Je ne préjuge nullement de l’accueil qui sera fait à cette réflexion. Si cet accueil est favorable, deux personnalités de premier plan des milieux intellectuels du Sénégal, y auront pris une part importante : Boubacar Boris Diop et Makhily Gassama.
Le premier, que malheureusement je ne connais pas personnellement, m’a fortement inspiré par une contribution magistrale publiée le 31 juillet dernier sur SenePlus et le second est un ami qui m’a poussé à écrire ce qui suit.
Personne ne présente plus ces deux sommités de l’intelligentsia sénégalaise et même africaine. L’un, Boris, je ne manque aucune occasion d’enregistrer ses réflexions sur le disque dur de mon ordinateur ; de l’autre, Makhily, je disais un jour à mon épouse : « C’est un vrai ami, mais il est cruel… » tant l’homme est soucieux de rigueur quand il tient un manuscrit entre ses mains. Je venais d’en faire l’expérience en lui soumettant la première édition de mon livre intitulé « Vision et projet de société », paru en janvier 2019.
Après avoir lu le texte de Boris, j’en avais fait part à Makhily par des mots très simples : « Je suis fasciné ». Ce texte intitulé : « Faidherbe ou la fascination du bourreau », mérite à tous égards le respect en ce qu’il résume ce que tous les Sénégalais devraient dire de ces rues, places, marchés, hôpitaux, et j’en oublie, qui portent des noms de colons dont nous ne savons absolument rien. Dans le cas de Faidherbe, c’est encore plus grave quand on se rappelle la cruauté avec laquelle il a gouverné notre pays.
Boris nous appelle alors à une prise de conscience de la situation paradoxale dans laquelle nous nous trouvons en disant notre « reconnaissance » à un homme qui a manifesté autant de mépris à notre pays.
Le débat sur le déboulonnement de la statue de Faidherbe semble n’avoir pas lieu d’être mené plus longtemps. Il en est de même du débat sur la Zone franc que Macron et Ouattara prétendent avoir démantelée à la seule fin de barrer la route à l’émergence d’une zone monétaire de la CEDEAO.
Un ancien ministre des Finances disait, il n’y a guère : « Le débat sur le CFA est un faux débat… ». Le maire de Saint-Louis a dit la même chose du débat sur la statue de Faidherbe. L’un et l’autre étaient à court d’arguments face aux partisans d’une souveraineté nationale totale sur l’ensemble de nos secteurs. Assurément, quand on a une mentalité servile, on la conserve toute sa vie.
Je n’appartiens à aucune coterie confrérique, politicienne ou autre. Qu’on me dise si ce n’est pas une insulte à tout le peuple sénégalais que de laisser trôner la statue de ce colon arrogant et cruel devant le Palais où, Boris nous le rappelle, l’un des plus illustres guides religieux du Sénégal s’était vu signifier un exil de plusieurs années au Gabon. On devrait donner le nom du fondateur du mouridisme à la place Faidherbe. Ce serait une simple revanche sur l’histoire.
A-t-on oublié ce que des Français de souche avaient déployé comme efforts pour s’opposer aux « honneurs » faits au maréchal Pétain ? Les Russes n’avaient-ils pas déboulonné la statue de Staline, les Iraniens celle du Shah, les Irakiens celle de Saddam et les Libyens celle de Kadhafi ? Où pourriez-vous trouver aujourd’hui une statue du Maréchal Mobutu en RDC ?
Il n’y a pas à tergiverser, nous devrions débaptiser nos avenues et nos places pour leur donner les noms de héros nationaux ou africains afin de marquer de leur empreinte les esprits de nos jeunes générations. Iba Der Thiam l’avait proposé il y a plusieurs années. En particulier, la statue de Faidherbe devait rester par terre. C’est là sa place. Abdou Diouf avait fait déboulonner la statue de cet administrateur colonial qui trônait dans le parc du petit Palais (actuelle Maison militaire), pour la remplacer par celle de Lat Dior, célèbre résistant à la conquête coloniale. Qu’on ne nous dise pas que Faidherbe fait partie de notre histoire ; Hitler fait bien partie de l’histoire de la France, mais aucun maire français n’oserait ériger sa statue sur le territoire de sa commune.
C’est le lieu de saluer le geste de la municipalité de Gorée qui a débaptisé la Place de l’Europe pour la nommer « Place de la liberté et de la dignité ».
Tout notre mal vient de ce que, après les indépendances formelles octroyées par le colon à nos pays avec, à la clé, des clauses secrètes qui en annihilaient toute signification, nous n’avons pas décolonisé nous-mêmes nos mentalités. Et cela explique que ce qui, ailleurs, a entraîné des guerres de libération très coûteuses en vies et en ressources, semble normal en pays francophones. Il n’y a de salut que dans la prise de conscience populaire de l’impérieux besoin d’une souveraineté totale sur tous les aspects de la vie nationale.
Mamadou Diop est auteur du livre « Vision et projet de société ».