2001 lui est même venu en appoint en disposant clairement que seules sont autorisées, sur les domaines publics maritime et fluvial, à titre d’occupations privatives, les installations légères et démontables. Oui, le et avec la Caisse de Sécurité sociale, des démembrements de l’Etat (voir rapport public 2014 sur l’état de la gouvernance et de la reddition des comptes, p. 75). Aujourd’hui, qui ne connait pas la pratique des quotas au sein de la CCOD ?

Les réformes attendues de cette instance dépassent de loin ce qui a été fait à travers le Décret 2020-1472 du 17 juin 2020 abrogeant et remplaçant le décret n°89-001 du 3 janvier 1989 relatif à la composition de la Commission de Contrôle des Opérations domaniales (intégration du directeur de la surveillance et du contrôle de l’occupation des sols comme membre et changement de la dénomination de certaines structures). C’est presque une aberration que ce soit cette instance siégeant à Dakar qui doive donner son avis sur l’opportunité et les conditions financières de tout projet intéressant le domaine de l’Etat et des collectivités publiques même ceux se situant à Bantantiti ou à Odobéré. Cela ne répond nullement à l’exigence de déconcentration des services de l’administration foncière qui devrait accompagner la dynamique de décentralisation. 2-Comment ne pas dire que la volonté du législateur de 1976 a été bafouée quand on voit toutes ces agressions du domaine public. Le législateur de 1976 a pourtant bien dit que ce domaine est constitué des biens de l’Etat qui, en raison de leur nature ou de la destination qui leur est donnée, ne sont pas susceptibles d’appropriation privée. Il a également dit clairement que le domaine public est inaliénable et imprescriptible et que nul ne peut l’occuper s’il ne dispose d’une permission de voirie, d’une autorisation d’occuper, d’une concession ou d’une autorisation d’exploitation.

La volonté du législateur a bien été bafouée car le domaine public est agressé de toute part, qu’il s’agisse du domaine public routier, du domaine public fluvial et du domaine public maritime. S’agissant du domaine public routier, il suffit de ne pas être atteint de cécité pour constater son état d’encombrement et la multiplicité de ses d’agressions: occupation sans titre de l’emprise du réseau routier classé, dépôts sur la voie publique des ferrailles, gravats et épaves de toutes sortes mais aussi lavage à grande eau des voitures et du linge sur les voies et dans les lieux publics (en dépit de ce qu’en dit la loi n° 87.71 du 5 juillet 1983 portant Code de l’hygiène), implantations sans droit de panneaux publicitaires, édification d’objets faisant obstacle au passage des véhicules ou gênant la visibilité…

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En ce qui concerne le domaine public fluvial, allez à Saint louis et faites le tour des quartiers nord et sud de l’île et de celui des pêcheurs de guet ndar pour savoir si la volonté du législateur a été respectée. Voyez l’état d’occupation de la zone de vingt-cinq mètres de large et bordure des rives des cours d’eau navigables qui fait partie du domaine public et vous serez édifié. S’agissant du domaine public maritime, c’est le souci du législateur d’une protection non seulement du caractère d’utilité publique du domaine public mais aussi de son intégrité physique qui a été bafoué. Le problème au Sénégal, c’est qu’on ne respecte plus l’esprit des textes. On cherche toujours des failles, des dérogations, des exceptions, des ambiguïtés dans la lettre des textes pour contourner la volonté du législateur. Par l’exploitation à grande échelle de cette exception que constitue le déclassement et par le recours frauduleux à « la pratique du rattachement », les acteurs politiques, tous régimes confondus et l’administration foncière, ont fini de banaliser et de vider de son sens le principe d’inaliénabilité qui régit le domaine DPM doit être valorisé. Il doit faire l’objet d’un aménagement mais que le futur législateur qui doit réaliser l’équilibre revendiqué entre la protection et l’aménagement ne perde pas de vue l’exigence de placer la protection des équilibres biologiques et écologiques mais aussi la préservation des fonctions essentielles de tout littoral (fonctions de divertissement et de délassement) avant toute autre préoccupation. Ajoutons à cela, la prise en compte des effets du changement climatique (élévation du niveau marin). ii.

