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Non, L’armee N’est Pas Un Recours

Actualité au Mali oblige ! Nous vous proposons cette chronique de Sidy Gaye publiée, jeudi 30 décembre 1999, dans les colonnes de Sud Quotidien. Elle a le mérite de rappeler fortement que nul militaire « n’a la faculté d’offrir la liberté à un peuple », relevant au passage que les fonctions et rôles des institutions républicaines sont clairement définis dans les textes fondamentaux. 21 après, elle garde toute sa pertinence.

L’accueil enthousiaste qui a été réservé, à ce jour, au coup de force intervenu le vendredi 24 décembre en Côte d’Ivoire, est révélateur d’un état d’esprit, qui devrait plutôt donner froid, au dos de tous les démocrates.

Les réactions, délirantes même par endroits, émanant depuis près d’une semaine, de la Côte d’ivoire et de la sous-région, quasiment de toutes les couches de l’opinion publique, devraient alimenter par ailleurs d’aussi amples inquiétudes chez tous ceux qui s’investissent quotidiennement, pour faire progresser la citoyenneté et l’esprit civique dans nos espaces républicains en voie d’édification. Que des badauds et des adolescents, pas encore au fait des implications et enjeux véritables des crises socio politiques de leur environnement immédiat ou lointain, puissent chercher en désespoir de cause, leur bonheur et leur salut dans de tels raccourcis, peut parfaitement se comprendre. Un tel abrégé des processus politiques qui avait fortement séduit les premières générations d’africains, du temps des putschs à répétition, peut même s’excuser, aujourd’hui encore, chez cette tranche majoritairement jeune de la population, le temps des désillusions liées aux indispensables phases de maturation.

Mais, que des militants avisés des droits de l’homme, des leaders de partis (à commencer par la classe politique ivoirienne accourue aux pieds des militaires), des intellectuels et des esprits parmi les plus brillants de la sous-région, en arrivent dans leurs bureaux, leurs voitures, leurs salons, les mosquées, les clubs de rencontres, les colonnes des journaux et les ondes des radios, à se féliciter de « ce qui est arrivé en Côte d’Ivoire », dépasse tout simplement l’entendement et fait gravement désespérer des plus sérieuses promesses de ces dernières années.

Naturellement, compte tenu de cette extrême personnalisation des expériences, opinions et attitudes que nous dicte notre culture, il urge, avant tout argumentaire, d’évacuer clairement et définitivement une question majeure. Qu’on s’entende bien ! Nous ne nous voulons nullement l’avocat du diable, en prenant, on ne sait pour quelle sympathie, la défense d’Henri Konan Bédié, un piètre homme politique qui, lui-même, n’avait pas trouvé mieux pour succéder à Félix Houphouët Boigny, qu’un vulgaire coup d’Etat médiatique pour s’imposer à ses compatriotes en les mettant devant le fait accompli.

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Ce procédé édifiait déjà largement sur la haute idée qu’il avait de ses ambitions personnelles et le peu de cas qu’il se faisait de la Cour suprême ivoirienne et des autres institutions républicaines ayant normalement en charge, la transmission du pouvoir, en de telles circonstances. Le nouvel homme fort Robert Guei non plus, ne nourrit en nous aucune forme d’antipathie et ne saurait être taxé d’aucune tare rédhibitoire surtout pas, par le seul fait qu’il porte la tenue militaire.

Bien au contraire, ces qualités d’armes ne sont certainement pas étrangères à l’extrême retenue, la sérénité aussi rassurante que contagieuse du meneur d’hommes, le sens de l’honneur et des responsabilités dont il a su faire preuve en acceptant de prendre en charge, puis en pilotant, sans aucune effusion de sang, dans un contexte social aussi déboussolé que celui laissé par le Président Félix Houphouët Boigny et son premier successeur, la redoutable sédition de jeunes insurgés surexcités. Ce qui préoccupe dans le cas d’espèce, est autrement plus important que l’alignement partisan sur l’un ou l’autre de ces deux sous-produits du système Houphouët. Il tient plutôt en une seule question qu’il me plaît de poser à chaque lectrice et chaque lecteur.

Peut-on imaginer un seul instant, que le peuple de France, d’Allemagne ou de Grande Bretagne puisse, en cette fin de siècle, attendre son salut d’un coup d’Etat militaire, quelles qu’en soient les raisons profondes, les justifications apparentes ou les éléments potentiels de légitimation a posteriori? Qu’aucune esquive ne convoque ici, une quelconque différence entre ces peuples et nous. Que personne, n’entreprenne, au risque de légitimer toutes les thèses racistes sur les « démocraties tropicales » et les théories « étapistes », hautement paternalistes, de nous expliquer un soit disant fossé, entre le niveau de conscience des peuples africains et européens en situation. Même à vouloir réduire, par commodité, nos sociétés à ses seules couches les plus arriérées, aucun argument ne fera croire cependant que nos brillants universitaires, hauts fonctionnaires et leaders de partis qui ont entrepris depuis vendredi, de légitimer ce coup de force, ont un niveau de conscience moins élevé que celui du boulanger français, de l’ouvrier industriel allemand ou du pêcheur écossais. Pourquoi alors ce petit peuple d’Europe, souvent inculte à souhait, récuserait-il, ce que nos plus brillantes intelligences, qui ont achevé leur commerce avec tous les courants de pensées de ce siècle, toléreraient aujourd’hui encore, sans gêne aucune, dans notre sous-région ?

