Actuelle région de Matam, la onzième du Sénégal est connue pour ses potentialités mal ou non exploitées depuis l’avènement de nos « indépendances ». Le déficit d’investissement dans cette région est aussi une réalité qui plombe cette région naturelle. Cependant, le dynamisme des fils et filles de l’intérieur et de l’extérieur la maintiennent en perfusion. Les investissements sociaux relatifs à la santé, à l’éducation et à l’accès à l’eau pour ne citer que ceux-là sont tous portés par ces filles et fils de la région.
Les études de Truong Binh et Cisse L. en 1985 ont prouvé l’existence d’un front minier tout le long de la vallée mais surtout la richesse des phosphates de Ndendory communément appelées les phosphates de Matam.
« Vingt-sept échantillons de phosphates naturels provenant du gisement de Matam (nord-est du Sénégal) ont été étudiés du point de vue chimique, minéralogique, cristallographique et en vases de végétation sur trois types de sols du Sénégal. Les résultats montrent qu’il existe des différences importantes entre puits de prélèvement et entre horizons d’un même puits. Certains échantillons présentent des caractéristiques favorables à une utilisation directe en agriculture. Leur efficacité dépend aussi des réactions du sol, dont l’acidité semble jouer un rôle important. » J Ndour
Avec l’avènement de l’alternance démocratique au Sénégal en 2000, un grand espoir est né et un changement de paradigme aussi attendu.
Certes il y a des ratés, beaucoup même, mais une brèche a été ouverte pour emprunter la voie d’un développement interne et inclusif.
Au cours de cette dernière décennie, les enjeux liés à la gouvernance des ressources naturelles sont au centre des débats au Sénégal. Le secteur minier est un pilier de l’économie nationale et il devrait encore jouer un rôle significatif dans la poursuite du développement social et économique.
Fuuta a un fort potentiel agricole et pastoral et en plus pourvu de ressources minières. En effet, les opérations de recherches entamées dans les années 30 et les séries de campagnes de prospection réalisées par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) au début des années 80 ont abouti à la découverte d’un important gisement de phosphates évalué à plus de 40 millions de tonnes dans la région de Matam.
Démarrée en 2008 avec la Société d’études et de réalisation des phosphates de Matam (Serpm), l’exploitation de cette ressource «non renouvelable» avait suscité beaucoup d’espoir chez les populations locales et était perçue par ces dernières comme une véritable opportunité de développement socio-économique, de lutte contre la pauvreté et d’intégration de la 11ème région du Sénégal dans le tissu économique national.
Hélas, le rêve s’est transformé en un cauchemar sans fin pour les populations locales notamment avec son lot de terres spoliées, de maladies dangereuses, des jeunes sans formations pour les métiers de la mine, une exploitation inhumaine, des salaires non déclarées et la liste est longue.
Quid du respect des lois de la République dans cette catastrophe humaine qui est loin de dévoiler tous ses maux. En matière de santé publique, il est à se féliciter que des spécialistes ont déjà et à plusieurs reprises tiré la sonnette d’alarme.
Aly Sagne, expert minier sur la violation du code minier : «Ce qui s’est passé dans l’exploitation des phosphates de Matam est un fait coutumier dans le secteur»
Aly Sagne, expert minier qui mène une campagne sur la question environnementale en zone minière depuis 2004 et qui a eu à coordonner une étude sur le diagnostic de la réglementation minière du Sénégal en 2008, sur financement de l’Union européenne, n’a pas voulu rester indifférent à ce qui se passe dans l’exploitation des phosphates de Ndendory. «Je peux affirmer, d’après mon expérience dans le secteur, que ce qui s’est passé à Matam dans le cadre de la violation du Code minier, c’est-à-dire la précipitation à exploiter avant de procéder à des études environnementales, est un fait coutumier dans le secteur. L’Etat a procédé de la même manière pour l’exploitation de la mine d’or de Sabodala, en octroyant un titre minier d’exploitation à une compagnie australienne MDL sans étude d’impact préalable, sous prétexte que ‘le président souhaitait qu’on aille vite’ en violation des Codes de l’environnement et des mines», défend l’expert. Mais, à l’en croire, «la loi ne connaît pas les urgences en matière d’impacts sur l’environnement et l’étude d’impact environnemental et social (Eies) est un processus qui ne saurait se limiter à une ou de simples réunions». C’est pourquoi, il pense qu’«en réalité, il a été tordu la main aux fonctionnaires des ministères des Mines et de l’Environnement. Car, au titre de l’article 48 du Code de l’environnement, la loi est claire : ‘tout projet de développement ou activité susceptible de porter atteinte à l’environnement, de même que les politiques, les plans, les programmes, les études régionales et sectorielles devront faire l’objet d’une évaluation environnementale’». Mieux, indique-t-il, «au titre de l’article 83 du Code minier, l’étude d’impact environnemental et social (Eies) est un élément du dossier de demande de titre minier… même pour une petite mine». L’article dit : «Tout demandeur de permis d’exploitation ou de concession minière ou d’autorisation d’exploitation de petite mine doit réaliser, à ses frais, une étude d’impact sur l’environnement, conformément au Code de l’environnement et aux décrets et arrêtés y afférents». Source Jacques Ngor Sarr.
Après plus d’une décennie d’exploitation quel bilan pour cette région ?
Une région toujours pauvre (plus de 58 % de la population vivant sous le seuil de la pauvreté) avec un taux d’analphabétisme dépassant 55% ; des terres agropastorales perdues, une absence de sécurité des travailleurs, un faible niveau d’insertion des jeunes, une absence de formation aux métiers des mines, un environnement dégradé et pollué, la santé des populations menacée.
Le rapport 2018 de l’initiative transparence des industries extractives nous enseigne néanmoins que la société minière de la vallée du fleuve (Somiva) déclare avoir versé à l’Etat du Sénégal plus 964 millions de francs Cfa, avec un volume de production de 570 997 tonnes et une valeur de production estimée à plus de 20 milliards de francs Cfa. A la lumière des informations fournies par ce rapport, il est légitime de demander à qui profite réellement l’exploitation des phosphates de Matam.
Au niveau local, ni la commune de Hamady Hounaré, ni le département de Kanel n’ont vu la couleur de ces taxes.
Pourtant, les mécanismes et instruments mis en place par l’Etat du Sénégal à travers notamment le code minier de 2016, qui prévoit entre autres, un fonds d’appui et de péréquation (alimenté par 20% des recettes provenant des opérations minières) destiné aux collectivités territoriales, les populations de la région de Matam continuent toujours de vivre le paradoxe de l’abondance et d’externalités négatives liées à cette exploitation.
Kumpital Fuuta qui est un mouvement citoyen engagé pour un éveil de consciences citoyennes s’est joint aux populations de la localité le 20 octobre 2020 pour dénoncer le non-respect de l’Etat mais aussi de la société MOE de la loi.
Kumpital Fuuta veut promouvoir avec les acteurs locaux de la région un espace de dialogue et de veille pour que la Somiva et autres structures s’acquittent de la responsabilité sociétale d’entreprises (RSE).
Kumpital Fuuta et les acteurs locaux pèseront de tout leur poids pour que les « erreurs » du passé ne se répètent pas dans les phosphates de Bossea (manque d’étude d’impact, précipitions, manque d’implication des populations, complicités des élus locaux, respect de l’environnement). Tout sera mis en œuvre pour que le contrôle citoyen devienne ce reflexe qui changera les rapports et l’ordre malsain des choses.
Kumpital Fuuta,
Pour un éveil de consciences citoyennes
Pour le respect de la loi
Pour une égalité et équité territoriales effectives