UN LEGISLATEUR DE 1976, MALADE DE LA NON ACTUALISATION DE SON OEUVRE 

Dans l’exposé des motifs de la loi de 1976, il est clairement mentionné, s’agissant du domaine public, que la réglementation (il s’agissait du décret du 29 septembre et de l’arrêté du 24 novembre 1928) n’est ni mauvaise, ni périmée mais qu’elle devait être modifiée pour être mise en harmonie avec les nouvelles institutions et adaptée aux conditions actuelles. Nous faisons nôtre cette assertion à propos du code du domaine de l’Etat. Ce texte a été adopté en 1976 dans le contexte d’une décentralisation très limitée et d’une politique de « plus d’Etat ». Depuis lors, les collectivités décentralisées ont été mieux responsabilisées à travers les lois de 1990 et de 1996, la région a été créée et supprimée (de même que la commune d’arrondissement), le département a été érigé en collectivité locale (2013), la privatisation a touché presque tous les secteurs… Il est alors tout à fait normal que le législateur de 1976 souffre du retard de l’actualisation de son œuvre.

A titre d’exemple, les conduites d’eau et d’égouts, les lignes électriques, les lignes télégraphiques et téléphoniques, etc. sont énoncées dans la loi de 1976 comme des composantes du domaine public artificiel, donc appartenant à l’Etat. Or, depuis bien longtemps, avec la vague des privatisations, des personnes privées ont en charge les secteurs de l’électricité, de l’assainissement, de l’- hydraulique et des télécommunications. Que retenir finalement ? En France où les personnes publiques disposent d’un domaine public, le Conseil d’Etat a considéré dans un avis de juin 1996 précédant la loi du 16 juillet 1996 privatisant France Télécom que les biens appartenant à France Télécom ne pouvaient plus faire partie du domaine public dès lors que France Télécom était transformée en société privée. Le Conseil constitutionnel, dans un arrêt du 19 avril 2005 à propos d’Aéroport de Paris, privatisé par la loi du 20 avril 2005, a retenu la solution consistant à faire basculer les biens les plus importants de la structure dans le domaine public de l’Etat.

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Le Tribunal des conflits, dans une décision du 12 avril 2010 Société ERDF, devait trancher la question de savoir si les ouvrages d’EDF étaient bien des ouvrages publics. Il a retenu l’affirmative. Au Sénégal, l’élément d’identification d’un bien du domaine public, c’est son appartenance à l’Etat. Il ressort de l’alinéa 1 de l’article 2 de la loi n° 76-66 une impossibilité pour les autres personnes publiques, à savoir les collectivités territoriales et les établissements publics, auxquels il faut aujourd’hui ajouter les agences d’exécution, de disposer d’un domaine public. Le législateur de 1976 dit clairement que le domaine public et le domaine privé de l’Etat s’entendent de tous les biens et droits mobiliers et immobiliers qui appartiennent à l’Etat. Il veut alors comprendre le pourquoi de ces formules lues à l’article 13 de la loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013 (le domaine public et privé d’une collectivité locale se compose de biens meubles et immeubles acquis à titre onéreux ou gratuit) et à l’article 2 du décret n° 2005- 1182 du 06 décembre 20051 (Les opérateurs… peuvent exécuter, sur le domaine public routier (c’est-à-dire l’ensemble des biens du domaine public de l’Etat, des départements et des communes…) tous travaux nécessaires à la construction et à l’entretien de leurs lignes de télécommunications.

Ces formules jurent avec la volonté du législateur de 1976. Le législateur de 1976 veut savoir si la définition très précise qu’il donne de la permission de voirie, la distinguant de l’autorisation d’occuper est bien celle que le Code général des Collectivité territoriales retient. Ce dernier semble avoir repris les définitions consacrées par le droit français. En effet, en France, on distingue la permission de voirie avec emprise et le permis de stationnement sans emprise. Enfin, le législateur de 1976 déplore le fait que dans la plupart des versions de son œuvre en circulation, il est encore mentionné que le domaine public naturel comprend  la mer territoriale, le plateau continental tel que défini par la loi, la mer intérieure etc. Or, la loi n°85-15 du 25 février 1985, a extirpé la mer territoriale et le plateau continental de ce domaine qui comprend désormais les eaux intérieures, les rivages de mer couverts et découverts lors des plus fortes marées, ainsi qu’une zone de cent mètres de large à partir de la limite atteinte par les plus fortes marées. En dépit de tout ce qui précède, nous souhaitons un joyeux anniversaire au législateur de 1976 pour ses œuvres encore en vigueur (loi n°76-66 du 2 juillet 1976 portant Code du domaine de l’Etat mais aussi loi n°76-67 du 2 juillet 1976 relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique et aux autres opérations d’utilité publique).

 







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