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Hommage À Un OubliÉ De L’histoire, Ibrahima Seydou Ndaw

Hommage À Un OubliÉ De L’histoire, Ibrahima Seydou Ndaw

13 août 1969-13 août 2020, voilà 51 ans que Ibrahima Seydou Ndaw a tiré sa révérence. Nous lui rendons un hommage mérité parce que cette étoile méconnue de l’histoire politique du Sénégal, pour reprendre les propos de l’historien Elikia Mbokolo, s’est sacrifiée pendant 43 ans pour son pays. Toutes les informations de cet article sont tirées du livre du défunt Professeur Abdoul Sow Essai d’histoire politique du Sénégal : Ibrahima Seydou Ndaw 1890-1969 que nous trouvons être le seul ouvrage de référence qui parle de l’histoire politique réelle d’Ibrahima Seydou Ndaw.

Ce jeudi 13 août 2020 marque le 51e anniversaire de la disparition d’Ibrahima Seydou Ndaw, figure marquante de la vie politique sénégalaise. Aujourd’hui, par une occultation et une altération de l’histoire, celui que les paysans du Sine-Saloum désignaient par le titre de « Jaaraf » reste méconnu de la plupart des Sénégalais pour lesquels il s’est sacrifié pendant 43 ans. A l’instar de ceux du président du Conseil gouvernemental Mamadou Dia et du Secrétaire général du Parti du Regroupement africain-Sénégal, Abdoulaye Ly, les hauts faits et les bonnes actions d’Ibrahima Seydou Ndaw sont oblitérés aujourd’hui par les imposteurs de l’histoire politique du Sénégal.

Encoléré par cette imposture ou cette tentative d’exclusion de l’histoire, Amadou Lamine Sakho dit Kéba a toujours dénoncé les falsificateurs qui ont toujours cherché à ensevelir cette figure de proue dans les décombres de l’histoire politique du Sénégal. « Patriarche de la grande famille des pionniers de notre indépendance, Ibrahima Seydou Ndaw, de par son génie créateur, son courage légendaire, son dévouement et sa sollicitude, a pendant les 43 ans qu’il a consacré au service de son pays, accompli une gigantesque œuvre nationale qu’il serait inadmissible et condamnable de chercher à voiler… Du reste, aucun homme politique sénégalais n’a aussi efficacement que lui combattu le colonialisme par la plume et par l’action. Sa contribution à l’éveil de la conscience nationale a été des plus méritoires », peste celui qui fut son fils adoptif et secrétaire particulier de 1957 jusqu’à sa mort.

Aucun édifice public digne ne porte les noms de ces illustres inconnus comme les appelle Kéba. Aujourd’hui, la seule avenue et l’école primaire baptisée Ibrahima Seydou Ndaw se situent respectivement à la périphérie et près du stade de foot de Kaolack. Le building administratif qui servait de locaux au Conseil gouvernemental porte le nom de celui qui le dirigeait avant d’être accusée arbitrairement de coup d’Etat et embastillé pendant 12 ans dans des conditions qui lui ont fait presque perdre la vue.

Jaaraf Seydou Ndaw, le justicier

Né le 13 juillet 1889 à Sokone, Ibrahima Seydou Ndaw, surnommé Jaaraf, est entré en politique à la suite de quelques démêlées avec l’administration coloniale de l’époque. Il est décédé le 13 août 1969, à l’âge de 80 ans. Considéré comme le père fondateur du Bloc démocratique sénégalais (BDS), ancêtre du Parti socialiste (PS) sénégalais actuel, Ibrahima Seydou Ndaw a présidé aux destinées de l’Assemblée territoriale sénégalaise avant de devenir, en 1963, président honoraire de l’Assemblée nationale du Sénégal indépendant.

Parmi les hommes politiques du XXe siècle, Ibrahima Seydou Ndaw se distingue par sa longévité politique de son engagement, la constance de son combat contre l’injustice ainsi que par son courage dans la défense des faibles et dans le combat pour ses idées. Il a été de toutes les luttes contre l’autoritarisme et l’arbitraire pendant la période coloniale. Ainsi, dans son livre intitulé Essai d’histoire politique du Sénégal : Ibrahima Seydou Ndaw 1890-1969, Abdoul Sow souligne le caractère justicier de Ibrahima Seydou, défenseur des masses paysannes et ouvrières qui lui a valu le titre de « Jaaraf » : « Jaaraf Seydou Ndaw est une légende voire un mythe. C’est un grand notable, sinon le plus grand de Kaolack, le leader plus puissant de la région chez qui il fallait passer pour avoir les suffrages du cercle, respecté mais craint, l’homme qui prend la défense de la veuve et de l’orphelin en d’autres termes le protecteur des populations rurales et de tous les faibles, victimes des abus de l’autorité coloniale et de ses affidés au moment où il fallait beaucoup de courage pour oser s’opposer aux institutions coloniales ».

