Déboulonner ou conserver la statue de Faidherbe, et plus généralement, débaptiser ou maintenir la toponymie coloniale des monuments publics ? Débat intellectuel, assurément ! Les populations sénégalaises, confrontées à un « déconfinement » désordonné, dans le cadre de la crise sanitaire liée à la pandémie du COVID 19, semblent avoir d’autres préoccupations. Elles sont confrontées aux hypothèques qui pèsent sur leurs activités quotidiennes : velléités d’accaparement de terres agricoles, intrants agricoles non encore disponibles, crise alimentaire, accès limité aux ressources halieutiques raflées par de grands chalutiers étrangers, aggravation du chômage des jeunes qui reprennent le chemin de « Barça/barsaq », effondrements des bâtiments et rues délabrées dans l’ile de Ndar, …etc.
A ces difficultés, s’ajoutent le traumatisme persistant provoqué par une gestion hasardeuse de la crise sanitaire et les lourdes incertitudes sur l’éducation des enfants avec une année scolaire passablement perturbée.
Mais, pour autant, ne boudons pas ce débat qui, plus que la polémique : démolir la statue Faidherbe ou se mettre au garde à vous, nous interpelle plutôt sur les exigences d’une rupture avec le modèle colonial et l’exercice d’une souveraineté nationale complète.
C‘est depuis les États-Unis d’Amérique, où George Floyd, un jeune afro-américain, asphyxié jusqu’à ce que mort s’en suive par un policier blanc, le 25 mai 2020 aux USA, qu’a été lancé un vaste mouvement anti raciste. Les consciences humaines ont été heurtées par cet acte odieux.
Au Sénégal, cette vague d’indignation a suscité, à juste raison, une vive émotion dans une frange de la population. Elle a donné lieu à quelques formes de protestation et de solidarité dont l’écho a été limité par une pandémie COVID 19 en forte progression. En revanche, un nouvel élan anticolonialiste s’est exprimé avec force dans différents secteurs de la société civile et dans les milieux politiques. Ce mouvement, focalisé sur les symboles de la période coloniale au Sénégal, mobilise des individus hétérogènes, avec des objectifs différents.
Apparemment, soudés comme un corps unique, ils réclament, avec véhémence, le déboulonnage ou la destruction des statues héritées de la colonisation, destinées aux poubelles de l’histoire, ou encore la débaptisation des noms de rues, d’édifices et de places publics ayant comme éponymes des personnages de la colonisation.
Que retenir de ce mouvement de contestation, largement concentré sur l’exigence d’effacer du champ public les symboles les plus manifestes de la colonisation : « Se débarrasser de tout ce qui rappelle les moments douloureux du colonialisme » ?
Un combat politique et patriotique
La hampe bien tenue, le drapeau de la fierté nationale déployé avec vanité, les portes étendards de ce regroupement couleur arc en ciel vont à l’assaut des marques apparentes du colonialisme dans notre pays. Mais ce combat contre les vestiges serait beaucoup plus légitime et salutaire pour la patrie et pour nos populations si, dans le même temps, – ce que fait une partie des intervenants du débat, nous le savons bien -, l’on s’attaquait aux chaines matérielles et immatérielles qui nous lient actuellement aux puissances étrangères. Le modèle colonial, plus que jamais en place, sous des formes renouvelées, maintient un système d’exploitation des ressources nationales et d’aliénation culturelle avec la complicité d’une élite politique extravertie. Notre pays reste soumis au capitalisme néo libéral triomphant. La statue de Faidherbe qui plastronne dans la vieille cité de Ndar/ St Louis est certes une humiliation nationale. Mais d’autres formes d’humiliations bien pires nous sont imposées : L’humiliation de voir nos richesses nationales spoliées, emportées avec la complicité d’auxiliaires locaux ; l’humiliation d’un endettement chronique soumettant aux pressions extérieures la vie politique, sécuritaire, économique, monétaire et culturelle de notre pays ; l’humiliation de constater au jour le jour le basculement dans le dénuement, la précarité et la pauvreté de parties importantes de nos populations, en particulier notre jeunesse. 60 ans après les indépendances octroyées, nous sommes toujours dans une société duale, héritée de la colonisation qui fonctionne à deux vitesses. Elle met face à face l’élite héritière du système colonial et ses affidés d’un côté, et les populations « indigènes », de l’autre. Une langue officielle, le français, parlée par l’élite dominante, intellectuelle, administrative et politique qui contrôle l’Etat et l’économie dite moderne avec son mode de consommation extravertie. Une économie informelle, animée par des acteurs enracinés dans la culture nationale par la langue et le mode de consommation, qui sont souvent écartés du système d’éducation et de formation de la République. Une société qui souffre d’homogénéité culturelle, des manières d’être et des attitudes encore distinctes entre l’élite et le reste de la population. Cet aperçu illustre bien que la réalité sociale issue du modèle colonial n’a pas pris trop de rides. Au reste, telle une pieuvre, le système colonial, avec une extraordinaire capacité d’adaptation et sophistication étend ses tentacules qui enserrent nos pays.
