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Haro Sur La C(e)deao !

Dès l’instant que les militaires ont arrêté le président Ibrahim Boubacar Keita et l’ont astreint à rendre le tablier, le premier réflexe des chefs d’Etat de la Cedeao, c’est de condamner le coup de force, d’annoncer des sanctions relatives à la fermeture de toutes les frontières avec le Mali et au rétablissement de la légalité constitutionnelle au nom du respect du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance de l’instance communautaire. Donc au nom de l’article 1, alinéas B et C, qui dit que « toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes, et transparentes », le putsch de la junte malienne est anticonstitutionnel et contraire aux normes et principes qui régissent la démocratie dans tous les 15 pays de la Cedeao. Mais si l’on se réfère à l’article 19, alinéas 1&2 du même Protocole, qui déclare que « l’armée est républicaine et au service de la Nation, que sa mission est de défendre l’indépendance, l’intégrité du territoire de l’Etat et ses institutions démocratiques » et que « les forces de sécurité publique ont pour mission de veiller au respect de la loi, d’assurer le maintien de l’ordre, la protection des personnes et des biens », l’on peut bien féliciter la junte putschiste d’avoir été républicaine en débarrassant les Maliens du cancer IBK.

Vive l’armée républicaine

C’est quoi être républicain sinon d’aller dans le sens de la chose que partage majoritairement le peuple ? Il était avéré qu’IBK n’était plus capable de diriger le Mali. Ce Mali devenu un territoire où ses ¾ sont occupés par des forces indépendantistes ou djihadistes, un pays où le chef de l’opposition est enlevé depuis plus de cinq mois sans que l’on sache ses ravisseurs, un pays dont le fils Karim Keita (KK) du président vit comme un nabab et fait la dolce vita, s’adonne à des bacchanales sexuelles avec des « ragazza » espagnoles dans un yacht au moment où le peuple malien souffre le martyre. Depuis sa première élection en 2013, IBK n’a pas su respecter ses engagements à sortir le Mali du guêpier insécuritaire dans lequel il est plongé depuis janvier 2012 lorsque les forces du MNLA et d’Ansar Dine ont investi le septentrion malien. En sus, sous son magistère, la démocratie malienne a fait d’énormes pas à reculons. Sa réélection au premier tour en 2018 n’a pas été un gage de transparence. Les fondamentaux démocratiques ont été sapés et les élections législatives d’avril 2020 ont été truquées en faveur du fils d’IBK. 30 responsables de l’opposition ont été délestés par les hommes-liges de la Cour constitutionnelle de leurs postes de députés au profit des proches de KK. Cette énième forfaiture a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. On ne touche pas à la souveraineté populaire et c’est cela qui a poussé le peuple malien à vouloir se débarrasser d’un chef d’Etat qui ne parvenait plus à gérer l’Etat, un président qui ne présidait plus aux destinées du pays. Le pays était au bord du chaos et l’on sentait de plus en plus l’escalade de la violence à mesure que le M5-RFP manifestait pour demander le départ de l’incapable IBK. Lorsque 23 morts ont été enregistrés à la manifestation du 10 au 12 juillet, il fallait endiguer cette spirale de violence mortifère qui allait crescendo. Entre-temps, la CEDEAO n’a rien fait sinon que de supplier l’opposition malienne de prendre des postes dans le gouvernement du Premier ministre Boubou Cissé. Malgré le refus itéré de l’imam Dicko et autres responsables de l’opposition, les émissaires de la Cedeao pensait sauver IBK en distribuant quelques hochets ministériels aux insurgés. Jamais une seule fois, la Cedeao n’a flétri la gouvernance catastrophique d’IBK. Elle attend toujours que la situation arrive à un seuil de pourrissement pour prôner un partage de pouvoir comme si les opposants étaient troublés par une soif inextinguible de gouter aux voluptés du gouvernement.

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Et chaque fois qu’un président pousse chaque jour son pays dans les abysses de la mal-gouvernance, il est du devoir impérieux de l’armée d’intercéder pour assurer la sécurité des biens et des personnes. Et assurer de concert avec les acteurs politiques et de la société civile, une transition dont la finalité est d’organiser des élections inclusives, transparentes et démocratiques. Au Niger, quand Mamadou Tandja a voulu mettre en œuvre son « Tazarché » (prolongation en langue haoussa) au mépris de la Loi constitutionnelle, de l’Assemblée nationale et de la Cour constitutionnelle qu’il a dissoute, le chef d’escadron, Salou Djibo a pris le pouvoir, assuré la transition et remis le pouvoir aux civils après avoir dirigé la transition. A l’époque aucun chef d’Etat n’avait osé dénoncer les dérives de Tandja. Et il a fallu que l’armée prenne le pouvoir pour remettre de l’ordre afin que les chiens de la Cedeao aboient pour condamner ce putsch qui était une œuvre de salubrité démocratique pour le peuple.

