Cher Yoro Dia, nous empruntons ce titre par lequel nos doyens (feu Babacar Sine et feu Bara Diouf) puis nos ainés (Boris Diop et Bachir Diagne), dialoguent, pour vous apporter quelques éléments factuels d’informations sur le président Alpha Condé, sur le bilan de ses deux mandats et un bref aperçu de la sociologie politico-électorale en Guinée, suite à votre tribune ‘’Avec condé, la démocratie guinéenne piégée’’.
Cher Yoro Dia, vous dites ‘’Avec Condé au pouvoir, ce n’est pas seulement l’alternance qui est piégée, mais la Guinée. Condé qui est de la même génération que Wade en a tous les défauts sans avoir la plus grande qualité de Wade : la démesure ou l’Hubris des Grecs’’.
Avec Condé au pouvoir en Guinée et Wade au pouvoir au Sénégal, ce sont deux expériences et trajectoires africaines qui se complètent harmonieusement davantage qu’elles ne s’opposent radicalement. Wade était plus un politique qu’un révolutionnaire au sens marxiste-léniniste du terme. Condé est plus un révolutionnaire qu’un athlète du verbe (communicateur). Tous les deux – Wade et Condé – sont des démocrates. Profondément. Tous les deux, à l’image de Nelson Mandela, portent leur continent – l’Afrique – dans leurs cœurs et leurs pays respectifs – la Guinée et le Sénégal – dans leurs âmes. De personnalités différentes, de cultures idéologiques différentes – Wade est de la Droite et Condé est de la Gauche – mais de trajectoires politiques communes – opposants historiques dans leurs pays respectifs -, Wade et Condé, ont donné leurs meilleurs d’eux-mêmes pour un reclassement de leurs pays respectifs. Avec des succès par ici, des échecs par-là, mais toujours avec la foi en l’action, pour une dignité retrouvée et pour des intérêts nationaux sauvegardés. Wade et Condé s’apposent plus qu’ils ne s’opposent.
Cher Yoro Dia, vous écrivez, ‘’….cette démesure qui faisait que Wade était ambitieux pour lui-même et pour son pays ; d’où sa hantise de sa place dans l’histoire et cette obsession de laisser sa trace et sa marque dans le béton et le goudron. Par contre, Condé n’a pas jamais eu d’ambition pour son pays, mais a toujours eu une immense ambition pour sa personne’’.
Eh bien, c’est à se demander, si le président Alpha Condé, en termes d’ambitions et de réalisations, n’a pas fait en Guinée et pour la Guinée, plus et mieux que ce qu’a fait le président Abdoulaye Wade au et pour le Sénégal ?
Ceux qui ont eu la chance de se rendre en Guinée avant 2010, se souviennent encore que la fourniture de l’électricité (surtout à Conakry) était très problématique. Ainsi, sur le plan de l’énergie, en dix ans, le président Alpha Condé a réhabilité les outils de production énergétique en Guinée, suivi d’une adjonction thermique de 100 mégawatts afin de faire fonctionner les différentes centrales thermiques en Guinée. La centrale électrique de Kaléta qui date de 1979, mise en opération en 2015, a une capacité de production énergétique de 340 mégawatts, supérieure à la capacité totale de production énergétique de la Guinée depuis 50 ans. En 2010, à l’arrivée au pouvoir du président Alpha Condé, la Guinée était à un taux de 6% d’accès à l’électricité. En 2020, la Guinée est à un taux de 35% d’accès à l’électricité. Certes, ce n’est pas encore la moyenne mais c’est déjà un grand bond en avant. Alors qu’au Sénégal, le régime du président Wade a failli être emporté par les émeutes de l’électricité en 2011, même si en 2013, le taux d’électrification national au Sénégal est de l’ordre de 60,6%, celui urbain 88% et celui rural est de 29%.
Mieux, cher Yoro Dia, la Guinée sous le président Alpha Condé, a lancé le barrage de Souapiti, l’un des plus grands barrages hydroélectriques en Afrique, avec une capacité de production énergétique de 1 200 mégawatts, avec un projet en cours de réalisation, d’une ligne d’interconnexion sous-régionale. Eh oui, dans deux ans, la Guinée va vendre de l’électricité au Mali, à la Côte d’ivoire, au Libéria, à la Sierra Leone et au…Sénégal. Des pays qui ont déjà sorti le chéquier.
Dans le domaine de l’accès à l’eau, en dix ans, le président Alpha Condé a construit et réhabilité au total, près de 400 forages dans les zones rurales d’où résident 80% de la population guinéenne.
Dans le secteur des infrastructures routières, en 2010, le réseau routier en Guinée, était dégradé à hauteur de 81%. Presque pas de route aux normes en Guinée. En dix ans, le président Alpha Condé, a construit 1 136 km de routes nationales bitumées, a réhabilité 2 366 km de route, et près de 780 km de route en cours de réalisation. En dix ans, le président Alpha Condé a aussi construit 540 km de voiries à Conakry et dans les différentes préfectures ; construit et 4 066 km de pistes rurales.
