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La SantÉ Pour Tous

Dimanche 18 octobre 2020. Je n’avais pas regardé la vidéo*. Pourtant, elle m’a été envoyée depuis jeudi. J’avais même promis de la partager, autour de moi. Il faut dire que parfois, les messages WhatsApp sont envahissants. Surtout quand il s’agit de vidéos ou de documents audio. Inconsciemment, je les considère comme des spams. Qui nuisent à la concentration et au travail. Et puis, je savais le contenu triste. Ce matin, en partant au bureau, j’étais seul sur le siège passager du clando. En pianotant sur mon smartphone, je me suis souvenu de la vidéo. Elle était accompagnée d’un message, qui disait ceci en wolof : « Mme Sène, j’ai parlé à une chaîne de télévision, pour demander de l’aide. Pourras-tu diffuser la vidéo à tes connaissances et à d’autres gens qui sauront m’aider. Mon mari m’avait demandé d’attendre. Il cherche des solutions pour prendre en charge les frais d’opération, mais ce n’est pas facile. »

La vidéo s’ouvre sur une scène un peu théâtrale. Des femmes qui pleurent et prient. Un air grave. Une musique dramatique. Elles ont été filmées par « Thiaroye Tv ». Voici l’histoire. A. Dieng est malade. Elle a des problèmes cardiaques. Elle n’a pas les moyens de se prendre en charge. Elle raconte son calvaire. Ses proches témoignent de sa disponibilité, de sa gentillesse. Elles louent toutes son sens du devoir dans le mariage, et sa dévotion en tant que croyante. L’une d’elle commente : « Malgré ses tourments, elle est brave, et continue à se battre. » Elles en appellent à la bienveillance des autorités politiques et des bonnes volontés. Elles sollicitent le président de la République, sa femme, le maire de Thiaroye. On apprend qu’A. Dieng a trois enfants. Elle est femme au foyer. Elle habite à Yeumbeul-Nord, au quartier Aynoumani 6. Originaire de Thiès, elle a perdu très tôt ses parents. Elle est venue à Dakar, rejoindre son mari. À la fin de la vidéo, elle craque. J’ai un petit pincement. Même si j’ai l’impression que c’est un peu surjoué. 

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Pourtant, c’est une question de vie ou de mort. Sur la note du médecin, qu’elle montre à la caméra de Thiaroye Tv, on peut lire : « Il s’agit d’une patiente de 35 ans, aux antécédents d’angines à répétition dans l’enfance, connue porteuse d’une valvulopathie rhumatismale à type d’insuffisance mitrale sévère avec hypertension artérielle pulmonaire moyenne, chez qui l’indication d’un remplacement valvulaire mitral et d’une plastrie tricuspide est posée. » Ce diagnostic est un peu ésotérique pour moi. Je me suis donc renseigné. En fait, c’est ma sœur qui l’a prescrit. Elle m’a dit que la maladie d’A. Dieng est très grave. C’est une pathologie qui affecte certaines personnes, qui, lors de leur enfance, souffrent d’angines non ou mal traitées. À l’adolescence ou à l’âge adulte ces affections bénignes finissent par dégrader le cœur. En général, les personnes concernées meurent jeunes, si aucune intervention n’est faite.

Beaucoup de nos compatriotes succombent à cette maladie, m’a-t-elle renseigné. Ce qui va se passer, s’il n’y a pas d’intervention chirurgicale ? A. Dieng risque de mourir. Cela me paraît une atteinte grave à la sacralité de la vie humaine. Quelle désolation ! C’est un fatalisme dégoûtant. Combien sont-ils, nos compatriotes, qui meurent bêtement, alors que des remèdes existent ou sont à portée. La demande d’aide d’A. Dieng pose la question du système de santé au Sénégal. Et au-delà de notre perception de la vie. De notre humanité aussi. Pourquoi, le système de santé ne marche pas dans notre pays ? Seule une morale périmée peut accepter la mort programmée de ceux qui n’ont pas les moyens de se faire soigner ? Il faut un sursaut des intelligences dans ce pays. 

