Voilà que Babacar Touré tire sa révérence alors que je n’ai même pas fini de pleurer mon aîné et ami Kader Diop, ce très grand agencier comme moi [attention, le « comme moi » ici s’applique juste à « agencier » et pas forcément au reste], qui vient de partir sur la pointe des pieds rejoindre sa douce et inséparable moitié. Les témoignages ont été nombreux et unanimes sur les qualités tant humaines, morales que professionnelles de cet ancien ténor de Radio-Sénégal de la grande époque ainsi que de la respectable Agence France presse (AFP), dont il a dirigé le bureau dakarois de nombreuses années avant de prendre sa retraite. Une retraite très active puisqu’il l’a mise à profit pour donner des cours de journalisme dans certains instituts de la place. Mais surtout une retraite d’où la tiré Alpha Abdallah Sall [autre illustre disparu], alors à la tête du syndicat dont il cherchait à compléter la superstructure par la mise en place d’un Conseil pour le respect de l’éthique et de la déontologie dans les médias (Cred), qui a aujourd’hui muté [tel un virus] en l’actuel Cored. Avec Kader, qui en était le président, et Mbaye Sidy Mbaye, le porte-parole, j’étais un des membres sur qui ces deux esclavagistes comptaient le plus souvent pour la rédaction des communiqués que la structure publiait périodiquement. Restant effacé aux yeux de l’extérieur, mais très efficace pour nous de l’intérieur, Kader, fidèle à son tempérament de bosseur de l’ombre, donnait la fausse impression d’avoir abdiqué au profit du porte-parole qui, par ses nombreuses sorties dans les médias, ne faisait qu’accomplir, et bien assurer et assumer, sa fonction de porte-voix, de vitrine. Deux très grands professionnels qui, pour avoir bossé ensemble à Radio-Sénégal, s’entendaient comme larrons en foire. Je vois d’ici Mbaye Sidy me menacer du doigt pour l’avoir traité de larron. LOL, ou plutôt MDR pour ceux dont l’anglais est bancal. Avec « Grand Kédeur », comme je l’appelais avec un accent anglais pas du tout bancal, l’on comprend aisément l’expression « forcer le respect ». Qui que vous soyez, quels que soient vos rang et fonctions, Kader ne se gênait jamais de vous livrer le fond de sa pensée, même s’il savait que vous ne seriez pas content. La franchise et la vérité, voilà les deux éléments de son credo. Mais bon, tout ce qui devait être su de Kader a été dit et écrit, de fort belle manière, par ceux et celles qui lui ont rendu, avant moi, ces hommages bien mérités auxquels il a eu droit dans les médias. Et dans les cœurs.
A présent, passons à Babacar Touré, dont je fus l’un des compagnons de route au tout début de la belle et extraordinaire aventure du groupe Sud. Je me souviens de ce soir de l’an de grâce 1985 où, en compagnie d’Abdoulaye Ndiaga Sylla, il est passé à la maison pour s’accorder avec moi sur le rôle qui devait être le mien dans l’animation de Sud-Magazine, le mensuel des débuts qui allait donner naissance à tout ce qui est là aujourd’hui. Travaillant déjà à temps plein pour l’APS comme chef du service des reportages, j’optai pour les pages détente, jouant les verbicrucistes par la création de grilles de mon cru et imaginant des jeux de culture générale en questions/réponses… Mais j’ai fait la connaissance de B.T. bien plus tôt que ça. Et, histoire de rigoler un peu, je l’appelais « mon apprenti ». En effet, c’est moi qui fus le premier à encadrer l’étudiant de première année du Cesti lors du stage qu’il vint effectuer, durant les vacances 1978, au bureau régional de l’APS à Thiès. Absolument ! Bien qu’il fût mon aînée de quelques années, Babacar est entré au Cesti au moment où j’en sortais. Frais émoulu de l’école des Canadiens et des Français, j’assurais l’intérim du chef du bureau de Thiès avec, derrière la tête, l’idée de contribuer à valoriser l’information régionale, alors parent pauvre de l’actualité nationale. Admis en stage d’été à l’agence nationale, Babacar demanda à effectuer celui-ci à mes côtés, qui plus est dans la ville de notre enfance… Ce furent des moments mémorables pour lui comme pour moi. Et nous nous plaisions, par la suite, à ressasser les très bons moments passés ensemble, mais surtout les nombreux reportages que nous réalisâmes alors sur la pêche à Kayar, Potou, Fass-Boye ou le tourisme sur la petite Côte, notamment au Club Aldiana et à Saly Portudal, encore en grande partie en chantier et dans une zone en plein boom touristique.
Sous des dehors apparemment farouches, Babacar dissimulait un énorme sens de l’humour, ce qui faisait de nos rencontres à tous les deux ou de nos entretiens téléphoniques des moments d’inextinguibles fous rires et de grand bonheur. Avec son sens de la répartie et son esprit d’à-propos, Babacar n’était jamais pris au dépourvu. Au lancement de Sud-Hebdo, qui paraissait alors deux fois par mois avant de devenir vraiment hebdomadaire, c’est lui qui me suggéra l’idée d’animer une rubrique sur la télévision, un défi pas très évident au départ, mais que je me fis fort de relever en livrant une lecture très personnelle de la façon dont certaines émissions de la télé nationale étaient conduites. Quatre années durant, entre 1987 et 1991, Yamatélé [le sobriquet qui me désignait du fait que je gobais quasiment tout ce qui passait sur la lucarne imagique] publiait chaque jeudi une chronique très suivie par le public et par les agents de l’ORTS. A ce propos, Babacar m’a un jour servi une réponse qui nous a encore fait rire à gorge déployée tous les deux, il y a quelque temps, quand je lui ai rappelé le sondage qu’il avait commandé et qui faisait de la chronique de Yamatélé et des éditos de Babacar Touré les deux lectures préférées du public. Du tac au tac, il me fit la réponse suivante : « Toi tu écris chaque semaine et moi, seulement quand l’actualité le commande. Tu me fais de la concurrence déloyale ! »
Tenez, voici une anecdote où s’illustrent en même temps Kader et Babacar. Le premier nommé venait de se voir attribuer le Prix Pierre Mille du meilleur reportage, décerné par le Syndicat de la presse française d’Outre-mer et destiné à récompenser un journaliste de la presse écrite ou audiovisuelle francophone. Très fier de Kader et inspiré par cette récompense, je décidai de créer le Prix Yamatélé Pile pour distinguer le premier présentateur du journal télévisé de l’ORTS qui réussirait à tenir pile-poil dans le créneau 20h30-21h00. Quand Ibrahima Souleymane Ndiaye réussit la prouesse, Babacar Touré s’amusa beaucoup de mon idée et ordonna au comptable de me remettre la somme nécessaire à l’achat et à la gravure d’un trophée en forme de coupe du monde ! Comme je n’avais pas trop froid aux yeux à l’époque, je suis allé personnellement à la rédaction du journal télévisé remettre le trophée à Ibrahima S. Ndiaye, ce dans une atmosphère sympathique, bon enfant et hilarante. A noter, pour finir, que je ne me souviens pas avoir une seule fois entendu Babacar Touré m’appeler autrement que par le sobriquet « Amo », déclinant ainsi la première des trois premières personnes du verbe aimer conjugué en latin : Amo, Amas, Amat…
Kader Diop et Babacar Touré, grands professionnels aimés et respectés, reposez en paix. Vous pouvez, car je peux vous certifier que pour vous au moins, les hommages qui vous ont été rendus sont vraiment sincères. Ce qui n’est pas forcément le cas pour tout le monde…