Actuellement, toutes les infrastructures routières (Senac), Portuaires (Bolloré et Dubaï Port World), aériennes (Summa-Limak), télécoms (OrangeFrance-Telecom) et hydrauliques urbaines (SUEZ), sans compter les ressources pétrolières et minières, sont sous le contrôle de capitaux étrangers. Le combat patriotique de parachèvement de la décolonisation de notre pays, et de conquête d’une souveraineté complète est toujours d’actualité. La priorité reste encore la rupture avec le paradigme colonial afin que s’ouvrent de nouveaux horizons de développement économique et social autocentré, contribuant à la promotion d’une Afrique au service des Africains. Sans nul doute, la bataille sur les symboles peut avoir son intérêt, sa légitimité, mais n’y a -t-il pas risque, à l’instar de Don Quichotte guerroyant contre des moulins à vent, de laisser échapper le serpent et de continuer à taper sur ses traces. Ce n’est pas un objectif raisonnable pour les acteurs de changement de se borner à un simple élagage des branches et du feuillage d’un arbre encore bien enraciné. Au début des années 80, sous le régime PS, l’on a assisté à un vaste mouvement de débaptisation des noms de rues et d’écoles. L’adoption bureaucratique de ces nouvelles dénominations, retenues souvent sur la base de considérations politiciennes, n’a pas eu le retentissement escompté en termes de valeurs patriotiques et éthiques éclairantes pour un nouveau récit de notre histoire, au bénéfice des nouvelles générations.
Au Congo, devenu Zaïre, Mobutu avait déjà lancé le plus radical mouvement de débaptisation et de rebaptisation (zairisation). Il avait concerné non seulement des noms de lieux mais aussi l’identité civile des citoyens, il s’était même étendu à la mode. «L’Authenticité africaine » avait été célébrée comme la justification idéologique de cette révolution toponymique et identitaire. En vérité, cette vaste opération cosmétique, sous le drapeau de la fierté nationale, visait simplement à redonner des habits neufs à sa soumission aux intérêts néocoloniaux. Il n’échappe à l’attention de personne que dans le plaidoyer actuel pour la débaptisation et le déboulonnage, l’on compte des barons du régime politique en exercice.
Dans certains cas, ils sont même à la manœuvre, hurlant fort, faisant montre d’une petite dose de radicalité populiste, ils appellent à effacer les pages sombres de notre histoire. Mais loin de l’onde de la houle, ils n’ont cas des populations sur lesquelles déferlent avec furie les vagues d’un système néocolonial oppressif. Dans une chronique récente Mackhily Gassama met en garde ceux qui surfent sur un nationalisme étriqué pour se faire une place au soleil, en jouant sur la sensibilité des personnes. (www. Seneplus) La priorité du moment pour les patriotes c’est de s’engager dans les luttes en cours portées par la frange la plus active des populations, les organisations syndicales et les divers groupes de la société civile sur les enjeux du moment. Ils ont noms : l’accaparement foncier, la transparence dans la gestion des deniers publics, l’emploi des jeunes, la promotion d’une sécurité nationale en solidarité avec les pays voisins, la gouvernance démocratique des institutions de la République, l’accès à la santé et à l’éducation ainsi qu’une véritable politique de promotion et d’enseignement des langues nationales. … C’est à travers cette dynamique citoyenne et patriotique que devrait s’inscrire le débat sur ce que Boubacar Boris nomme l’humiliante anomalie de monuments de l’époque coloniale qui nous entourent, comme la stèle de Faidherbe à Saint Louis.