Chefs d’Etat de la C(e)deao : archétypes d’autocrates

Pourquoi les chefs d’Etat de la Cedeao, donneurs de leçons de démocratie, ne s’auto-appliquent jamais cette disposition de l’article 1, alinéa 2 du Protocole de l’instance communautaire qui stipule que « tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir ». Combien sont-ils ces chefs d’Etat de la Cedeao qui se sont maintenus au pouvoir en tripatouillant la Constitution ? Aujourd’hui beaucoup de ces chefs d’Etat qui demandent à la junte malienne de rendre le pouvoir sont très mal placés pour le faire puisqu’ils ont modifié la Constitution de leur pays pour se maintenir au pouvoir. Les deux cas les plus en vue sont Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire et Alpha Condé de la Guinée. Macky Sall est en embuscade. Le président guinéen depuis le début de son règne a tué plus de 200 de ses compatriotes lors des manifestations. La Cedeao n’a jamais pipé mot sur les exactions sanguinaires de Condé. Alassane Ouattara vient d’éliminer juridiquement des candidats de l’opposition (Gbagbo, Soro, Blé Goudé) à la prochaine présidentielle pour forcer un 3e mandat. Aucun chef d’Etat n’a condamné ces actes anti-démocratiques. Ils attendront que des militaires se lèvent et prennent le pouvoir pour protéger la République pour condamnent leur putsch salutaire et salvateur.  Faure Gnassingbé, qui a succédé illégalement à son père Eyadema décédé en 2005 après 38 ans de règne continu, peut-il donner des leçons de démocratie à la junte malienne si l’on sait que depuis son usurpation du pouvoir, il se maintient à la tête de l’Etat par la fraude électorale, la violence exercée sur les opposants et son peuple et par les tripatouillages constitutionnels ? A la veille de la présidentielle togolaise de 2020, il a modifié la Constitution de sorte que les mandats déjà réalisés et ceux en cours ne seront pas pris en compte dans l’application des nouvelles modifications constitutionnelles. Ce qui lui permet de diriger son pays jusqu’à 2030. Tel père, tel fils.

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C’est ici le lieu de saluer la position très courageuse du jeune président bissau-guinéen, Umaro Sissoco, qui a osé déclarer, lors de la récente conférence des chefs d’Etat, que les troisièmes mandats sont des coups d’Etat. Entre les putschs militaires républicains et les tripatouillages constitutionnels qui ouvrent un boulevard vers un 3e mandat, il n’y a pas d’hésitation à prendre la première option. Les véritables putschistes, ce sont les Ouattara, Condé, Faure et tous ces chefs d’Etat qui dans leur subconscient sont en train de mûrir un tel funeste projet politique anti-démocratique.

Aujourd’hui, le Protocole additionnel souffre d’une tare originelle. Quand le 21 décembre 2001, le Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance était signé à Dakar, on y notait la présence des chefs d’Etat, archétypes de la mal-gouvernance et de l’autocratie. Gnassingbé Eyadema signataire du Protocole avait déjà fait 34 ans de pouvoir, Yaya Jammeh qui en était à sa 7e année de pouvoir en ajoutera 15 autres, Mathieu Kérékou du Benin avait bouclé en 2001 23 ans de pouvoir avant d’en rajouter 5. Lansana Conté de la Guinée représenté par son Premier ministre, Lamine Sidimé, en était à sa 17e année de règne absolu. Il y rajoutera 7 années. Blaise Compaoré consommait alors sa 14e année de pouvoir. Et la particularité de ces présidents signataires d’une charte de la démocratie est qu’ils sont tous arrivés au pouvoir par un coup d’Etat. Dès lors, comment ces potentats peuvent-ils prétendre élaborer un Protocole qui promeut la démocratie et condamne l’accession au pouvoir par un putsch ? Mamadou Tandja et Abdoulaye Wade qui sont arrivés au pouvoir démocratiquement respectivement en 1999 et 2000 effectueront un putsch constitutionnel en voulant briguer un 3e mandat. Le président nigérien sera balayé par un coup d’Etat militaire salutaire, son homologue sénégalais sera emporté par le vote furieux des Sénégalais qui n’ont jamais cautionné le forcing de son 3e mandat.

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Aujourd’hui le divorce est acté entre les peuples et la Cedeao parce qu’elle s’est muée en une Cdeao (Communauté des dictateurs des Etats de l’Afrique de l’Ouest), une institution sclérosée au service d’un quarteron d’autocrates qui ne défend pas les peuples ouest-africains mais des intérêts groupusculaires. Aussi, est-il est temps qu’elle arrête de défendre des chefs d’États « tazarchistes » en faveur des peuples épris de justice et de démocratie. Par conséquent, il urge de refonder l’instance communautaire et de redéfinir ses missions parce qu’il y va de sa crédibilité, de sa viabilité et de sa pérennité.

sgueye@







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