Dans le domaine ferroviaire, avec le projet Simandou, la Guinée va lancer d’un jour à l’autre, la Trans-Guinéenne, chemin de fer de Boffa à Boké, long de de 135 km qui reliera les quatre régions naturelles de la Guinée.
Dans le domaine du tourisme, avant 2010, la Guinée disposait d’un seul hôtel trois étoiles à Conakry (hôtel Indépendance). En 2020, en dix ans, le président Alpha Condé a construit 6 nouveaux hôtels cinq étoiles, dont d’ailleurs beaucoup de nos compatriotes sénégalais en assurent la gestion et le service.
Dans le domaine des infrastructures scolaires, la Guinée compte 354 CRD (Commune Rurale de Développement) et point d’abris provisoires -zéro abri provisoire – en termes d’infrastructures scolaires. Alors qu’au Sénégal, en 2012, il y avait 8 822 abris provisoires.
Sous le président Alpha Condé, la Guinée a déjà construit 4 ERAM (Ecole régionale des Arts et Métiers) sur 6 ERAM prévues. Avant 2010, la Guinée disposait de 19 universités publiques. Depuis deux ans, le président Alpha Condé a entamé les travaux de construction d’une nouvelle université – la vingtième université publique en Guinée – située à 15 km de Kankan, sur une superficie de 225 hectares avec une capacité d’accueil de 30 000 étudiants, 16 facultés, un centre de conférence internationale de 3 500 places et un campus social d’une capacité d’accueil de 15 000 places.
Dans le domaine des télécommunications (de la nouvelle économie), en dix ans, le président Alpha Condé a permis l’atterrissage du câble sous-marin ACE (Africa Coast to Europe) à Conakry en 2012, qui a permis à la Guinée de se connecter en temps réel avec les reste du monde. Là où l’on pouvait mettre, avant 2010, trente minutes d’attente pour juste ouvrir sa boite email pour lire ses messages. A l’image de l’ADIE au Sénégal, la Guinée dispose aussi d’un intranet gouvernemental sous le nom de ‘’Réseau métropolitain’’ qui interconnecte toute l’administration publique guinéenne, sur toute l’étendue du territoire, grâce à la fibre optique sur 4 500 km qui couvre toute la Guinée. Avant 2012, le trafic internet international de la Guinée était acheminé par des liaisons satellitaires avec des débits de connexion très faibles et très coûteux. A partir de 2012, le président Alpha Condé a mis en place la société Guilab (Guinéenne de la Large Bande), sous la forme d’un PPP, pour gérer la capacité de connectivité allouée à la Guinée sur le câble sous-marin ACE. Et depuis, la Guinée a multiplié par 100, sa connectivité à internet, en passant des débits du méga au débit du giga.
Sur le plan des indicateurs macro-économiques, malgré la volatilité (par rapport aux taux de changes internationaux) et l’inflation (hausse des prix) de sa monnaie nationale, le Franc guinéen, sous le président Alpha Condé, le taux d’endettement public (encours de la dette rapporté au PIB) est de 30,29% en 2019 (soit 3 692 milliards de dollars), dont 18,23% au titre de la dette extérieure (soit 2 220 milliards de dollars) et 12,06% pour la dette intérieure (soit 1 470 milliards de dollars). Ce taux est nettement en dessous du seuil des 70% fixé pour les pays membres de la CEDEAO et de l’UEMOA. Le taux d’endettement extérieur est passé de 18,23% en 2018 à 15,87% en 2019. Tout ceci pour dire que la Guinée, sous le président Alpha Condé, compte de plus en plus sur ses propres ressources internes pour soutenir sa croissance.
Sur le plan sécuritaire, avant 2010, l’armée guinéenne était comme une armée mexicaine où en termes d’effectifs, le commandement (généraux, colonels, capitaines), était supérieur aux hommes de troupe. En dix ans, le président Alpha Condé a réformé en profondeur l’armée guinéenne (c’était feu le général Lamine Cissé qui avait piloté cette réforme de l’armée guinéenne). Pour qui connaît bien la Guinée, depuis Sékou Touré, l’armée guinéenne s’emparait du pouvoir à la moindre occasion. Depuis 2010, l’armée guinéenne est restée dans les rangs et pas de bruits de bottes depuis, même si le président Alpha Condé a fait l’objet d’une tentative de coup d’Etat et de deux mutineries, très tôt déjouées et maîtrisées.
