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Faidherbe, Le Statut Et La Statue

On ne peut pas enseigner aux jeunes les ignominies que Faidherbe a fait subir aux populations pendant la colonisation et, en même temps, ériger une statue qui magnifie ses services rendus aux Sénégalais. Les déclinaisons de nos historicités doivent être en cohérence avec nos enjeux imaginaires et pédagogiques. La statue de Faidherbe fait partie des vestiges surannés d’une époque d’anomie et elle doit, au mieux, rester dans un musée.

Le débat sur la problématisation des rapports souvent ambigus que certaines sociétés contemporaines entretiennent avec leur passé colonial est revenu avec une nouvelle acuité renforcée par la résurgence des mouvements antiracistes et les débats de souveraineté nationale. Même si ce débat n’est pas nouveau et est souvent remis dans l’actualité par la dictature de l’évènementiel, – ici le meurtre raciste de Georges Floyd aux États-Unis – il pose cependant des enjeux importants qui sont toujours d’actualité. De tels enjeux se déclinent dans la conservation ou non des vestiges historiques problématiques dans nos espaces publics. Comment appréhender ce passé et, au-delà de ce que l’historiographie a consigné dans les manuels, qu’est-ce que la mémoire doit conserver et transmettre ? Quelle place donner à la représentation de ces évènements dans les espaces publics ? Au Sénégal, les résidus de cette colonisation demeurent et nourrissent en ce moment un débat clivant sur la statue de Faidherbe à Saint-Louis et partant sur les enjeux de conservation et de transmission des séquences de ce passé.

Enjeux mémoriels

Les communautés humaines s’appliquent toujours à se forger une connaissance d’elles-mêmes par différents moyens. Cette démarche de représentation, cette saisie à la fois synchronique et diachronique de soi passe aussi par la mémoire qui permet de maintenir cette continuité de l’être en liant le passé au présent. La gestion du passé, des mémoires et des historicités est faite selon des modalités particulières propres aux peuples qui contrôlent la manière dont ils appréhendent et ordonnent le sens – dans son acception de direction et de signification – de leur rapport au passé. Ils construisent leur récit qu’ils peuvent décliner et prolonger dans le domaine de leur patrimoine culturel, toponymique et mémoriel dans un espace public en conformité avec leurs enjeux symboliques et imaginaires. Le récit mémoriel, individuel ou collectif, choisit les évènements qu’il veut retenir, il est en constante mutation et est toujours déterminé par le présent qui renouvelle son sens. Il s’inscrit dans un processus permanent de construction et de reconstruction des évènements passés dans une mise en récit modalisée, voire subjective. Ses représentations peuvent s’exprimer dans des formes symboliques – des statues et monuments érigés dans l’espace – à travers lesquelles elles se structurent, se définissent et se concrétisent.

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Alors, dans une simple tentative de compréhension, on peut être confronté à un souci d’intelligibilité quand on essaie d’appréhender la présence de la statue de Faidherbe à Saint-Louis. Comme on peut aussi difficilement comprendre la position de celles et ceux qui pensent que se débarrasser de ces symboles résiduels insupportables de ces périodes de la colonisation efface l’histoire. Ce qu’on comprend en revanche est que l’histoire constitue une science et elle est faite par les historiens dont l’objet d’études reste le passé. Elle procède par des méthodes, des recherches et des investigations, elle se structure dans le temps long et n’arrête pas de s’écrire. La statue ne fait pas l’histoire et son déboulonnement ne réécrit pas l’histoire même si on comprend par ailleurs que, pour les historiens, le présent est toujours un vestige pour demain. L’ordonnancement scientifique et la mise en récit du passé ne se mesurent pas à l’aune des statues érigées ou non dans l’espace public. Alors, la question qu’on doit se poser est celle-ci : pourquoi devrait-on ériger une statue à l’honneur de Faidherbe ? Quel est le statut de Faidherbe dans notre récit mémoriel ?

Le statut

L’histoire crédite à Faidherbe une présence au Sénégal de 1952 à 1965 (avec quelques années d’absence) comme gouverneur; il fait partie de l’histoire de ce pays, c’est indéniable ; il a aussi laissé une mémoire douloureuse – cela aussi est indéniable – que l’espace public ne peut pas continuer de pérenniser. Sans vouloir entrer dans le conflit entre l’histoire et la mémoire, il est important de souligner que la figure clivante de Faidherbe s’inscrit dans historicités plurielles avec des lignes de fractures narratives importantes dont le point de rencontre, pour nous, demeure le l’origine de cette historicité : le Sénégal.

Le récit de valorisation de la figure de grandeur, de grand combattant qui a rendu des services à sa nation n’est pas celui des Sénégalais. Les prédicats d’exemplarité, de modèle, d’homme de culture qui a apporté aux peuples colonisés les bienfaits de la civilisation française, le digne représentant de la France en Afrique, décoré plusieurs fois à la Légion d’honneur par son pays, ne peuvent pas être nos énoncés malgré tout le bien que Senghor a dit sur Faidherbe.

