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Senghor Déforme L’histoire Du Peuple Sénégalais

Ce texte a été publié dans Vérité N°2, organe de la Ligue Démocratique (LD), en Juillet 1978 dans les conditions de la clandestinité. Mais nous avons tenu à garder le texte intégralement en n’en corrigeant que quelques méprises de formes.

Il a été distribué sous le manteau aux participants des Assisses des Etats Généraux de l’Education organisées en juillet 1978 à l’Ecole Berthe Maubert à Dakar, et qui précéderont ceux tenus sous l’égide du gouvernement en 1981 sous la pression de la grève du SUDES.

L’histoire comme toutes les sciences en général et les sciences sociales en particulier, ne saurait échapper à l’influence déterminante de la lutte des classes. Pour justifier telle ou telle attitude du présent, chaque classe et chaque groupe de la société à besoin de présenter une certaine image du passé. Ainsi le régime colonial représentait les Africains comme appartenant à une sous-humanité éternellement dépendante du reste de la planète. Cette image des sociétés africaines servait de justification idéologique à la politique d’exploitation économique sans limite des travailleurs et des peuples des colonies. 

Le développement du nationalisme africain dans la première moitié du XXe siècle a conduit à un renversement de cette perspective colonialiste de notre histoire. 

Par exemple, les travaux d’un Nkrumah, d’un Eric Williams pour les colonies britanniques, ceux de Cheikh Anta Diop, de Mahjmout Diop, d’un Abdoulaye Ly, de Joseph Ki-Zerbo, etc. pour les pays sous domination coloniale française, s’inscrivent avec leur mérite respectif dans le courant de la décolonisation de l’histoire africaine. 

Depuis l’indépendance, de nombreux historiens africains patriotes et même des internationalistes comme Jean Suret Canale, Basil Davidson, etc. poursuivent en l’approfondissant cette œuvre de renaissance culturelle africaine. 

A contre courant de ce mouvement se situe Senghor et ses historiens de service. La bourgeoisie bureaucratique et compradore qui représente les intérêts de l’impérialisme français chez nous tente par tous les moyens de faire prévaloir une certaine image de notre passé qui concilie ses propres intérêts avec ceux de ses maîtres étrangers. Ces efforts sont déployés au mépris de la vérité scientifique. 

Ainsi pour Senghor, les trois siècles de présence française sur notre sol sont « trois ans d’amitié entre le Sénégal et la France » ! La traite des esclaves, la conquête militaire, l’exploitation économique, et leur corollaire, la destruction de nos sociétés, seraient des témoignages de l’amitié entre ces deux pays !

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L’on sait qu’en 1945 déjà le théoricien de la Négritude minimisait les effets de la colonisation lorsqu’il écrivait : « le problème colonial n’est rien d’autre au fond qu’un problème provincial, un problème humain. Je ne suis pas le premier à l’avoir remarqué. Lyautey, l’avait déjà dit, et, plus près de nous, Delavignette, cet humaniste impérial, dans son livre au titre si suggestif : Soudan – Paris – Bourgogne, Paris unissant les deux provinces ». (Léopold Sédar Senghor, la communauté impériale française). 

Deux autres faits montrent encore le travestissement de notre histoire nationale au profit de l’impérialisme français par les idéologues du régime. 

– Le problème des cahiers de doléances des habitants de Saint-Louis aux états généraux de la révolution française de 1789

– Le chant de la jeunesse : Niani Bagnna.

1. De manière rituelle, Senghor proclame que les auteurs des cahiers de doléances sont les précurseurs de la nation sénégalaise d’aujourd’hui. Ils seraient même les fondateurs de la démocratie sénégalaise, etc.

Cette interprétation ne résiste pas à une critique tant soit peu sérieuse. Les auteurs des cahiers de doléances représentaient environ 2000 individus libres, des traitants pour la plupart (métis ou mulâtres, des petits blancs venus chercher fortune en Afrique et quelques nègres) sur une population totale évaluée à plus de 6 000 à l’époque (île de Ndar). La majorité de la population de l’île était composée d’esclaves, de domestiques, d’ouvriers et de laptots (ouvriers de la navigation fluviale) tous nègres, qui étaient tenus à l’écart de l’administration et de la politique du comptoir de Saint-Louis. 

Cette poignée de traitants vivait essentiellement en marge du reste de la population du pays. Les rapports entre les traitants et le reste de la population autochtone n’étaient que des rapports de marchands à clients. Les traitants n’ont jamais envisagé un seul instant de représenter les intérêts des « indigènes » auprès des autorités françaises. 

