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Le Syndrome De Stockholm Ou La TragÉdie De L’afrique

Le Syndrome De Stockholm Ou La TragÉdie De L’afrique

Soixante ans après les indépendances, de nombreux pays africains continuent de célébrer des icônes peu reluisantes de la colonisation et de la Françafrique. D’Abidjan à Dakar, de Brazza à Lomé, s’érigent des statues, des places publiques et des rues en mémoire d’anciens colons ou de dirigeants occidentaux contemporains, qui se sont illustrés non pas par des faits de bravoure, d’héroïsme ou d’empathie pour l’Afrique, mais au contraire par la brutalité de leurs actions coloniales ou par leur adhésion aux idéologies de type Françafricain, incarnation moderne du colonialisme.

Le cas de Faidherbe est assez révélateur des dysfonctionnements institutionnels, démocratiques et du caractère fondamentalement factice de la gouvernance publique de certains Etats.

L’homme est unanimement reconnu pour sa cruauté et son cynisme aussi bien au Sénégal qu’en Algérie où il fit ses premières armes. A ce propos, les historiens relatent les faits avérés de massacres perpétrés sur des populations autochtones sans défense et la destruction de nombreux villages. Et sa stratégie de terreur n’épargnait ni humain, ni bête, ni plante. Il ne laissait derrière lui que ruine et désolation. Dans un ouvrage[1] fort documenté, le Professeur Assane Sylla revient, à travers de nombreux exemples, sur la propension du gouverneur à réprimer férocement par le feu, le carnage et le pillage toute velléité de résistance des populations. L’historien Khadim Ndiaye abonde dans le même sens. Sur une période de 8 mois, le Professeur Iba Der Thiam, estime à plus de 20 000 morts le nombre de ses victimes.

Comment alors comprendre la persistance des autorités locales et nationales à maintenir la statue de Faidherbe au centre de l’Ile de Ndar ? plus généralement, comment expliquer la survivance des symboles du colonialisme et de ses reliques contemporaines après plus de 60 années d’indépendance supposée ?

Comment expliquer le silence coupable de l’institution parlementaire, où la question est occultée sinon balayée d’un revers de main ?

Comment qualifier une gouvernance sourde et aveugle face aux fortes mobilisations citoyennes récurrentes réclamant le déboulonnement de la statue ?

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Enfin, comment expliquer l’indifférence et la banalisation de la question, voire le soutien manifeste de certains élus et d’une certaine élite intellectuelle qui jugent nécessaire le maintien de la statue au nom de l’histoire ?

En France, que l’Etat manifeste sa reconnaissante envers ses serviteurs, même les plus zélés, peut s’entendre, de la même façon que devraient pouvoir s’entendre les revendications légitimes des Afro-descendants français qui se sentent bafouer dans leur dignité par ces symboles de l’esclavage et de la colonisation. Dans une démocratie vivante et apaisée, des remises en cause d’une partie de l’histoire nationale peu glorieuse devraient être possibles sans que cela n’affecte la cohésion nationale. Ce fut le cas avec la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans le rafle du Vel d’Hiv en 1995, malgré la polémique sur l’inopportunité de réveiller les vieux démons tapis sous les questions mémorielles. Aussi, rejeter la revendication des Afro-descendants au motif d’une interprétation anachronique de l’histoire n’est pas recevable, car la férocité des personnages, tel que Faidherbe ou le cynisme de Colbert, auteur du Code Noir, étaient déjà décriés à leur époque par des personnalités mieux éclairées. C’est bien Georges Clémenceau, contemporain de Faidherbe, qui dénonçait ses excès en des termes non équivoques : lui qui « a tué, massacré, violé, pillé tout à l’aise dans un pays sans défense ». Les combats pour la justice et l’égalité de l’Abbé Grégoire ou de Condorcet par exemple, au sein de « La société des amis des Noirs » ne datent pas d’aujourd’hui. Ils remontent bien à l’époque esclavagiste.

En revanche, en terre africaine, que les propos tranchés de Macron[2] fasse écho et résonne comme une injonction auprès des dirigeants africains sur le passé africain, est incompréhensible, sauf à admettre l’évidence de la perpétuation de la domination de la France sur ses anciennes colonies.

