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DÉboulonner Les Statues Mentales

DÉboulonner Les Statues Mentales

« La guerre la plus difficile à gagner est celle que l’on mène contre soi-même » (Amadou Hampaté Bâ).

L’homme a des problèmes avec son histoire, celle qui est faite de turbulences et de sang, de bruit et de fureur. Le passé que nous devons lire, comprendre et interpréter pour le transcender mêle parfois, dans de douloureuses réminiscences, bourreaux et victimes.

Les blessures du passé restées ouvertes expliquent que l’émotion soit le sentiment qui domine lorsqu’on songe à ces moments de douleur. La traite négrière, l’esclavage, la colonisation et le nazisme font partie des plaies profondes de l’humanité.

L’Allemagne hitlérienne qui fut sa honte il y a 80 ans, a obligé l’Occident à liguer ses peuples pour faire triompher la civilisation sur la barbarie. Il a traqué sans répit les criminels jusque dans leur dernier repaire, les a jugés et condamnés. L’État d’Israël a poursuivi avec une opiniâtreté aussi tenace que redoutable les auteurs de la Shoa.

L’Afrique n’a pas vu ce même Occident mettre au ban de l’humanité ceux qui l’ont pillée, avilie et méprisée des siècles durant. Juste un petit frémissement après l’assassinat de George Floyd.

Le crime de Minneapolis, dans des conditions effroyables, a été le point de départ d’une indignation qui a culminé à un niveau rarement atteint dans des manifestations planétaires contre la barbarie.

Époques d’obscurantisme

Le monde entier, toutes races confondues, a dénoncé, dans un élan d’espérance, les époques d’obscurantisme. Après le temps de l’émotion, celui de l’interrogation, et surtout de l’inventaire. Inévitable, la question centrale est de savoir si le combat est livré contre le passé ou pour l’avenir ? Il est tentant de répondre que la lutte est menée pour les deux. Notre passé doit être une référence, un point de départ qui nous engage à commencer par le plus difficile, reconstruire et non le plus facile, détruire.

Significatif de l’après-George Floyd, le déboulonnement des stèles et de statues de ceux qui ont marqué au fer rouge l’histoire de l’homme noir, un vaste mouvement a pris partout le relais pour jeter à l’eau des œuvres honteuses, débaptiser des avenues et des places, comme si de tels actes, si fortement chargés de symboles, suffisaient à exorciser les démons d’une très longue résignation.

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Ces objets inanimés que sont les statues, ont-elles

donc une âme, comme s’interrogeait le poète Lamartine ? Elles ont fait partie en tout cas du décor quotidien qui a nourri pendant des siècles le combat contre le racisme. De la même façon la participation des soldats africains aux guerres mondiales a servi de levain aux revendications et à l’obtention de nos indépendances.

Aristote (IVe siècle avant JC) écrivait dans la Politique «l’humanité est divisée en deux catégories : les maitres et les esclaves ». Énoncé comme une évidence, il n’y a rien de plus faux que ce mot du penseur grec dont l’apport a été, par ailleurs, remarquable, dans certains secteurs de la philosophie. Les bourreaux et les victimes ne peuvent pas avoir la même lecture de l’histoire, les héros des premiers ne peuvent pas être célébrés chez les seconds.

Sans guerre, sans traite négrière et sans colonisation encore moins esclavage, l’Europe et l’Afrique, deux continents voisins, tentent de mutualiser leurs efforts face aux crises qui secouent le monde, en ce moment la maladie à coronavirus. Les rapports humains ne sont donc pas condamnés à la barbarie. En ce 21è siècle, avec des relations normales entretenues, nous commerçons et coopérons dans des conditions d’intérêt mutuel.

Une évidence, sans doute teintée d’angélisme, est que nous aurions pu mêler nos traditions, nos civilisations, nos valeurs et notre sang même sans cette violence inouïe qui a conduit à la plus grande saignée qu’ait connue l’humanité dans la durée, par le nombre et les conséquences.

