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L’élysée, Palais Du Négrier

L’élysée, Palais Du Négrier

Monsieur le Président,

Le 14 juin dernier, vous avez déclaré : «Le passé est là. Il ne faut surtout pas le réécrire ou le tuer, comme on est en train de le faire avec les statues […]. Il est là, donc on doit accepter l’histoire.» Tout récemment, sortant de sa réserve habituelle, votre épouse a exprimé une opinion très semblable à la vôtre : «Le passé est là. Il ne faut surtout pas le réécrire ou le tuer comme on est en train de le faire avec les statues, a-t-elle déclaré […]. Ça dit quelque chose de nous, même si c’est quelque chose qui ne nous plaît pas. Il est là, donc on doit accepter l’histoire.»

Vous avez raison l’un et l’autre, «on doit accepter l’histoire». Et nous pensons que cette maxime doit être illustrée : il faut donner l’exemple au plus haut niveau de l’Etat. Au niveau même de la présidence. Vous qui êtes locataire de l’Elysée, avec votre épouse, nous souhaitons que les traces de l’histoire de votre résidence soient connues de tous, et d’abord de vous-même.

Inauguré en 1720, il y a trois cents ans exactement, le palais de l’Elysée a été bâti et financé par Antoine Crozat, pour y loger sa fille et son gendre Louis-Henri de la Tour d’Auvergne. Selon Saint-Simon, Antoine Crozat était à l’époque «l’homme le plus riche de Paris», par conséquent du royaume. En 1701, il avait obtenu la fourniture en esclaves des colonies espagnoles, ce qui représentait bien entendu un marché colossal. Il devint bientôt le premier propriétaire de la Louisiane, et créa la Compagnie de la Louisiane, qui était à l’époque une colonie française. Il dirigea également la Compagnie de Guinée. En d’autres termes, Antoine Crozat fut certainement le plus grand négrier de l’histoire de France.

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Et c’est dans ce palais négrier qu’est aujourd’hui logé le président de la République française. Un peu comme Donald Trump vit aujourd’hui dans la Maison Blanche, qui a été bâtie en bonne partie par des esclaves noirs. Ce n’est pas un hasard : les grands hôtels de la République, comme le vôtre, les grandes banques, comme la Banque de France, les grandes institutions comme la Caisse des dépôts, sont souvent liés aux capitaux issus de l’esclavage. Mais personne ne le sait, car les «traces» ont été effacées, comme vous l’avez à juste titre noté. Or, «le passé est là. On doit accepter l’histoire».

Evidemment, M. le Président, votre épouse et vous-même n’êtes en rien responsables de cet état de fait. Ce n’est pas vous qui avez causé ces malheurs, mais vous en êtes les bénéficiaires directs. Vous êtes logés dans une résidence somptueuse dont les ors sont l’envers de l’enfer subi par nos ancêtres. Derrière les murs de l’Elysée, errent encore les fantômes des esclaves. Le silence de votre palais résonne des cris et des souffrances des Africains déportés. Vous êtes l’héritier de cette histoire. C’est du sang des Africains réduits en esclavage qu’est sortie la splendeur du toit qui vous abrite.

Sauf à vouloir déménager, cet héritage négrier et criminel, vous devez l’assumer. Que vous le vouliez ou non, ce palais négrier est aujourd’hui votre palais. Il vous appartient, M. le Président, de faire en sorte que les traces de ce passé ne soient pas effacées, car «on doit accepter l’histoire», comme votre épouse et vous-même l’avez à juste titre affirmé. C’est pourquoi, ne pouvant ni déserter les lieux, ce qui serait absurde, ni ignorer le passé, ce qui est (désormais) impossible, vous devez faire en sorte que les «traces» de l’histoire soient clairement connues de tous.

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C’est tout le sens de votre engagement. Vous qui avez, pendant la campagne pour la présidentielle, affirmé que la colonisation fut un crime contre l’humanité, vous qui avez fait droit à la demande du Cran en acceptant de restituer les trésors coloniaux, nous vous invitons à créer dans la cour de l’Elysée un mémorial en hommage aux esclaves, qui fasse la transparence sur l’origine des fonds qui ont permis de bâtir l’Elysée. Car ces capitaux, qui étaient des biens mal acquis, sont une trace invisible de ce passé, qui doit être assumée et expliquée.

Nous sommes en 2020. Pour les 300 ans du palais de l’Elysée, et à l’occasion du 14 juillet, nous vous invitons à annoncer lors de votre allocution la mise en œuvre d’une enquête historique approfondie, qui permettrait de connaître tous les liens reliant l’esclavage colonial aux grandes institutions de la République, au-delà du cas particulier de l’Elysée, qui n’est que le haut de l’iceberg. Tous ceux qui ont bénéficié de l’esclavage, et des réparations accordées en 1848 aux négriers, tout cela doit être connu, comme cela a été fait par l’University College of London, qui a mené à cet égard une enquête remarquable. Et vous pourriez annoncer ce 14 juillet la mise en œuvre d’une réflexion sur le mémorial que nous appelons de nos vœux. Ainsi, les visiteurs qui entrent à l’Elysée ne pourront plus ignorer les traces de l’histoire, ce qui est en effet votre souhait et le nôtre.

Louis-Georges Tin est ancien président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN)

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