Encore plus préoccupante est la posture d’une certaine élite politique et intellectuelle réceptive aux arguties en faveur des rapports de subordination, totalement déséquilibrés, qui continuent de définir la coopération entre la France et les pays francophones d’Afrique. Sur la question spécifique de la statue de Faidherbe, d’aucuns invitent à la prudence au motif que le jumelage avec la ville d’origine de Faidherbe (Lille) est économiquement bénéfique pour la ville de Saint-Louis, feignant d’ignorer l’insignifiance de cette coopération décentralisée face aux blessures mémorielles et à la négation même de notre humanité qu’évoquent ces effigies incongrues. C’est une réalité historique de dire que Faidherbe appartient à l’histoire du Sénégal de la même manière que le régime de Vichy et Hitler appartiennent à l’histoire de France. Mais les vestiges de la domination nazis en France sont dans les musées et enseignés pour ce qu’ils représentent alors qu’au Sénégal le buste de Faidherbe plastronne en héros conquérant sur la place qui porte son nom, en plein centre de la ville de Saint-Louis, le regard rivé sur le pont du même patronyme. C’est là tout le paradoxe et l’inconsistance des atermoiements afro-africains. 

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On ne mesure pas suffisamment la gravité de cette situation et son impact psychologique sur les consciences, les représentations et imaginaires collectifs africains, ni sa singularité à l’échelle mondiale. Nulle part au monde qu’en Afrique, les sociétés ont autant célébré et sublimé leurs anciens bourreaux. Des générations de jeunes naissent et grandissent dans un environnement peu valorisant, voire méprisant de leur identité et de leur dignité. Comment promouvoir dans ce contexte la confiance et l’estime de soi, indispensables au développement de l’esprit d’initiative et de créativité dont le continent a besoin, dans un monde livré à une compétition de plus en plus féroce ?

L’école qui devrait être le creuset de l’intégration sociale, le lieu par excellence du développement de la confiance en soi, est prise en otage par la même idéologie de domination-subordination. Elle évolue en vase clos, volontairement désenchâssée de son environnement social, culturel et historique. Les langues nationales, les humanités classiques africaines, la géographie du continent, etc. qui devraient constituer la charpente dorsale des systèmes éducatifs nationaux sont abandonnées au profit d’un enseignement conventionnel aseptisé, complètement désincarné, abstraitement universaliste, et prétentieusement techniciste de crainte de heurter la susceptibilité de nos « partenaires », qui parfois ne demandent rien, du moins explicitement. Mais par réflexe de subordination, on cherche à satisfaire par anticipation les désirs supposés de l’autre au mépris de ses propres intérêts, nourrissant ainsi de la condescendance et un paternalisme qui transparaissent dans les relations diplomatiques. Il n’est pas étonnant que les élites issues de ces systèmes éducatifs ne soient pas, dans leur écrasante majorité, à la hauteur de leurs responsabilités historiques, comme nous y invitait Frantz Fanon dans « Les damnés de la terre »[3]. Il s’agit en réalité d’une domination intellectuelle et culturelle méthodiquement entretenue, qui préfigure et accompagne la domination et le pillage économique. Seules une véritable prise de conscience collective et une détermination politique des Africains, unis dans un élan panafricain, pourraient venir à bout de cet ordre économique et politique asservissant et avilissant. Le collectif « Faidherbe doit tomber », porté par une génération de refus, s’inscrit bien dans cette perspective.

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« Ainsi l’impérialisme, tel le chasseur de la préhistoire, nous prévenait Cheikh Anta Diop, tue d’abord spirituellement et culturellement l’être, avant de chercher à l’éliminer physiquement. La négation de l’histoire et des réalisations intellectuelles des peuples africains noirs est le meurtre culturel, mental, qui a déjà précédé et préparé le génocide ici et là dans le monde »

[1]« Le peuple lébou de la presqu’île du Cap-Vert », NEA Sénégal, 1992

[2]Dans son allocution télévisée du 14 juin, Le président français affirmait qu’ »aucune statue ne sera déboulonnée », « la république n’effacera aucun nom ou aucune trace de son histoire », considérant de surcroit que la revendication des manifestants relèverait » d’une réécriture haineuse ou fausse du passé ».

[3]« Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir« ,Frantz Fanon,Les damnés de la terre, 1961







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