Leurs doléances portaient sur deux points essentiellement :

a) les traitants aspiraient à être traités comme des citoyens français à part entière. A l’instar de Senghor, aujourd’hui, ils considéraient la France comme le pays modèle en tout.

« Nègres ou mulâtres nous sommes tous français puisque c’est le sang des français qui coule dans nos veines ou dans celles de nos neveux. Cette origine nous enorgueillit et élève nos âmes. Aussi, aucun peuple n’a montré plus de patriotisme et de courage ! Lorsqu’en 1757, le Sénégal fut lâchement rendu aux anglais. Nous voulions le défendre malgré les chefs de la colonie  …

Nous avons regardé comme le plus beau jour de notre existence, celui où en 1779, nous jouîmes du plaisir de voir flotter la bannière française sur le port de Saint-Louis. Nous accueillîmes tous les français comme nos libérateurs, comme nos frères … »

b) Aux 17ème et au 18ème siècle la traite des esclaves et le commerce de la gomme était pratiquée par une compagnie, la compagnie du Sénégal qui en avait le monopole. Ce monopole était exercé au détriment des petits blancs et des traitants qui revendiquaient le droit d’exercer librement le métier très lucratif qu’était alors le commerce des êtres humains. Les cahiers de doléances étaient adressés au roi de France pour amener ce dernier à supprimer le privilège de la compagnie et à libéraliser le trafic négrier. Cet autre passage du document est très net à ce sujet.

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« Aussi notre étonnement fut extrême quand nous vîmes publier le privilège exclusif de la traite des Noirs dans toute l’étendue du fleuve. Ce fut un jour de deuil et de consternation dans tout le pays ! … La traite des Noirs est celle où nous avons généralement le plus de part parce que nous avons des bateaux et des esclaves matelots que nous envoyons jusqu’en Galam (Haut Fleuve) traiter des noirs que nous vendons ensuite à des marchands européens au Sénégal avec un léger profit ». Sur le texte intégral des cahiers de doléances, voir le livre de Lamiral l’Afrique et le peuple africain considérés sous tous leurs rapports avec notre commerce et nos colonies. Paris, Librairie Dessenne, 1789.

Les doléances qui avaient été adoptées le 15 avril 1789 par l’Assemblée générale des habitants de l’île Saint-Louis furent rédigées par le nommé Charles Cornier, alors maire de Saint-Louis et président de la dite Assemblée. Elles ont été portées devant les Etats Généraux par un autre colon M. Lamiral désigné en la circonstance comme « député du Sénégal ».

Comme on le voit, le contenu de ces doléances n’a rien à voir avec les préoccupations de l’immense majorité des populations du territoire qui forment le Sénégal d’aujourd’hui. Les revendications de ces colons étaient diamétralement opposées à celles des paysans de l’époque qui étaient soumis à la tyrannie des négriers. 

On ne peut donc décemment proposer au peuple sénégalais de telles doléances comme une source d’inspiration dans sa lutte pour la démocratie véritable et le progrès social. 

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2. Le choix de Niani Bagnna comme hymne de la jeunesse de notre pays révèle encore l’orientation néocoloniale de la politique culturelle du régime. Les Sénégalais savent que ce chant a été composé par des griots du Kajoor à l’occasion de la guerre qui a opposé le Damel Lat Joor au roi du Niani (royaume sénégalais de la Haute Gambie).

Par sa signification, ce chant évoque un chapitre des luttes intestines entre les entités politiques du territoire de notre Sénégal actuel. Ces divisions crées et entretenues par les conquérants ont pesé négativement sur l’action unie des différents mouvements populaires contre la conquête. Leur influence a heureusement commencé à s’estomper chez les citoyens d’aujourd’hui.

Un régime soucieux de promouvoir l’unité nationale en général et celle de la jeunesse en particulier aurait pu choisir un hymne autre que celui-là. 

Par exemple Malaw, ce chant dédié au célèbre coursier de Lat Joor. Malaw refuse, dit-on, de voir le chemin de fer qui, à ses yeux symbolisait la domination française au Kajoor. Un tel hymne, par sa signification sied mieux aux préoccupations de notre jeunesse qui dans sa majorité lutte contre la domination du capital étranger et ses alliés, les principaux ennemis de notre peuple. 

Ici, encore, on le constate, le choix de Niani Bagnna n’obéit à d’autre logique que celle qui consiste pour le régime de Senghor inconditionnellement profrançais, à ne rien entreprendre tant au plan économique que culturel qui touche aux intérêts de ses maîtres.

Le combat pour une culture nationale et populaire est indissociable de la lutte générale que mène notre peuple pour sa libération totale. La lutte sur le front culturel est une autre dimension importante de l’action multilatérale que Vérité, notre journal, entend mener. 







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