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Ce qui importe par ailleurs, c’est le récit mémoriel, le ressenti que nous avons de cette séquence temporelle, faite de violence, d’exploitation et de subordination. Sous nos cieux, la séquence narrative de sa présence est différente, voire dichotomique. Faidherbe était un gouverneur de la colonie, raciste et violent, qui n’a pas hésité à tuer des communautés, brûler des villages et exploiter économiquement le Sénégal pour les intérêts de la France. Sans vouloir revenir sur les crimes de ce dernier, parce que largement documentés par l’historiographie, dans ce récit, il a été un administrateur de la colonie, un assassin, un pyromane, un pilleur et un bourreau. Faidherbe n’est pas notre héros et il ne doit pas être célébré, encore moins être honoré par une statue. Sa présence dans l’espace public n’aide pas à apaiser cette mémoire. La place qu’il occupe dans notre mémoire collective ne peut pas et ne doit pas lui octroyer le statut de modèle référentiel. Il ne mérite pas une statue. Les déclinaisons toponymiques et patrimoniales de ce récit de soi doivent aussi donner une importance à la cohérence pédagogique.

La statue

Au-delà de sa présence décorative dans l’espace public, la statue a une charge symbolique et donc évocatrice. Quand on décide d’ériger une statue dans l’espace public, il y’a une signification qui y est investie. La statue postule une posture, un énoncé, un récit et son érection est toujours surdéterminée. Elle met en valeur, elle vise à visibiliser une figure, une idée, un fait ou un état d’esprit. Sa présence dans l’espace physique travaille la cristallisation des mémoires et la construction des imaginaires. La statue décline et prolonge des récits sur le passé et son érection doit être structurée dans une pédagogie cohérente surtout quand on sait que les lieux de mémoire reflètent la cohérence du récit de soi.

La statue permet l’actualisation de la figure de ces personnages pétrifiés dans le granite, le béton ou le cuivre en faisant de l’espace un lieu de mémoire qui donne un visage public à une figure historique. Par sa permanence dans l’espace public, elle peut être un outil mémoriel qui permet de conserver, raviver et garder les souvenirs qu’on veut pérennes. Elle peut avoir une fonction pédagogique dans la transmission d’une mémoire exemplaire.

Elle peut par ailleurs être contreproductive si elle est en conflit avec les récits mémoriels de la communauté d’autant plus qu’elle évoque des souvenirs douloureux. En l’occurrence, elle peut même brouiller la construction d’intelligibilité sur le passé. On ne peut pas enseigner aux jeunes les ignominies que Faidherbe a fait subir aux populations pendant la colonisation et, en même temps, ériger une statue qui magnifie ses services rendus aux Sénégalais. Quid de la cohérence pédagogique ?

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La défense de la statue, drapée sous les oripeaux d’une ouverture à la pluralité narrative de Ndar, occulte tout l’enjeu symbolique et politique de ce problème. On ne peut pas célébrer quelqu’un qui était venu, dans la violence, coloniser, assujettir et exploiter. On ne peut pas ériger une statue de colon dans l’espace public si on sait tout ce que la colonisation a fait subir aux populations. Le métissage et le dialogue ne peuvent pas occulter les agissements meurtriers de cette personne qui n’était ni dans la pluralité ni dans la nuance. Cette statue est un vestige suranné d’une époque d’anomie et elle doit, au mieux, rester dans un musée. Sa présence dans l’espace public est fondamentalement malsaine et politiquement insupportable. La polyphonie s’accommode très mal de la mémoire douloureuse, rappelée violemment par cette figure en surplomb sur Ndar et sur d’autres narrations plus structurantes qu’elle étouffe.

Déboulonner la statue de Faidherbe, c’est donc confronter le passé dans ce qu’il a de répugnant en refusant de célébrer un sanguinaire aux antipodes de la cohumanité. Ce faisant, on tente aussi d’apaiser des mémoires douloureuses. En déboulonnant, on tente de déconstruire et de ruiner le surcroit d’idéologie colonialiste qui accompagne l’idée de son inscription dans l’espace public. Déboulonner la statue, c’est sortir des imaginaires ancillaires emprisonnés dans le miroir aliénant du regard de l’autre et construire par là même des espaces d’altérité décolonisés. Pour rester dans la métaphore de la pluralité narrative de Ndar, déboulonner, c’est aussi tenter d’ouvrir des voies pour entendre d’autres voix en promouvant des mémoires combattantes inscrites dans la fierté et la valorisation des héroïnes et héros qui se sont distingué.e.s dans la bravoure et le courage. On déboulonne pour sortir du délire de l’autre en refusant, comme le remarque Boubacar Boris Diop, de nous fasciner devant nos bourreaux. Déboulonner, c’est finalement s’inscrire dans une posture plus globale de décolonialité et de revendication d’une souveraineté nationale effective.

Fodé Sarr,

Montréal.







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