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Appel Au Retour LancÉ À Un FrÈre ÉmigrÉ Sans-papiers

C’était la troisième fois que Nabou faisait le même cauchemar en une semaine. Contrairement à la première et à la seconde nuit, cette fois-ci elle sursauta brusquement et poussa un cri bref et aigu. Transie de peur, elle s’assit sur son lit et demeura pensive dans l’obscurité pendant quelques minutes. Après s’être rassérénée, elle se leva et, d’un pas pesant, s’en fut nonchalamment vers le salon. À peine en avait-elle ouvert la porte qu’elle se mit à tâter le mur avant de parvenir à allumer la lumière. Puis elle alla s’installer sur le canapé, perdue dans les méandres de ses pensées pendant un bon moment. Ensuite, elle se releva et fit quelques pas la menant devant la bibliothèque pour en prendre un livre. Elle l’ouvrit et en retira une feuille et un stylo qu’elle y avait laissés en guise de marque-page et alla se rasseoir sur le canapé. À cette heure avancée de la nuit son père, sa mère et sa belle-sœur, avec qui elle vivait, dormaient à poings fermés dans le bâtiment se trouvant de l’autre côté de la maison. La tête entre les mains, Nabou mit plusieurs minutes avant d’avoir les idées claires quant au message qu’elle voulait envoyer à son frère jumeau émigré. Elle se pencha aussitôt sur son papier et se mit à griffonner rapidement quelques mots : « Bonjour frère jumeau adoré. C’est avec un sentiment bizarre – que j’ai du mal à te décrire -, que je t’écris. Je suis tout de même très contente et surtout soulagée d’apprendre par le biais de ton ami Birame, qui est passé nous rendre visite il y a trois jours, que tu vas très bien. Car, n’ayant pas de tes nouvelles depuis un bon moment, nous nous sommes fait un sang d’encre, ma mère et moi. »

