A la suite des propos tenus par monsieur Mary Tew Niane concernant l’opportunité de célébrer en cette année 2020 le grand Magal de Touba, compte tenu des risques d’aggravation de la pandémie de la Covid 19, renforçant ses propos enrobés de prudentes circonvolutions de langage, d’images du Hadj 2020 de La Mecque qui s’est résignée à n’accueillir « que » 10 000 pèlerins, certains dignitaires mourides, notamment Serigne Mourtada Ibn Serigne Lahat Mbacké, ont menacé tous ceux qui auraient eu l’idée de contraindre le grand Serigne à une décision aboutissant à une non tenue du Magal, disant même que c’était un risque de voir du sang couler. Ces propos n’engagent que lui, puisque le Khalife Général des Mourides ne s’est pas encore exprimé sur cette brûlante question aux allures d’embarrassante « patate chaude ».
Le problème est d’une simplicité « biblique » et se factorise aisément. Quelle est la possibilité de tenir ce Magal 2020, quelles sont les recommandations du prophète (PSL), quelles sont celles de Serigne Touba lui-même, sur ce qu’il conviendrait de faire en respect de la dévotion de tout un chacun, prenant compte de notre sécurité sanitaire, mais aussi quelles sont les responsabilités de l’Etat dans cette défiance brandie par certains dignitaires mourides ? Où en est l’autorité de l’Etat ? Quelles doivent être les limites de ses prérogatives dans la préparation du Magal 2020, et quels sont les dessous qui accompagnent ce forcing à tenir le Magal quoi qu’il arrive, au mépris de la sécurité sanitaire des sénégalais ?
De manière apaisée, faisons le tour de la question…
L’idée qu’un intellectuel, en l’occurrence Mary Tew Niane exprime une opinion, est-elle devenue impossible au Sénégal sous peine d’être catalogué comme mécréant ? Ce dernier n’a d’ailleurs jamais préconisé quelque report de Magal que ce soit. Il a juste fait observer que La Mecque, qui représente tout de même un lieu d’importance pour la Ummah Islamique, jusqu’à preuve du contraire, avait su, grâce à la responsabilité des autorités saoudiennes confrontées à la Covid 19 et à ses ravages causés par une telle promiscuité, avait adopté des mesures drastiques pour protéger le monde entier des conséquences funestes du plus grand rassemblement humain de la planète, qu’est le grand pèlerinage de la Mecque. Proposant ainsi quelques pistes de réflexions autour desquelles les pouvoirs temporels et religieux pouvaient trouver des solutions empreintes de responsabilité et de considération pour une situation qui devient explosive et face à laquelle il ne convient pas du tout de dérouler une « politique de l’autruche » dont le pays pourrait ne jamais se relever.
Est-il raisonnable d’organiser le grand Magal de Touba comme les autres années, sachant que c’est cette promiscuité qui peut favoriser l’explosion du virus quelques jours plus tard ?
Quelles sont en ces circonstances les recommandations divines et celles qu’aurait faites Serigne Touba ?
Compte tenu de l’Histoire même des Magal de Touba, ne serait-ce pas là qu’un simple retour aux sources ? En effet, selon de nombreux exégètes du Mouridisme, jusqu’à l’avènement de Serigne Fallou au Kalifat, les célébrations du retour d’exil de Cheikh Ahmadou Bamba avaient lieu chez les fidèles et avaient des allures de « Grand Thiant ». Mais on ne peut non plus ignorer la dimension extraordinaire prise depuis lors par le grand Magal de Touba qui se déroule sous les feux médiatiques et religieux du monde entier, et c’est heureux… Mais il convient de considérer comme prioritaire la lutte contre l’expansion de cette pandémie qui fait non seulement des ravages sanitaires dans notre pays à l’instar du monde entier, mais qui plonge notre déjà fragile économie dans un insoutenable marasme. Le problème c’est que cette pandémie convoque certes une responsabilité collective, mais nous commande plus fortement d’exercer avec rigueur notre responsabilité individuelle, celle qui de nous des hommes…Tout simplement. Faut-il en appeler à la responsabilité des fidèles eux-mêmes face la dissémination probable du virus après ce Magal ? Notamment celle des pèlerins venant de l’étranger et qui seraient empêchés de retourner là où ils gagnent l’argent qui fait vivre leurs familles ?
Ne pourrait-on pas aussi faire des live vidéos dans chaque demeure de marabouts pour que les fidèles qui sont tous armés de smartphones puissent vivre leur foi ?
L’autre particularité du Sénégal est que la gestion du religieux est faite de fuites en avant en différant les questions « sensibles ». Chaque régime laisse au suivant la patate chaude religieuse : délimitation du statut et des prérogatives des religieux, réforme de l’enseignement. Le manque de courage politique et des calculs électoralistes sont à l’œuvre, alors qu’il s’agit, avec le Coronavirus et sa gestion, d’un enjeu vital pour l’avenir du Sénégal. Gouverner, en dehors de prévoir, c’est aussi prendre des risques politiques et assumer des responsabilités. Les « consensus mous » ne sont jamais durables, rien que par l’évolution des acteurs et de leurs intérêts. Ceux « supérieurs » doivent guider la conduite des affaires d’un pays, au-delà des logiques de conservation ou de consolidation du pouvoir. Le vrai réalisme est celui qui fait prendre conscience qu’acheter la paix mène souvent à la guerre. En fait, l’Etat ne peut faire pas preuve de faiblesse coupable et de manque d’autorité réunis, car d’autres rassemblements religieux succèderont au Grand Magal 2020. Organiser des CRD, financer les travaux, mettre la force publique au service du Magal 2020 n’est-il déjà pas la marque d’une dualité du pouvoir politique ?
Ne négligeons pas pour autant un aspect important du problème… Est-ce que cette insistance de tenir le Magal malgré les risques sanitaires pourrait être guidée par un appât du gain ou un manque à gagner des Adiyas ? En ce cas, pourrait-on adapter pour préserver cette manne, le Magal aux nouvelles technologies qui permettraient d’envoyer ses Adiyas par Wari ou Orange Money ?
Quel serait le signe d’un courage politique ? Poser franchement les conditions d’un dialogue responsable et serein, pour éviter que plus tard on n’ait même plus de dents pour s’en mordre les doigts. Et que, par coupable faiblesse, l’on soit contraint de dire ces choses…tout bas…