La vérité, on ne nous l’a pas encore dit parce que justement, elle est aussi acerbe qu’interpellatrice. Elle gît précisément dans cette forme de renoncement, ce suicide intellectuel, cette démission collective des élites. Elle cultive et entretient si habilement cet esprit d’éternel assisté, ce culte de la gratuité et du combat par procuration qui, décidément, ne nous feront rien dédaigner. Puisqu’en fait, en approuvant, même avec quelques réserves, de tels putschs, qu’est-ce qu’on demande concrètement à nos militaires ? Rien moins que de venir faire notre boulot, après avoir fait le leur, tout notre boulot et à notre place. Les Républiques modernes s’articulent sur des institutions dont les fonctions et rôles sont généralement très clairement définis dans nos textes fondamentaux.

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A l’armée la sécurité des citoyens, la charge de la défense de nos territoires, et de l’intégrité de nos Républiques. A la justice et à ses différentes cours, l’arbitrage des contentieux pouvant intervenir entre les citoyens, entre ces institutions ou entre l’une et l’autre des deux entités. Qu’on nous dise un peu où était la justice ivoirienne quand Bédié se donnait tous les pouvoirs pour défigurer la Côte d’Ivoire au point de faire trembler de peur toute la sous-région ? Où étaient juges et magistrats ivoiriens quand leur collègue Zorro Epitaphe, le seul à oser assumer ses responsabilités, les interpellait directement, les yeux dans les yeux, les invitant sur un ton pathétique, à se ressaisir, alors qu’il est encore temps, pour justifier leur fonction sociale et surtout, ne pas donner gratuitement à un despote aveuglé par la louange, les outils juridiques de ses forfaitures ? Tous étaient là présents, mais complétement aplatis devant le pouvoir d’Etat, asservis à souhait et malléables à volonté. Comme partout dans toute la sous-région -exception faite du Bénin- où la justice pour voleurs de poulets, injuste et servile, constitue le plus gros obstacle à la Démocratie, elle rasait les murs et rampait devant les faveurs. Pourquoi croirait-on alors, que la seule magnanimité d’un militaire rendrait subitement, comme par miracle, leur dignité à de tels juges ? Dusse-t-on décalquer les textes les plus avancés des républiques les plus modernes, à leurs avantages, ils n’y trouveraient que de nouvelles opportunités de sévir, pour se servir et servir. Aucun militaire, aucun messie quel qu’il soit, n’a la faculté d’offrir la liberté à un peuple. Elle ne se donne pas. Elle se conquiert par ceux qui en éprouvent le plus grand besoin. Elle se préserve ensuite. Ceux qui la reçoivent en cadeau tombé du ciel, fut-il au détour d’un putsch souhaité, ne peuvent guère en mesurer la valeur et n’en font que le plus mauvais des usages possibles. Pétitions de principes bien éloignés des urgences de la réalité que tout cela ? Que ceux qui doutent encore de l’hérésie de ces putschs, se rapportent avantageusement au contexte Bissau Guinéen actuel.

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Où est Ansoumana Mané ? Ce pragmatique qui n’a pas été à l’école occidentale en est d’autant plus redoutable. Il a vite fait de tirer leçon de toute l’expérience qu’il a traversée avec ses troupes. Il l’a capitalisée aujourd’hui sous la forme d’un pacte qu’il propose avec insistance depuis trois mois, a une classe politique Bissau Guinéenne médusée. Ce pacte tient en quelques mots. Puisque vous n’êtes pas assez majeurs pour régler de vous-mêmes vos problèmes, puisque chacun de vous se dérobe devant ses responsabilités au point de faire appel à nous pour arbitrer vos contradictions, qu’on mette, noir sur blanc sur papier, que moi Ansoumane (et ceux que je représente) suit désormais l’arbitre du jeu politique du pays, le dernier recours qui peut intervenir désormais légitimement à tout moment, sans que ses toubabs noirs n’aient plus d’argument pour me combattre, me traiter de putschiste et traîner mon honneur dans la boue. Daouda Malan Wanké qui a éliminé, fait ou laissé éliminer à l’arme lourde un autre putschiste, Barré Mainassara, ne dit pas le contraire dans les dispositions scélérates d’impunité qu’il a fait légitimer par la nouvelle constitution nigérienne. Tous deux ouvrent la voie demain, à Robert Guei. Jusqu’où et jusqu’à quand ? Regardez-vous souvent la télévision ces derniers jours ?

Arrêtez vous plus longuement sur l’image de ces Françaises et Français, de tous âges et de toutes conditions, qui stoïquement, manches relevées et pelles aux mains poncent et décapent les plages bretonnes de leurs énormes plaques de mazout échappées du naufrage de l’Erika ! Point d’appel à l’aide ou de misérabilisme ! Tous, dans un seul élan, se préoccupent de faire face, même les mains nues. Tous entreprennent de régler juridiquement et s’il le faut politiquement, son compte à la compagnie Totalfina coupable à leurs yeux, d’avoir affrété contre leur sécurité, le navire qu’il ne fallait pas. Même attitude d’auto-assumation, face à cette tempête, la plus violente de ce demi-siècle, qui les frappe de plein fouet. Qu’aurions nous fait ici, si ce n’est de détourner le regard, d’appeler à l’aide et d’attendre tranquillement un messie ? Ce qui nous manque le plus cruellement, ce ne sont pas les moyens ou les richesses qui servent d’alibis et de paravents, mais c’est la courage de faire face, de nous prendre nous-mêmes en charge, d’affronter nos problèmes au lieu de les différer, d’assumer et de nous engager plutôt que de démissionner en nous réfugiant derrière Dieu ou le premier messie. Notre bonheur, individuel et collectif en sera retardé d’autant !

In Sud Quotidien du Jeudi 30 décembre 1999.







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