Ne sachant comment entrer dans le vif du sujet, après avoir couché ces phrases sur son papier, Nabou marqua un temps d’arrêt. Aussi resta-t-elle très concentrée pour retrouver ses idées. Plusieurs minutes s’étaient écoulées lorsque celles-ci lui revinrent, plus claires. Elle se remit brusquement à les écrire de peur d’en omettre quelques-unes:  « Il est 3 h du matin et je me bats contre mes paupières qui veulent se rabattre sur mes yeux tels les volets d’une fenêtre que l’on ferme avec force. C’est dire à quel point j’ai sommeil. Dès lors, je vais à brûle-pourpoint à l’objet de mon message tout en évitant toute circonvolution. Je ne sais pas comment tu vas le prendre, mais en tant que ta sœur jumelle je me sens obligée de te parler. D’autant que je fais le même terrible cauchemar à ton sujet depuis que j’ai regardé un triste reportage sur la situation dégradante et humiliante que vivent certains émigrés sans-papiers en Espagne, France, Italie au Maghreb et dans quelques pays du Golf. J’aimerais que tu rentres définitivement cher frère. Il faut le faire pendant qu’il est encore temps. Tu es jeune, il te sera alors toujours possible de refaire ta vie ici en te lançant dans de nouveaux projets. Je ne souhaiterais pas que tu finisses comme certains de ces émigrés que j’ai vus dans le reportage, qui ont versé qui dans le banditisme, qui dans des situations peu honorables pour gagner leur vie ; ou d’autres qui, en attendant une hypothétique régularisation de leur situation administrative, ont non seulement perdu leur vigueur physique et parfois intellectuelles mais sont si empêtrés dans l’expectative depuis plusieurs années qu’ils ont perdu toute possibilité de bâtir quelque chose de solide ici et dans leur pays de résidence. De plus, beaucoup de choses ont changé dans la maison depuis que tes transferts d’argent sont devenus irréguliers. Au début maman parvenait à colmater les brèches grâce quelques tontines qu’elle avait perçues et épargnées. Mais depuis un certain moment nous faisons face à de sérieuses difficultés financières. Avec la cherté de la vie, la maigre pension de retraite de notre valétudinaire père représente une goutte dans l’océan de nos charges. Cette situation affecte beaucoup notre brave maman, qui ne sait plus où donner de la tête pour assurer la dépense quotidienne. Car non seulement personne ne lui vient en aide, mais elle n’a nulle part où aller dans le quartier pour quelquefois emprunter de l’argent. Le fait que tu sois en Espagne constitue une sorte de frein l’empêchant d’aller solliciter quelque aide financière auprès de ses amies. Au contraire, ce sont souvent ces dernières qui viennent lui faire étalage de leurs doléances espérant qu’elle puisse leur rendre service parce qu’elles pensent qu’on ne manque de rien. Mais tu connais maman, elle ne se plaint presque jamais et elle fait tout pour ne pas te dire certaines choses de peur te causer d’autres soucis et de heurter ta sensibilité. En ce qui me concerne, vu que je n’ai pas de bourse, j’ai dû arrêter d’aller régulièrement à l’universitaire afin de m’épargner le fardeau des tickets de restaurant et des titres de transport. Je suis dès lors obligée de faire mes recherches sur Internet et d’emprunter certaines œuvres par-ci et par-là pour la rédaction de mon mémoire. Avant-hier, maman m’a fait savoir qu’elle pensait même à demander à ta femme de retourner chez elle puisqu’elle a constaté – bien qu’elle ne lui ait rien dit – qu’elle souffre physiquement et moralement et qu’elle trouverait peut-être de meilleures de conditions de vie auprès de sa famille. Tout cela pour te dire que tu dois retourner au bercail. Je sais toutefois qu’il faut une décision ferme et surtout beaucoup de courage pour le faire parce que le retour n’est jamais facile, surtout lorsque tu dois revenir « les mains vides » – dans notre société matérialiste, où le paraître tend à supplanter l’être et ce que l’on a à prendre le dessus sur ce que l’on est – après avoir passé beaucoup d’années à l’étranger. Car il y aura à coup sûr des mauvaises langues pour dire que tu as été déporté, des regards interrogateurs pour te demander pourquoi ton séjour se prolonge et surtout la délectation des méchantes gens qui ne souhaitent que de te voir échouer ta vie même s’ils te sourient tous les jours. C’est cette malveillante facette pharisienne de notre société que je ne cesse de dénoncer ; cette malveillance peut même provenir de ta propre famille. C’est ce qui est arrivé à grand Ngagne, le demi-frère de ton ami d’enfance Pape. Il est mort de chagrin le mois passé. Lorsqu’on l’a expulsé de France, presque toute sa famille – dont le soutien lui était nécessaire pour rebondir – l’a laissé tomber. Il était comme banni dans la maison familiale où certains le traitaient de raté, d’autres de paresseux, voire de fou quand ils avaient maille à partir avec lui. Pourtant, j’ai entendu dire que c’est lorsqu’il a découvert, à son retour, que l’argent qu’il avait envoyé à son père pour l’achat d’une maison avait été utilisé à d’autres fins par celui-ci qu’il était tombé dans un état dépressif. Ceci dit, il faut avoir le courage de retourner au bercail cher frère. Je sais qu’il faut parfois beaucoup de patience pour bénéficier d’une régularisation, mais le temps n’attend pas et cela fera bientôt quatre ans et demi que tu n’as plus de papiers. De plus, avec la xénophobie, le racisme, l’islamophobie, qui règnent actuellement dans plusieurs pays européens, qui se bunkarisent et tendent de plus en plus à basculer vers l’extrême droite, les espoirs de régularisations massives deviennent très minces, pour ne pas dire inexistants. C’est pourquoi je me pose un tas de questions lorsque je vois nombre de nos jeunes compatriotes ou autres Africains, ces forces vives devant participer au développement du continent et à sa libération du joug néocolonial, se jeter à corps perdu dans des pirogues pour braver les mers ou emprunter les déserts dans des véhicules de fortune. Mais, d’un autre côté, je ne peux pas m’empêcher d’éprouver une rage incommensurable envers nos indignes dirigeants compradors, dont nombre d’entre eux, non seulement massacrent leurs populations pour s’accrocher illégalement au pouvoir, mais encore baignent dans l’opulence pendant que la majorité de ces dernières se noient davantage dans les bas-fonds de la misère. Ils ne servent que leurs propres intérêts et ceux des grandes puissances étrangères qui les aident à se pérenniser au pouvoir. Que les populations meurent de faim, qu’elles éprouvent des difficultés pour se soigner ou pour étudier convenablement, que le chômage endémique s’éternise, peu leur chaut.