Mamadou Dia embouche la même trompette : « Ibrahima Seydou Ndaw s’était déjà forgé une audience personnelle par son attitude de résistant sous l’Occupation… Et avant l’Occupation par son dévouement à la cause des victimes des exactions de l’Administration coloniale… C’est la Nation tout entière qui a une dette de reconnaissance à sa mémoire… »

Le défunt professeur d’université Mbaye Guèye n’est pas en reste pour magnifier l’œuvre du justicier que fut l’ancien Président de l’Assemblée territoriale : « Ibrahima Seydou Ndaw était un homme partout présent où l’avenir de ses compatriotes était en jeu. Toute sa vie se réalisa dans la tension et le combat contre toutes les formes d’injustice. C’était une âme que sa soif ardente de justice avait armée pour les luttes. »

Dans la préface de l’ouvrage du Professeur Sow, Amadou Mahtar Mbow montre, contrairement à l’histoire mensongère la plus répandue, qu’Ibrahima Seydou Ndaw a indiqué au jeune agrégé de grammaire, Léopold Sédar Senghor, la voie politique à suivre. Pour l’ancien Directeur général de l’Unesco, c’est le président Ibrahima Seydou Ndaw qui, politiquement, a mis à Senghor les pieds à l’étrier, au moment où, accablé par l’entourage immédiat du président Lamine Guèye, il s’apprêtait à renoncer définitivement à la politique pour retourner en France. L’enfant de Joal, né hors des quatre communes de Saint-Louis, Rufisque, Dakar et Gorée, et quoique n’étant plus sujet français ayant accédé à la nationalité française par naturalisation au moment de passer l’agrégation de grammaire en France au milieu des années 30, fut choisi par Lamine Guèye pour être candidat au siège réservé aux citoyens français (Français et originaires des quatre communes). Senghor, alors peu connu, et ne résidant pas au Sénégal, car il était resté en France pour y enseigner après son agrégation, c’est Jaaraf Seydou Ndaw qui lui offrit le Sine-Saloum comme circonscription électorale. C’est donc du Sine-Saloum, alors circonscription la plus peuplée du pays avec la Casamance, et avec le soutien constant d’Ibrahima Seydou Ndaw que commença l’ascension politique de Senghor.

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Mbow rapporte que des contradictions se révélèrent bientôt au sein de la SFIO tant au niveau de Kaolack qu’à celui du Sénégal et même dans les rapports avec la direction du parti en France, alors peu sensible aux aspirations qui s’exprimaient dans les colonies à la suite de la seconde guerre mondiale. La crise interne qui couvait depuis plusieurs mois aboutit à une rupture qui eut lieu en 1948 alors qu’Ibrahima Seydou Ndaw, victime d’un grave accident, est hospitalisé à Dakar plusieurs mois durant. Quoique paralysé des quatre membres et privé de se mouvoir tout seul, il garda toute son énergie et toute la vigueur de sa pensée. Il semble que même son immobilisation rendait sa détermination plus grande et sa détermination d’agir plus vive. C’est ainsi que de son lit d’hôpital et avec Léon Boissier-Palun avocat et futur président du Conseil de l’AOF, il convainquit Senghor de rompre avec la SFIO et Lamine Guèye et de créer un nouveau parti.

La rupture accomplie, il fut, avec Mamadou Dia qui parcourut tout le Sénégal pour mettre en place le nouveau parti, le principal organisateur du Bloc démocratique sénégalais (BDS) qui bientôt domina la vie politique sénégalaise.

Senghor dans une lettre adressé à Ibrahima lui témoigne toute son affection : « Je t’aime et te resterai fidèle jusqu’à la mort… Tu peux douter de tout sauf de mon affection pour toi… Entre les deux amis et les deux hommes de bonne volonté que nous sommes, il n’y aura jamais aucun malentendu qui puisse résister à une franche explication… » Mais le comportement ingrat de Senghor à l’endroit de son mentor politique après que ce dernier a quitté l’UPS (l’Union progressiste sénégalaise) en 1959 avant d’y revenir détonne avec cette déclaration affectueuse.

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Une fin de vie difficile

Et Abdoul Sow dans son ouvrage, Essai d’histoire politique du Sénégal : Ibrahima Seydou Ndaw 1890-1969, souligne la traitrise et l’injustice dont Ndaw a été victime de la part de ses camarades de parti et principalement Léopold Sédar Senghor qui l’a presque mis en résidence surveillée : «Ibrahima Seydou Ndaw connut de la part de ceux qu’il avait contribué à hisser au pouvoir une disgrâce aggravée par des mesures vexatoires qui furent d’un effet dévastateur sur sa santé. Il mourut en 1969 dans le quasi-dénuement, et, comme généralement, exclu d’une mémoire collective où ne prennent place très souvent, en dehors de certains religieux, que des personnes dont les mérites ne sont pas toujours évidents au regard de leurs actes placés dans le cadre de l’ensemble des aspirations de la collectivité nationale ».

