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Ibrahima Seydou Ndaw, Un Nationaliste, Un Humaniste

Ce témoignage historique exceptionnel écrit sur Ibrahima Seydou Ndaw après son décès survenu le 13 août 1969 par le Chef de bureau de classe exceptionnelle des Services financiers en retraite à Matam, El Hadj Cheikh Mohamed Fadel Kane, père de Cheikh Hamidou Kane « Mathiara », dernier ministre des Forces armées du président Abdou Diouf, a été censuré par le seul journal d’Etat de l’époque, « Dakar-Matin », sur ordre du Président Senghor. Une censure qui s’inscrivait dans le cadre du harcèlement dont « Diaraf » était victime dans les derniers instants de sa vie. Chef du bureau régional des Affaires domaniales du Sine-Saloum de 1933 à 1935, El Hadj Cheikh Mohamed Fadel Kane ne s’est pas empêché de rendre hommage au défenseur des faibles, à l’humaniste et l’homme politique exceptionnel que fut Ibrahima Seydou Ndaw. Nous reproduisons in extenso ce document.

« Affreuse nouvelle ! Ibrahima Seydou Ndaw, président de l’Assemblée nationale du Sénégal, n’est plus. Le Sénégal entier doit être en deuil car il perd en Ibrahima Seydou Ndaw, un combattant précurseur des luttes d’indépendance, un résistant de la première heure. Le Sine-Saloum a perdu, quant à lui, son bouclier, celui qui a toujours osé, seul, sans collégialité, se dresser contre les abus qui se commettaient dans la région en pleine splendeur du colonialisme. On pourrait se demander pourquoi étant du Fouta et domicilié à Matam, je me permets d’apprécier ainsi l’action d’Ibrahima dans le Sine-Saloum. Comme ma famille habitait côte à côte avec une de ses épouses chez Ibrahima Samb à Léona, notre affinité de sentiment fit de nous d’emblée des amis. Malheureusement pour notre amitié, c’était à l’orée de l’implantation des points de traite.

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Les activités de l’Agent d’Affaires qu’il était étaient le plus souvent axées sur le service du chef du bureau des affaires domaniales qu’était votre serviteur et les divergences de points de vue qui résultaient de nos rôles respectifs occasionnaient souvent entre nous des frictions à propos du règlement de ses affaires. En effet, dans chaque conflit d’interprétation, notre affinité de tempéraments inclinait chacun de nous à avoir le dernier mot. Nous nous comprîmes par la suite et revînmes à notre amitié du début. Rien ne devait plus jamais altérer celle-ci.

Au cours de mon séjour à Kaolack, de 1933 à début 1938, je n’ai cessé d’admirer cet homme qui traversa, pendant ma présence, diverses dures épreuves et à qui jamais rien, ni personne ne fit peur. Quand le gendarme européen chef de poste de Sokone ou le gendarme chef de poste de Gossas ou celui de Fatick, ou encore l’Administrateur-Chef de la Subdivision de Fatick, opprimait les pauvres Badolos du pays, c’est Ibrahima Seydou Ndaw, en l’absence de tout mandat politique et malgré les rigueurs du colonialisme de l’époque, qui se dressait et s’exposait pour la défense de ces opprimés. Il prenait courageusement sa plume et, dans un article documenté qu’il signait « Diaraf de Loul », dénonçait de façon irréfutable des faits scandaleux souvent commis contre des gens sans défense.

L’attitude du potentat du coin devenait aussitôt plus souple par la vertu de cet article. Il n’hésita même pas à attaquer le plus courageux et l’un des plus intègres administrateurs des Colonies de l’époque qu’était l’administrateur en chef Eugène Nemos, commandant du cercle du Sine Saloum. Après Mody Mbaye dont j’ai connu les articles au début de ma carrière, je n’ai vu personne dénoncer, en dehors des périodes électorales, les abus des colonialistes avec autant de vigueur et de mordant qu’Ibrahima. Voilà l’homme d’avant la Loi-Cadre. Ce qu’il fut comme homme politique au cours de l’exercice de son mandat de Conseiller territorial et Président de l’Assemblée territoriale avant et après son infirmité, pendant notre période d’autonomie interne, nul ne l’ignore au Sénégal. Il dominait tout le monde de son autorité. Qui n’a pas entendu vibrer sa forte et courageuse voix dans les réunions politiques et à l’Assemblée territoriale ? Quel député, quel sénateur, quel conseiller territorial n’a pas eu besoin de son vigoureux appui et de son assistance infaillibles ? Ne fut-il pas le sage et le courageux conseiller de notre jeune autonomie ? Qui ne connait pas l’efficience et l’efficacité de son action ? Qui ne connait pas le dynamisme et l’intense activité de cet infirme qui solutionnait sur son lit pliant toutes les questions et répondait utilement à toutes les correspondances ?

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 Ce fut l’un des plus grands hommes politiques que compte le Sénégal depuis plusieurs générations. Je dirai même que c’est le plus grand compte tenu des conditions physiques dans lesquelles il a joué son rôle avec une totale efficacité. C’était aussi un bienfaiteur pour tous. Nul n’a jamais fait appel en vain à son intervention quand sa cause était juste. Il ne se bornait pas seulement à se dresser contre les injustices. Il donnait aussi son argent et tout ce qu’il avait pour alléger les souffrances de ses amis ou de ses parents. Il était si généreux qu’il n’a jamais su amasser fortune malgré les moyens qui s’offraient à lui pour l’avoir.

Quant à sa dignité, elle était exemplaire. Il n’a jamais transigé en ce qui la concernait, ce qui lui valut certes des inimitiés mais la chose la plus importante pour un homme n’est-elle pas la sauvegarde de sa dignité ?

En somme si Ibrahima est devenu infirme après un accident d’auto qui eût pu lui coûter la vie, il est mort en homme complet intellectuellement et moralement. Paix à son âme ! Mon cher Ibrahima, il était de mon devoir de dire quelques traits de ton caractère et quelques épisodes de ta vie. S’il me fallait dire tout ce que je sais de ta grandeur d’âme, je ne finirais jamais. De même que tu dominais les gens de ta haute taille, tu les dominais aussi de toutes tes hautes valeurs.

Adieu !







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