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Cher frère, je t’imagine mal vivre ces humiliations quotidiennes, ce racisme, cette indifférence, ce mépris, parfois ces meurtres dont sont souvent victimes certains de ces émigrés sans-papiers que j’ai vus dans le reportage. Rentre, tu n’as rien à craindre : ta famille t’aime et restera toujours reconnaissante à ton égard. Tu t’es saigné aux quatre veines pour que nous vivions dans de très bonnes conditions. Nous n’oublierons jamais que c’est pour nous soutenir que tu as arrêté tes études en France pour aller faire du Mòodu-Mòodu en Italie, puis en Espagne juste après la retraite du notre père. Il faut rentrer car il y a des choses à faire dans notre pays. Et c’est à nous la jeunesse de les réaliser. Si on se met toujours au service des autres, on peut certes s’en sortir individuellement, mais collectivement ils seront éternellement devant nous et ne cesseront jamais de nous exploiter et surtout de nous imposer leur vision du monde comme cela a été et est encore le cas avec cet Occident, qui croit en être le centre. Il y a des possibilités ici. D’ailleurs, dans ce même reportage on a montré d’anciens émigrés qui, après leur expulsion ou retour volontaire, sont parvenus à réussir de très belles affaires qu’ils n’auraient jamais réalisées s’ils étaient restés à l’étranger. Avec le courage, la combativité, la dignité et le sens du devoir que je te connais, tu peux faire autant, voire plus que ces gens-là. N’oublie pas que papa dispose d’un grand terrain laissé en jachère dans son village natal. Tu pourras le mettre en valeur à ton retour. L’agriculture est un secteur qui marche presque partout dans le monde. Cet Occident sur la pente n’est pas une fin en soi. Il est loin d’être le pays de Cocagne que d’aucuns imaginent. Si certains y parviennent à mettre la main sur le Graal beaucoup d’autres s’y cassent souvent les dents. Ce qui s’est passé récemment à Moria doit décourager ceux qui prennent tous les risques pour aller en Europe, fût-ce pour demander le statut de refugié sauf en cas d’extrême nécessité. L’Europe – du moins beaucoup de pays européens -, foule au pied ses propres lois quand il s’agit de demandeurs d’asile et autres émigrés. Elle fait tout pour se barricader afin d’empêcher à certaines populations dont elle ne cesse d’exploiter les pays ou de les bombarder de fouler son sol. Qui plus est, l’émigration n’est pas un gage de réussite comme le fait de rester dans nos pays celui d’échec. Tant s’en faut, les exemples sont légion.

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Le secret est juste de travailler dur peu importe sans emplacement géographique. Prends ton courage à deux mains frère jumeau bien aimé et reviens à mes côtés. Tu me manques et tu manques beaucoup à ta chère maman qui ne cesse de se soucier de toi. Elle vit une misère intérieure qui la ronge régulièrement. Le manque d’argent ne doit pas créer en toi une quelconque gêne ou une sorte de barrage te poussant à couper le contact avec nous. Ce qui nous lie est plus grand et beaucoup plus important que les Western Union, Money Express, Moneygram, Ria…Bon, je m’arrête là. Je ne vais pas non plus t’écrire un livre… De plus, je ne vais pas te prêter le flanc. Toi qui me disais souvent que je suis Docteur-ès-Parlotte (riiires). Réponds-moi s’il te plaît dès que Birame t’auras remis la lettre. Je suis impatiente de te lire. Je te fais de gros bisous. Je t’aime très fort. »







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