Ndar/Saint-Louis,lieu de cristallisation du débat
Par le nombre de chroniques récemment publiées dans la presse, la ville de Ndar/ Saint Louis concentre incontestablement le débat national sur la démolition des statues de la période coloniale. C’est sur cette cité que déferle, avec la plus grande intensité, la vague visant à effacer les empreintes visibles de la colonisation.
En effet, la cité de Ndar/St-Louis, pont entre le Sénégal précolonial, la période esclavagiste, l’époque coloniale et la phase néo coloniale, a été la porte de pénétration et le point d’ancrage de la conquête coloniale du 19e siècle, avant de devenir la capitale de l’AOF puis du Sénégal. Ville mémorielle, plus que tricentenaire, elle porte un riche patrimoine historique qui peut nourrir notre conscience historique et éclairer les perspectives d’avenir. Ndar/ Saint-Louis est une ville singulière. Une cité carrefour d’histoire, de géographie et de peuples, offrant, selon J.P. Dozon, un palimpseste où se juxtaposent plusieurs couches, plusieurs mondes, plusieurs temporalités. Ballotée entre eaux marines et eaux fluviales, entre les sables sahariens du Nord du pays et les Niayes qui bordent la côte occidentale du Sénégal, Ndar/Saint Louis est un « hyperlieu » (J.P. Dozon), une « cité créole », une ville de ponts et d’échanges, une ville de convergence culturelle et sociale. Une ville, ouverte sur le Monde, dont le rayonnement dépasse le Sénégal et l’Afrique pour embrasser une vocation internationale. D. Samb, a dit de St Louis, qu’elle est un lieu de métissage et d’intégration, un lieu d’histoires et de légendes, un foyer de nostalgies et de souvenirs, un tremplin des conquérants et un refuge des vaincus. Une ville qui, comme une mère généreuse, materne tous ses enfants, toutes origines confondues. Doomi Ndar (saint-louisiens) est une identité que peut porter tout fils, dès lors qu’il adopte sa culture, peu importe le lieu de naissance. C’est bien cette singularité qu’évoque F.Dia en ces termes : « Ndar, ville d’accueil et de « teranga », elle regroupe à la fois : « «hommes de couleur» et «gourmettes», «nègres libres» et «engagés à temps», esclaves et captifs de «case» ou de «traite», «habitants» et étrangers, ces derniers comprenant aussi bien les gens venus du Cayor tout proche que ceux qu’on appelait déjà «Toucouleurs» ».
Enfin, ville de tolérance, où l’appel du muezzin de la mosquée s’élève du minaret pendant que le sonneur d’église fait tinter les cloches. D’ailleurs, dans sa coquetterie légendaire, le minaret de la grande mosquée du centre-ville (Lodo) est paré d’un clocher. Ndar/Saint Louis a aussi cette particularité d’enterrer ses morts (musulmans et catholiques) dans une proximité de lieu que l’on penserait à une fraternité post mortem de ses fils. Malgré cette grande ouverture et une capacité de résilience remarquable, les doomi Ndar (St-louisiens) n’ont jamais cessé, dans des formes appropriées, de résister à toute forme d’invasion culturelle. Qu’elle soit celle venue du Trarza par le désert, ou des colons européens (français et/ou anglais), à travers l’Atlantique. Ndar/ Saint-Louis n’a pas attendu les déboulonneurs pour défier, dans une ferme courtoisie, la toponymie coloniale.