Devoir d’inventaire

Aussi, l’émotion qui étreint lorsqu’on évoque ce que notre histoire recèle de tragédie se justifie-t-elle avec la destruction de ce qui est visible : les symboles qui sont autant de couteaux remués dans les plaies. La profondeur de ces blessures justifie que l’on déboulonne des statues, débaptise des avenues, des villes et même des pays. Ils ne rappelaient que trop asservissement et destruction, profanation de nos panthéons où nos rois, nos chefs de guerre, nos cerveaux, bref nos héros, ont subi l’injure du dénigrement et du rejet aux orties de l’histoire.

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Après l’émotion inévitable, humaine, s’impose le devoir d’inventaire. En débusquant et en dénonçant les bourreaux, nous devons nous interroger sur nos propres responsabilités dans notre histoire. Qu’avons-nous fait pour subir ce qui nous a été infligé ? Avons-nous participé, contribué ou facilité notre propre lynchage, la violation de nos droits, le bradage de nos semblables, notre rabaissement en tant que partie intégrante de l’humanité ? Pourquoi ce qui est arrivé est-il arrivé ? Qu’avons-nous fait pour le rendre possible ? Nos traditions politiques, sociales, économiques, et culturelles, étaient-elles perméables au point d’annihiler en nous toute capacité de défense et de résistance ? Qu’avons-nous fait pour rendre possible ce qui nous est arrivé ?

Avons-nous eu connaissance de l’existence d’autres esclavagistes qui n’ont pas érigé des statues visibles dans nos avenues et nos villes mais dont les pratiques ont laissé des stigmates indélébiles dans les cœurs meurtris ? Quel sort a-t-on réservé aux nombreuses demandes de réparation par le Nord de l’esclavage et de la colonisation subis par le Sud ?

Question terrible : l’Union Africaine (UA) a-t-elle enterré le combat initié dans ce secteur par son ancêtre, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) ? A-t-on sacrifié les revendications légitimes sur l’autel de la realpolitik ?

Autant de questions qui exigent des réponses de toutes les disciplines des sciences politiques et humaines, des acteurs politiques ainsi que le décodage de nos traditions orales pour permettre de décrypter notre passé, éclairer notre présent, choisir nos options pour maitriser notre avenir.

Œuvre suprême

En attendant, penchons-nous sur le passé sans affecter sa réalité, en n’oubliant pas que les méfaits d’hier dont nous sommes victimes demeurent une honte et une plaie sur le front de l’humanité qui ne s’y trompe pas dans le préambule de la charte constitutive de l’Organisation des Nations Unies pour la Science et la Culture (UNESCO) : « les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ».

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Gardons-nous donc de conduire à la potence les esclavagistes par procuration par le simple déboulonnage de leurs statues. Laissons-leur symboliquement la vie sauve à travers leurs descendants pour comprendre la justesse du combat que l’on menait contre les perversités du système qui les entretenait. Et leur prouver que la démocratie est égalité entre les hommes et les peuples. Même s’il est le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres, comme le disait avec esprit Winston Churchill.

A l’inverse, les esclavagistes et autres racistes doivent trouver d’autres réponses à leurs ignobles forfaits, empêcher la répétition de leurs crimes, ériger le contraire des sociétés qu’ils prônaient, origine de leur fortune douteuse au fil des siècles. Enfin, en prêchant d’exemple face aux générations montantes, abstraction faite de leurs origines, en leur enseignant que la fraternité est meilleure que les préjugés hiérarchisant les races. Et mettre définitivement au bûcher le funeste Code noir de Colbert qui rejetait aussi les Juifs, tout comme les infâmes instructions de Jules Ferry sur ceux qui ont pour mission de civiliser les indigènes.

Il faut, ici et maintenant, déboulonner les images, les symboles, les pensées et les idées qui véhiculent tous les stéréotypes. C’est le préalable pour extirper de nos têtes les complexes autant chez les bourreaux que chez les victimes, nous libérant ainsi de nos vieux démons. L’objectif ultime est d’accomplir une œuvre de destruction des statues mentales pour préparer l’avenir sans oublier le passé. C’est l’épreuve suprême pour conjurer nos propres pulsions, car, comme l’a dit le sage Amadou Hampaté Bâ « la guerre la plus difficile est celle que l’on mène contre soi-même ».

tahamadoun@yahoo.com







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