Au Sénégal, de toute évidence, l’institution hospitalière – qui à l’origine se donnait la mission d’accueillir le pauvre et le charitable – ne répond pas à ses objectifs. Les malheurs de l’hôpital sont bien connus, de tous. Des infrastructures obsolètes ou absentes. Un déficit de professionnels. Un coût élevé des soins, hors de prix pour les citoyens des étages inférieures. Les autorités savent tout cela. Elles cherchent, avec certains programmes et projets, à réparer ces manquements. La couverture maladie pour certaines personnes à faible revenu. La construction de nouveaux hôpitaux. La prise en charge des seniors. Il y a des initiatives. Mais elles sont largement insuffisantes. Des réformes ne suffiront pas. Il faut aller vers une révolution du système sanitaire.

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Les politiques de santé changent et les dépenses s’épuisent, sans régler le problème. Qui ne connaît pas un proche, qui attend de mourir dans sa chambre. Car les frais de prise en charge de sa maladie sont exorbitants. Beaucoup de nos parents souffrent de pathologies graves. Pour la plupart, il ne reste qu’une seule solution : souffrir en attendant le trépas. La promesse de la République est de veiller au bien-être des populations. Aussi, une politique sanitaire conséquente doit entériner l’universalité et la diversité des soins. Chaque citoyen doit pouvoir se soigner, lorsqu’il tombe malade. Quelle que soit sa situation économique ou sociale. Qu’il habite le Cap-Vert où le Fulaadu. Il faut consacrer le principe. Il doit guider les politiques sanitaires su Sénégal. C’est la responsabilité de l’Etat. Que ceux qui aspirent à gouverner, ou qui sont aux affaires, l’assument. Sans cela, les sans-grades continueront de mourir vulgairement. Si nous parvenons à faire de l’accès au soin un droit universel, nous pourrons rapidement tracer une voie d’avenir pour notre pays.

L’homme et la femme, en bonne santé et biens éduqués, constituent l’investissement le plus rentable pour une nation. Comment rendre possible ce principe ? Évidemment les ressources de l’Etat ne sont pas illimitées. Une couverture santé universelle nécessite beaucoup de moyens. Elle est pourtant possible, puisque d’autres nations l’ont mise en œuvre. Car elles savent que ce sont des corps solides qui assurent la prospérité. Mais, dans notre pays les esprits sans imagination et les gouvernants dénués de volonté valorisent la résignation et la passivité. Si notre État ne parvient à trouver les moyens d’assurer la santé pour tous, alors à quoi sert-il ? Si nous acceptons, en tant que citoyen la fiction étatique, c’est pour que nos problèmes de base soient réglés par ses représentants. Nous devons discuter de cela, avec une énergie positive. Posons cet axiome : au Sénégal, que l’on soit riche ou pauvre, on doit pouvoir se soigner dans des hôpitaux publics répondant aux normes internationales. Maintenant, tirons tous les arguments et les conséquences de cette doctrine. 

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Cela veut dire, d’abord, qu’il faudra revoir notre contrat social. De ses limites et de ses ouvertures possibles. Comment mutualiser nos forces et constituer nos propres coopératives économiques et sociales ? Comment utiliser, à bon escient, nos compétences pour bâtir et prendre en charge nos nécessités vitales ? Comment développer les innovations dont on a besoin ? Comment dépasser nos limites objectives ? Comment développer le génie de la science, de l’industrie et de l’organisation ? Puis, nous devrons trouver les moyens d’augmenter les solidarités. 

En agitant toutes ces possibilités, nous pourrons nous pourrons voir nos forces, et traduire tangiblement nos vœux. Nous pourrons trouver des alternatives et des impulsions créatrices. Il faut bousculer nos imaginations, pour vivre dans un pays décent. Où la médecine est accessible. L’éducation aussi. Et la justice, et la sécurité. Et toute chose qui assure la vigueur morale des hommes et des femmes. La santé n’est pas un variable d’ajustement. C’est un droit fondamental. Si nous le voyons tous ainsi, nous ferons un grand pas. Et, au lieu de construire des autoroutes et une ligne de chemin de fer aux coûts exorbitants, au lieu de dépenser de l’argent qui ne sauve pas des vies, l’Etat aurait soigné et éduqué ses co-contractants. Et, alors, A. Dieng ne serait pas obligée d’appeler à l’aide publiquement, et de blesser sa dignité. Pour continuer à vivre. 

*https://www.youtube.com/watch?v=nj7TyEu149E

Retrouvez sur SenePlus, « Notes de terrain », la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.

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