Dans son roman coloré, paru en 1935, sous le titre de Karim, Ousmane Socé Diop décrit la souveraineté dénominative des doomi Ndar alors que le colon domine sans partage tout le pays et dans tous les domaines. Le nom de NDAR pour désigner leur cité, Baya pour nommer la Place Faidherbe, Pomu tenjigeen pour parler du pont Faidherbe, Pomu Get Ndar pour le Pont Servatius, rebaptisé Malick Gaye ou le Pont Geôle, devenu Massek Ndiaye, appelé pomu sancaba ou pomu Lodo suivant qu’on est de l’un ou de l’autre quartier. Lodo indique le quartier Nord de l’Ile et Sindone le quartier opposé ; Sancaba désigne le quartier baptisé Ndar Toute par le colon, et Teen jigeeen, le quartier Sor 1. Ndar/Saint-Louis a toujours vécu avec une double toponymie, dans la liberté et la tolérance. La fierté ndar ndar et son rapport complexe avec le colon, ont souvent été masqués par une apparente assimilation à la culture coloniale. Mais si l’on dépasse une lecture superficielle, l’on ne peut que reconnaître avec F. Dia : « Créée par les Blancs mais peuplée par les Noirs, Saint-Louis a pu ainsi préserver son identité africaine. » Il poursuit : « ce sont donc les Saint-louisiens qui ont assimilé le colonisateur et non l’inverse et c’est une prouesse que leur cité, porte drapeau de la présence française en Afrique de l’ouest, soit devenue le symbole de la plus médiatique des valeurs sénégalaises : la «téranga» !
Ndar/Saint-Louis porte une partie du patrimoine historique du Sénégal
Cette teranga n’a jamais fait oublier à Ndar/Saint Louis et aux doomi Ndar, le rôle de Faidherbe, celui qui a assis la suprématie du système politique et administratif colonial. L’historien Abdoulaye Batilly, remettant opportunément au goût du jour ses immenses travaux universitaires sur la vie et l’œuvre de Faidherbe, appelle à une étude dialectique de « l’œuvre faidherbienne comme toute autre pour contribuer à sa démystification mais surtout pour acquérir une connaissance scientifique des lois du développement social ». En effet, le général Louis Léon Faidherbe est dans l’histoire du Sénégal l’une des grandes figures marquantes du colonialisme français. En sa qualité de gouverneur de la colonie, il a joué un rôle de premier plan dans la mise en place des dispositifs politiques pour le compte de la Métropole. Il s’imposa par la violence et par des atrocités sur les populations, et par une administration oppressive pour les indigènes. Evidemment, comme le note A. Bathily, l’on ne peut nier, dans le cadre de la politique d’expansion coloniale, les travaux d’aménagement entrepris sous l’administration de Faidherbe, ni les initiatives pour l’éducation et la recherche. Dans sa stratégie de reconversion économique de la colonie, il adopta des textes légalisant la corvée et le travail forcé des populations des régions conquises.
Selon A. Bathily, usant tour à tour dans ses relations avec les Africains, de la force brutale, la ruse politique, l’intoxication idéologique, il réussit à imposer le système colonial au bénéfice des forces sociales coloniales. Faidherbe, principal acteur de l’expansion coloniale au Sénégal, ne peut être sanctifié dans ce pays ; il ne mérite ni d’être révéré, ni d’être honoré, ni d’être loué. Déjà, en France, à Lille, sa ville natale, son rôle historique fait l’objet de vives controverses. A Saint Louis, l’on ne peut que s’indigner fortement de lire l’épitaphe : « A son gouverneur, la nation sénégalaise reconnaissante », encore sur le socle de la statue de Faidherbe. Déjà, jeune « contestataire » dans les années 70, lors d’une conférence publique à la Chambre de Commerce de Ndar /Saint Louis, nous nous élevions contre cette inscription humiliante et réclamions qu’elle soit effacée par les tenants de la puissance publique. A Faidherbe, nous ne savons gré de quelque gratitude, encore moins de sentiments d’obligé. Si Faidherbe est reconnu, à juste raison, comme élément de notre patrimoine historique, il reste à nourrir notre mémoire en vue de le positionner pour ce qu’il a été réellement dans cette histoire. C’est peut-être là, la ligne de partage entre les intellectuels patriotes et ceux qui ne comprennent pas, selon notre vieux camarade O. BÉYE, que « les héros d’une nation conquérante et coloniale sont aussi les bourreaux du peuple conquis et asservi ». Ndar et ses enfants ont traversé l’époque de la traite et la période coloniale en sachant garder, dans la courtoisie, leur identité. Malgré la présence marquante du colon, Ndar/Saint-Louis a supporté les combats politiques pour l’indépendance, les conquêtes démocratiques nationales et des avancées dans l’émancipation syndicale. Cité d’avant-garde, elle a pleinement assuré son rôle patriotique et a notablement tenu sa place dans le rayonnement intellectuel du Sénégal voire de l’Afrique.
