Le 12 avril 2016, le président de la République avait lancé au niveau du centre Cicad de Diamniadio, les réformes pour la modernisation de l’Administration sénégalaise et disait, je le cite : «L’Administration doit s’adapter aux exigences des citoyens et être au service des usagers par sa proximité, sa simplicité, sa disponibilité, sa célérité, sa lisibilité et l’efficacité de son action.» Une bonne initiative mais malheureusement elle n’a pas du tout impacté le service de qualité dont le citoyen a droit.
A qui imputer la responsabilité quand le citoyen lambda est frustré parce qu’il a perdu 840 jours pour juste obtenir un papier administratif ? Au président de la République pour son manque de leadership ? Au directeur de service pour son ignorance sur le fonctionnement du travail confié aux subalternes ? Au commissaire ou au commandant pour leur absence de contrôle au niveau de leur base ? Comme une tradition, nous entendons souvent des citoyens se plaindre de lenteur administrative à tous les niveaux (police, gendarmerie, mairie, impôts et domaines, préfecture, sous-préfecture, caisse de sécurité sociale, inspection du travail, service des mines, tribunal, ministères, Ipres, hôpitaux, Senelec, Sen’Eau, banques…).
Pourquoi le citoyen devrait forcément perdre des heures voire des jours de travail pour courir après un papier administratif ou un service public quelconque ? Même le président de la République parle «de fast track», pour vous dire combien le problème de la lenteur administrative se fait sentir jusqu’au sommet de l’Etat. Pourtant le régime actuel se vante d’une administration moderne et efficace avec son Pama (Programme d’appui à la modernisation de l’Administration).
Mais comment parler d’administration moderne ?
Quand un citoyen quitte Dakar, son lieu de résidence, pour aller à Ziguinchor chercher un extrait de naissance mais est obligé de rentrer bredouille car l’officier d’Etat civil qui doit signer n’est pas présent. Pourtant, une centralisation numérique des données pouvait permettre au citoyen d’obtenir son extrait de naissance quel que soit son domicile ou sa résidence.
Quand l’émigré qui a juste 4 semaines de vacances doit retourner dans son pays de travail bredouille parce que l’agent administratif ou l’autorité qui s’occupe de son dossier n’est jamais présent ou joue à cachecache pour attendre d’être soudoyé afin d’accélérer la cadence de la procédure. Pourtant, sans même payer un billet d’avion, les démarches devraient pouvoir se faire en ligne et le document authentifié électroniquement puis envoyé via email ou par mail.
Quand le policier qui vous prend votre permis de conduire puis vous demande d’aller payer votre contravention et une fois arrivé au commissariat personne ne peut retrouver votre permis. Quand, lors d’un accident, pour faire un constat, il faut attendre plus de quatre heures de temps (agent non disponible, ou encore pas de carburant).
Quand un même terrain est vendu à plusieurs personnes et tous ayant un papier administratif justifiant la même propriété, signé par le même service. Quand certaines institutions de l’Etat n’ont même pas de téléphone fixe, encore moins d’email. (Impossible de se renseigner sans se déplacer physiquement).
Quand des sites web officiels du gouvernement ne sont jamais à jour et en particulier le portail du Journal officiel (une entrave au droit à l’information), on ne peut parler d’administration moderne. En réalité la plupart des agents qui délivrent les papiers administratifs ou qui exécutent certaines tâches demandées par la hiérarchie, n’ont aucune notion de la gestion du temps. Il arrive même qu’ils vous fassent attendre dans un service puis vous oublient «they just don’t care». Non seulement ils vous font perdre votre précieux temps donc de l’argent mais aussi en font perdre à l’Etat en termes de rendement quand il s’agit de payer une redevance.
Quelle notion avons-nous du temps en Afrique et au Sénégal en particulier ?
Les Américains disent «time is money, le temps c’est de l’argent», ou encore les écritures saintes nous disent «il y a un temps pour tout…». On décrit souvent l’Africain comme peu soucieux du temps ou vivant hors du temps, c’est pourquoi les anthropologues et les ethnologues ont des approches différentes sur le rapport temps et culture. Nous entendons souvent lors des rencontres de toutes sortes, parler de «l’heure sénégalaise» pour justifier le retard d’une autorité lors d’une cérémonie officielle ou le retard de démarrage d’une réunion.
Pour inviter l’Administration et les citoyens à une meilleure prise de conscience de l’importance de la gestion du temps, faisons d’abord un état des lieux sur les horaires du travail. L’un des objectifs de l’instauration de la journée continue était de faire gagner du temps et de l’argent à l’Etat et au travailleur, avec le problème de transport, du climat avec la chaleur, etc.
Ainsi, légalement le travail devait débuter à 7h00 et finir à 16h00 avec une heure de pause. Avec le Covid-19, le 25 mars 2020 le Président avait changé les horaires, donc de 9h00 à 15h00 ensuite lors de son message du 29 juin 2020, il a décidé que cela soit de 8h00 à 17h00 avec une heure de pause à 13h30.
Faites le tour des services de l’Administration sénégalaise, il n’y aura pas plus de 40% des employés qui respectent scrupuleusement ces horaires. Dans la pratique le constat est là :
-Non seulement l’agent arrive en retard mais doit aussi prendre 30 mn à 40 mn tranquillement pour son petit déjeuner avant de s’occuper des citoyens qui l’attendent.
-L’heure de pause pour certains peut durer jusqu’à deux heures de temps sans justification. -Sans oublier certaines pratiques de tricherie quand l’agent se présente, dépose ses affaires puis au bout de deux heures disparaît pour revenir à l’heure de la descente ou même ne revient pas du tout.
– En fin de semaine, quand vous faites le tour dans beaucoup de services, vous allez constater que certains employés anticipent le week-end et rentrent à la maison juste après la prière du vendredi vers 14h00.
Quand les employés du secteur privé se plaignent de l’abus de leurs employeurs sur les heures exagérées de travail, les agents de l’Administration eux se réjouissent de travailler pour peu de temps tout en gagnant beaucoup d’argent. C’est à la fois du laxisme et du vol, quand le contribuable sénégalais doit payer la totalité du salaire des agents de l’Etat qui travaillent la moitié des heures qui leur ont été assignées.
Une administration moderne doit se mesurer non seulement par la qualité du service rendu mais aussi par un recrutement d’agents compétents, qui accomplissent un travail avec courtoisie, imbus de professionnalisme et d’efficacité et qui sont efficients dans la diligence des dossiers qu’ils gèrent.
Aujourd’hui, la vitesse du numérique nous fait gagner énormément de temps, nous sommes dans l’ère de l’agenda électronique, de la planification électronique. Autrement dit, autant la gestion du temps a de l’importance dans une entreprise autant elle devrait compter dans une administration qui se veut moderne.
Quelle que soit la pertinence du leader qui va diriger le Sénégal demain, si la rigueur et la discipline relatives à la gestion du temps ne sont pas appliquées à tous les niveaux de l’Administration, cela nous prendra des décennies pour nous développer.
Denis NDOUR
Human rights specialist
Email : denisndour@gmail.com