Dans le domaine de la gouvernance, n’est-ce pas la volonté du président Abdoulaye Wade pour la présidentielle de 2012, d’une élection simultanée d’un président et d’un vice-président avec un minimum de 25% des voix au premier tour ? Et que dire du cas Karim Wade, fils du président Abdoulaye Wade, quand le président Alpha Condé a tenu à l’écart de sa gouvernance, son fils Mohamed Condé, et au-delà, sa propre famille, dans la gestion des affaires publiques en Guinée ?
Dans le domaine du développement local et de la décentralisation, sous le président Alpha Condé et depuis 2010, dans les zones où les sociétés minières opèrent, il est prélevé 1% du chiffre d’affaires de ces exploitations, au bénéfice de la collectivité pour l’investissement dans ses projets de développement local. Tout le monde sait que la Guinée est généreusement pourvue en dotations factorielles, surtout les ressources minières. Pour le partage des richesses, l’Etat guinéen, sous le président Alpha Condé, ponctionne 15% des revenus miniers et les répartit entre et à l’ensemble des collectivités territoriales du pays à travers le Fond National de Développement (FNDL) avec l’ANAFIC (Agence Nationale de Financement des Collectivités) qui a été mise en place à cet effet. D’ailleurs, une expérience qui pourrait bien inspirer le Sénégal dans sa mise en œuvre de son Acte 3 de la décentralisation, qui est en panne sèche.
Totalement en phase avec toi, Yoro Dia
Cher Yoro Dia, vous dites ‘’le Sénégal est sorti démocratiquement du piège du troisième mandat de Wade, grâce à deux facteurs qui manquent cruellement à la Guinée : un Etat solide, tellement solide que le système y est devenu plus fort que les acteurs, et surtout une société détribalisée et «déséthnicisée». La Guinée, par contre, a un État très fragile à cause du clivage ethnique entretenu et attisé par des politiciens entrepreneurs identitaires’’.
Je suis parfaitement en phase avec vous. Tellement d’accord avec vous que je vous rajoute qu’en Guinée, la fracture sociale et politique est telle que quand vous voulez diriger ce pays, on (l’opinion) ne vous demande pas quelle est votre trajectoire professionnelle ou la pertinence de votre vision-programme politique, mais vous êtes le fils de qui, vous êtes de quelle ethnie…..La sociologie politico-électorale est tellement complexe en Guinée, que beaucoup d’analystes passent à côté, en incrustant et en analysant le jeu politique et le jeu des acteurs en Guinée – les alliances et les communautés-, avec les seules grilles d’analyse de la science politique à l’occidentale. En Guinée, le mode de respiration normale de la démocratie, n’est pas seulement et exclusivement, les élections et le jeu démocratique, mais aussi les arrangements et les compromis. Comme mode opératoire de conquête du pouvoir politique d’Etat et de règlement des conflits. En Guinée, hélas, dans les consciences collectives et dans la volonté commune du vivre-ensemble, le traditionnel est encore plus fort que l’institutionnel. En Guinée, il faut aussi noter que là-bas, la politique, le débat, la recherche du consensus, n’est pas seulement une affaire d’Etat institutionnalisé, mais aussi l’affaire de forces politiques traditionnelles, régionalistes et communautaires, parfaitement efficaces dans leur domaine et omniprésentes même dans les aspects les plus modernes de la Guinée d’aujourd’hui. Et souvent très démocratiques à leur façon. Et dans une élection présidentielle en Guinée, les héritages sociaux et économiques, la persistance des communautés, des pouvoirs traditionnels et des croyances originelles, sont plus considérés que les programmes politiques et les campagnes électorales. D’ailleurs c’est cela qui explique, dans une perspective et réalité propres à la Guinée, qu’au premier tour de la présidentielle de 2010, avec 43% pour Cellou Dalein Diallo et 18% pour Alpha Condé ; au second tour, qu’Alpha Condé puisse remporter en définitive la présidentielle de 2010 avec 52% contre 47% pour Cellou Dalein Diallo. Malgré le soutien que ce dernier avait eu de Sidya Touré qui avait 13% au premier tour. Parce que même en donnant un consigne de vote pour Cellou Dalein Diallo lors du second tour de la présidentielle de 2010, Sidya Touré n’a pas été suivi par sa communauté.
Alors, ne soyons pas surpris qu’en 2020, pour tout ce qui vient d’être évoqué (un bilan fort intéressant et la spécificité guinéenne), qu’Alpha Condé, remporte de nouveau, et à la régulière, la présidentielle du 18 Octobre 2020. Contrairement au travail de sape de certains médias dans la presse sénégalaise qui semblent assurer le service après-vente pour le candidat Cellou Dalein Diallo, qui non seulement s’est décidé à compétir à deux mois de la présidentielle, mais aussi depuis 2010, n’a pas véritablement élargi sa base politique au-delà de sa communauté. Encore que des têtes de pont de sa communauté et pas des moindres, ont apporté leur soutien au candidat Alpha Condé lors de cette présidentielle 2020.
Siré Sy est fondateur du Think Tank Africa WorldWide Group