Plaidoyer pour sauver et rénover une ville patrimoine
C’est tout cet actif à la fois historique, politique, intellectuel qui a valu à Ndar/Saint-Louis d’être inscrite au patrimoine mondial de L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). C’est avec une fierté légitime qu’elle revendique de compter comme partie intégrante de cet ensemble de sites naturels et culturels auxquels est reconnue une valeur universelle exceptionnelle et qui font l’objet d’une protection particulière. Cette « ville amphibie », «site improbable…aujourd’hui menacé, entre mer et rivières, avec vue imprenable sur l’infini, avec, sur plusieurs kilomètres, le fleuve Sénégal qui frôle la côte sans se décider à rejoindre l’Atlantique, faisant sa coquette comme le paon fait la roue. » (F. Dia) est aujourd’hui fortement menacée. Ville en péril, Ndar/Saint louis est une ville à sauver, une cité à rebâtir, un nouveau récit urbain à écrire et à narrer. Ndar/St Louis est au bord de l’infarctus. Un acte politique irréfléchi a été posé en 2003 par les autorités politiques qui ont ouvert un canal à l’embouchure du fleuve Sénégal.
Depuis, St Louis n’arrête pas d’enregistrer des naufragés de barques chavirées et de pirogues arraisonnées sur les côtes mauritaniennes et d’égrener le nombre de ses enfants partis à Barça pour ne plus jamais revenir. Les activités de pêche et de tourisme sont fortement perturbées. Ndar est en urgence vitale, elle risque d’être engloutie par cette brèche, véritable désastre écologique. Ndar/Saint Louis est devenue, au fil des ans, une cité brouillonne, désordonnée et désarticulée, perdant de son lustre avec des bâtiments en ruine, économiquement exsangue. Saint Louis, ville orpheline, déboitée de son hinterland du Walo, abandonnée par la puissance publique, désertée par ses fils, a surtout besoin d’un plan d’urgence de sauvetage, de rénovation et de reconstruction. Avec l’avènement du pétrole « off shore » sur ses côtes, Saint Louis suscite beaucoup d’appétence pour les nostalgiques de la période coloniale et aussi pour de nouveaux aventuriers.
