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Toi Babacar, Vous Permettez

Vendredi 04 septembre 2020. Cela fait 40 jours depuis que tu as quitté ce monde. Pour le mieux-être des femmes et hommes qui en ont été tes contemporains et que l’agenda du Très Haut a fait rencontrer ton chemin, tu as œuvré chaque jour. Et il te tenait à cœur d’aider sans retenue. Alors, sur la terre sénégalaise que tu as tant chérie, tu laisses un immense vide. Conscient qu’arriverait fatalement un jour comme ce 26 juillet 2020, tu t’investissais avec désintérêt pour la face de Dieu. Les occasions de le faire se sont souvent présentées à toi et tu n’as jamais hésité pour agir au profit des humains que tu servais.

En cela, tu avais une bonne lecture et à des degrés élevés, de ton guide sprituel qu’est Cheikh Ahmadou Bamba. Lui, n’invitait-il pas à donner aux deux mondes dans une dialectique d’actions, à la fois comme si on devait vivre éternellement sur terre, et adorer Dieu comme si on devait mourir dés le lendemain ? Tu étais si riche de ta propre richesse (ta bonté, ta disponibilité à la Communauté et à la famille, ta sincérité), mais aussi des humains que tu croisais. A ceux-là tu donnais tout le temps quelque chose, chaque fois que l’occasion se présentait de servir. Et tout le monde te tutoyait. Pour tout le monde, tu étais Babacar. On ne te servait quasi jamais du « Monsieur Toure », « Monsieur le Directeur » et encore moins « Monsieur le Président ».

Et pourtant, tu t’es souvent trouvé à des positions et fonctions qui eussent pu te faire exiger une telle déférence de la part de ceux qui n’ignoraient pas ce que tu apportais à ce pays qui t’était si cher. Babacar, tout le monde tu aidais par ta générosité, connue de tous. Pour beaucoup de tes amis tu étais le fils de la maman, parce que, le cas échéant, tu te trouvais le temps de l’attention et de l’utile présence aux côtés d’un être cher et fragile.

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Toi qui n’avais pourtant pas une minute de perdue, tu faisais toujours escale quelque part pour voir tels mère, tante, neveu, cousine ou père d’un collègue, d’un compagnon. Et tu trouvais la « prouesse » de toujours vanter ce que tu trouvais de bien chez ceux que tu aidais ( !), comme pour justifier la bonne action envers autrui. De ces derniers, tu mettais en exergue les qualités et mérites, sans jamais évoquer les tiens propres. Voulus-tu présenter comme meilleurs que toi, ceux que tu servais avec une telle grandeur d’âme ? C’est impossible de dire ou de mesurer combien tu aimais donner et servir.

Davantage que des denrées rares, ta franchise et ton courage à toutes épreuves étaient véritablement un don du Ciel. Récemment nous parlions de beaucoup de choses dans la marche de notre société et tu utilisais l’expression « satisfaction d’amour propre » comme unique résultat dans la situation où le conseil qu’on donne tombe dans une oreille pas nécessairement attentive à la vérité qu’on distille. C’était 15 jours avant ta douloureuse disparition.

Tu incarnais la dignité humaine. Digne dans la difficulté comme dans les années 2000, où la plupart d’entre nous savent à quel prix tu as payé ton opposition de principe, à ce que tu ne pouvais cautionner. Digne jusque dans la maladie. Oui tu as toujours été maladif mais cela n’a jamais entamé ton goût de l’effort soutenu. Digne dans le besoin et j’étayerai ça par une anecdote pas anodine. Nous sommes au debut de l’année 2000 dans la période précampagne présidentielle de ce qui sera la première alternance politique au Sénégal. Les comptes du groupe Sud Com sont touchés de plein fouet par le coût de la chaine de TV LCA que tu as contribué à mettre en place pour ouvrir la voie à ce qui est aujourd’hui une télé privée au Sénégal. Sud se débat donc dans des difficultés financières et une aubaine se présente.