C’est ce que confirme Amadou Mahtar Mbow dans la préface du livre d’Abdoul Sow. « Infirme et âgé, il fut destitué de l’Assemblée nationale dont il était le président honoraire, il connut une fin de vie difficile sans aucune commisération de la part de ceux qu’il avait contribué à hisser au pouvoir. A sa mort en 80 ans, des éloges hypocrites ne manquèrent pas de la part de certains qui l’avaient renié pour ensuite faire tout pour le faire oublier », déclare l’ancien compagnon d’Abdoulaye Ly.

A sa mort, des personnalités sincères n’ont pas manqué de saluer la mémoire de l’homme de pensée et d’action que fut Ibrahima Seydou Ndaw. Ainsi, l’écrivain Abdou Anta Ka, le 20 août 1969, écrit, dans le journal Dakar-Matin, ce témoignage qui dévoile la personnalité de l’enfant du Sine-Saloum : « Un homme devant qui s’inclinaient des hommes plus instruits : des gouverneurs de l’époque, des universitaires, des industriels… Le self made man qui dictait aux rapports de force sa volonté ».

L’écrivain El Hadj Moustapha Wade, dans un témoignage post-mortem en 1999, déclare : « Si j’ai grand intérêt à son école et à tout ce qu’elle recelait d’intelligence et d’intuition politique, c’est parce que j’ai en ce grand maitre, homme de pensée et d’action, de générosité sans borne et de don de soi, un incomparable passeur de frontière, un nationaliste intransigeant et ouvert à la fois, un guide riche de tout ce que les idéologies pouvaient lui apporter. »

L’ancien Directeur général de l’Unesco, Amadou Mahtar Mbow, le 12 août 1999, dans un témoignage manuscrit depuis Rabat, soutient avec force : « J’admire sa force de caractère, sa ténacité et son amour pour notre pays et pour son peuple. Le combat politique a été pour lui un combat pour la liberté, pour la dignité et pour le bien-être des Sénégalais. Il plaçait ce qu’il considérait comme l’intérêt du peuple au-dessus de toute autre considération, refusant en toute circonstance d’agir autrement que selon sa conscience. Homme d’honneur, homme d’autorité, il était aussi un démocrate convaincu. »

Janet G. Vaillant, Docteur en études politiques, Université de Harvard et ancienne directrice adjointe du Centre national de ressources sur la Russie, l’Europe orientale et l’Asie centrale de l’Université de Harvard, dans son ouvrage Vie de Léopold Sédar Senghor paru en 2006, qualifie Ibrahima Seydou Ndaw d’« un homme d’une intelligence extraordinaire d’une forte personnalité. Juriste autodidacte et homme proche du peuple, il défendait avec brio les populations de Kaolack et du Sine-Saloum ».  

Mbaye Jacques Diop, le 16 février 2011 à Rufisque, dans un entretien avec le Professeur Abdoul Sow, témoigne : « Un homme d’une grande valeur bien que handicapé, qui avait le sens de l’écoute, un leader d’une forte impression assis sur sa chaise roulante, une voix forte qui portait et qui impressionnait. »

« Ibrahima Seydou Ndaw restera dans la mémoire des générations actuelles ou à venir, comme un des plus grands Sénégalais, un patriote à la fois intransigeant et bienveillant » dixit André Guillabert. « Jaaraf n’a jamais triché ni avec les hommes ni avec les événements, parce que la sincérité a été son phare. Idéaliste sans être utopiste, il s’était ancré au réel pour faire œuvre utile. Il était juste et droit. Mais sa vertu cardinale a été le courage », déclara l’avocat Omar Diop.

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51 ans après sa mort, Ibrahima Seydou Ndaw donne toujours une leçon de vie politique aux différents dirigeants qui ont dirigé ou qui dirigent le Sénégal et ce, à travers ces propos exprimés dans des contextes différents mais qui sonnent comme une profession de foi : « Durant toute ma vie, je n’ai jamais su tenir ma tête qu’autrement haute… Je ne connais ni les pirouettes politiques, ni l’humiliation de la honte…» « L’homme politique utile à son pays ne se mesure pas grâce à son âge, à ses diplômes ou à sa constitution physique, mais à sa valeur morale et intellectuelle, à ses capacités pratiques et à son humanisme ; et à sa popularité qui découle d’une confiance émanant de la base à laquelle il est lié par des rapports indiscutables. »

Source : Essai d’histoire politique du Sénégal d’Abdoul Sow : Ibrahima Seydou Ndaw 1890-1969.

sgueye@seneplus.com







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