Pourtant Ndar/Saint n’est ni à reconquérir ni à vendre. Sauver Ndar/St Louis c’est avant tout, appeler à de larges et démocratiques délibérations citoyennes pour définir les priorités du moment et les inscrire dans une vision éclairée de son avenir, prenant en compte son hinterland. C’est dans ce cadre seulement, qu’il faudrait décider du sort à réserver à la statue Faidherbe, au même titre que des autres formes de représentation de la période coloniale dans l’espace public. Aucune figure nationale, quelque prestigieuse soit-elle au plan religieux ou au plan historique, ne peut s’imposer à Ndar / Saint Louis, sans que les citoyennes en délibèrent démocratiquement. A la vérité, Ndar/ St Louis ne souffre pas d’héros. D’éminentes figures emblématiques ont marqué l’histoire de la vieille ville qui a produit des fils valeureux, d’éminents intellectuels, de cadis, de résistants, de sportifs et d’artistes. Ils ont fait rayonner la cité en Afrique et dans le Monde. Ndar/St-Louis, est un concentré de mémoires qui porte un riche patrimoine à valeurs historiques, architecturales, culturelles, esthétiques (J.P.Dozon). Toute décision la concernant devra considérer hautement sa vocation de ville d’échanges intellectuels et culturels et aussi sa vocation de ville patrimoine d’histoire « l’expression muette marquée au marbre de la trajectoire d’une nation, ses joies, ses peines, sa vie, sa mort, sa survie, son existence, sa gloire, ses doutes, son espoir, son espérance ? » El haj Gora W. Ndoye(www.seneplus.com)
Rompre effectivement avec le modèle colonial
Le débat actuel sur les symboles de la période coloniale, 60 ans après les indépendances octroyées, montre à suffisance que la page coloniale n’a pas encore été complétement tournée. Il témoigne de l’exigence de parachever le processus de décolonisation et de rompre avec le modèle perpétué par une élite politique nationale intéressée au statu quo. La volonté légitime de mettre fin à la « désinvolture mémorielle » se focalise sur les stèles représentant des figures marquantes de la colonisation, proposées à la démolition. Mais ces monuments publics ne sont que la partie la plus visible de la continuité coloniale, si prégnante dans la vie politique, économique, culturelle et sécuritaire de notre pays. Cette continuité du modèle colonial marque encore les politiques publiques. Nombre d’actes et d’orientations politiques de l’époque coloniale ont survécu aux indépendances accordées en 1960. S’agissant, par exemple du nom de la ville de Saint Louis, D. Samb (Esquisses africaines, Ed Harmattan), rapporte que c’est sûrement le maire colon Blaise Dumont (1856 1872) qui a donné le nom Saint Louis comme pour débaptiser une ville qui portait déjà le nom de Ndar. L’administration sénégalaise post indépendance, n’a eu mieux à faire que de conserver et d’officialiser l’appellation coloniale, laissant aux Doomi Ndar, leur Ndar. C’est ce qui justifie légitimement l’indignation de ce compatriote, citoyen de la ville, qui s’insurge contre les autorités actuelles « qui ont préféré la continuité coloniale à la réhabilitation de notre mémoire collective ». Ces mêmes autorités sont restées sourdes lorsque des artistes, bien inspirés, avaient proposé que des statues , comme celle de Faidherbe, plutôt que d’être enfermées dans des musées, soient présentées au grand public dans une posture moins favorable, en position inclinée par exemple, dans une symbolique évocatrice de sa place dans notre mémoire. Une proposition qui avait pourtant l’avantage de garder ces pièces historiques dans l’espace public à des fins éducatives. A vrai dire, le colonialisme n’a pas laissé que des stigmates. Les plaies ouvertes par cette période sont encore vives. De la colonisation linguistique de l’élite à la prépondérance des intérêts économiques français, de la maîtrise monétaire au contrôle sécuritaire, la continuité coloniale est manifeste, elle met notre pays en position d’assujettissement aux intérêts extérieurs. Dans de multiples domaines, c’est le modèle colonial qui est encore en œuvre, hypothéquant fortement notre développement et l’avenir des générations futures. La volonté de rupture initiée au début des indépendances sous la conduite du Président Mamadou Dia a fait long feu, laissant l’armée française sur le sol national, de même que les entreprises de la Métropole, sans compter le rayonnement de la langue française au détriment des langues nationales. Un combat patriotique conséquent pour une souveraineté effective ne peut faire l’impasse sur l’interdépendance des dimensions politique, sociale, culturelle et économique de la domination néocoloniale. L’impératif de prendre les choses à la racine, c’est justement inscrire et intégrer la bataille contre les symboles dans la lutte contre la domination néocoloniale effective dans le champ politique, dans l’appareil économique, dans le dispositif d’aliénation culturelle et de dérèglement sociétal. L’histoire enseigne que les symboles n’ont jamais été des tabous pour les tenants de l’ordre néocolonial ; ils ont toujours su lâcher sur la forme pour adapter et préserver le cœur du système. Alors vigilance !
1 Ndar toute : la petite ville ; sancaba ville nouvelle, teen jigeen le puits des femmes