Le Premier Secrétaire du parti au Pouvoir, M Ousmane Tanor Dieng, offre aux chaines de radio qui le veulent, des publi- reportages de couverture de campagne. Tu as dit niet. Moi qui étais alors jeune comptable, je n’avais pas apprécié que des salariés qui déjà abattaient et vont abattre dans les jours à venir un travail de titan, se trouvent privés de cet apport. Mais j’ai compris plus tard, qu’il y a des choses qui, si elles s’achètent, ne doivent pas se vendre à tout prix au détriment de la liberté et de la doctrine qui sous-tendent toute presse digne de ce nom. De la Presse tu disais aussi récemment, qu’en mars 2020, «la norme c’est la liberté. Quant à la doctrine, elle s’ancre dans la responsabilité.»

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Oui cher Babacar tu savais ce que cela signifiait être responsable. Tu exerçais dans toute sa dimension, ta responsabilité d’être un modèle pour la Presse. Aucune occasion n’était manquée pour rappeler à la profession, le pacte qui la lie au peuple. Récemment dans l’exercice de cette reponsabilité que tu n’as jamais fuie, tu as publié dans ton Sud Quotidien, des dossiers d’une qualité remarquable. Le dernier portait sur la violence au Sénégal et dans la sous region ouest africaine. Dans le chapeau, le grand esprit que tu incarnais nous as servi cette citation ô combien appropriée «Les grands esprits discutent des idées, les esprits moyens discutent des évènements, les petits esprits discutent des gens» (apocryphe).

 Dans la première partie de ce sublime dossier (LE SÉNÉGAL ENTRE DÉFI ET DÉNI ) pour alerter, tu as passé au crible de notre histoire, les formes de violences et leur culture. Dans la seconde partie, après avoir montré que la violence était consubstantielle à l’histoire politique et sociale du Sénégal , tu as évoqué la sous-région en termes d’un Arc de feu marqué par l’onde de choc de la faille malienne, la déflagration en Guinée, la résurgence irrédentiste en Mauritanie. Il en ressort que, tout en se posant à la fois en termes de géopolitique sous-régionale et régionale, «la question sécuritaire n’en revêt pas moins le caractère d’un impératif de politique intérieure».

Cette contribution, sorte de testament d’un lanceur d’alerte, tu l’as conclu ainsi : «L’Afrique peut et doit se sortir de la domination étrangère et du jeu des puissances tutélaires, au profit d’un destin maîtrisé et au service de ses hommes et femmes valeureux, déterminés et endurants, résilients comme le veut la mode aujourd’hui A condition de résoudre l’équation de l’extraversion du leadership des gouvernants et des élites» Voilà certainement ta dernière contribution, toi l’éternel Babacar, presque septuagénaire mais qui était toujours tutoyé car ami du peuple et bienfaiteur de tous.

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Tu m’es devenu Mame (grandpère), après décorticage des liens qui t’unissent à la famille de Touba, et c’était un véritable soulagement car ça me permettait de justifier ce TU qui me gênait en réalité vu ton envergure et le complexe (oui je l’avoue) que nous nourrissions, éleves et étudiants des années 80-90, à l’égard des indépendants de Sud Hebdo qui ont osé défier leur temps avec à leur tête l’imposant BT. Mais comme pour tout le monde c’était Babacar et c’était aussi TU, je te tutoyais avec beaucoup de respect pour ce que tu fus en passé simple mais si riche et que tu resteras à jamais dans le futur «certain».

TU permettras, cette fois, puisque l’heure du repos a sonné, que je TE vouvoie cher Monsieur TOURE et vous interpelle par VOTRE 2e prénom qui est As Siddikh (en arabe le véridique). En effet, vous avez été un grand monsieur du Sénégal, de l’Afrique, du monde. De la Presse et de la Socité civile africaine. Qui n’a jamais, pour sa notoriété, des prébendes ou des positions, vécu avec les idées des autres mais qui a préféré mourir avec ses courageuses idées pour une vie éternelle au panthéon des héros nationaux. Pour toutes ces raisons et pour beaucoup d’autres encore, permettez-moi de vous dire, en paraphrasant le fort exubérant Jacques Rozenblum à propos de Mandela : chapeau bas Monsieur Babacar TOURE.

 *Jacques Rozenblum, journaliste, entre autre éditorialiste chroniqueur de RFI dans les années 1990







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