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Diffamation Des Religions Et Liberté D’expression : Réponses Des Organisations Intergouvernementales Et Institutions Internationales

La résurgence de la question des caricatures du Prophète Mohamed (Psl), suite à leur diffusion mal inspirée par un Professeur français, et l’acte violent et condamnable qui s’en est suivi, repose, avec acuité, la problématique opposant les défenseurs de la liberté d’expression à ceux qui combattent la diffamation des religions.

Devant les sérieuses menaces que  cet affrontement entre deux doctrines fait peser sur la préservation de la paix, la sécurité et la concorde  internationales, les organismes multilatéraux, en particulier les Nations-unies, Gardienne de ces valeurs, n’ont pas manqué d’examiner la question en vue de dégager à cet égard des voies consensuelles.

C’est ainsi qu’à la suite d’initiatives pressantes du Groupe des ambassadeurs de l’Organisation de la coopération islamique au Conseil des droits de l’Homme  à Genève, les Nations unies ont adopté plusieurs résolutions visant à engager les gouvernements des Etats membres, à notamment prendre des mesures pratiques pour lutter contre les actes de haine, de discrimination et d’incitation qui résultent de la diffamation des religions.

L’objectif de l’Oci était d’amener la Communauté internationale «à combattre la diffamation de toutes les religions, en général, et de l’Islam et des musulmans en particulier». Tout cela pour promouvoir la tolérance religieuse fondée sur le respect mutuel.

C’est dans cet esprit que furent adoptées plusieurs résolutions parmi lesquelles on peut citer celles  nos A/RES/61/164/ du 19 décembre 2006, A/RES/62/154 du 18 décembre 2007, et A/RES/64/156 du 8 mars 2010.

Par ces résolutions, le Conseil des Nations unies pour les droits de l’Homme déplore «l’utilisation des médias électroniques, audiovisuels et imprimés, y compris internet, pour viser les symboles religieux et des Personnes Sacrées».

Même si l’on peut noter que certains pays, en particulier ceux de l’Union européenne, ont dû voter contre ces résolutions, au motif qu’elles constituaient  une menace à la jouissance de la liberté d’expression, il est un principe juridique et démocratique fondamental que toute décision adoptée par la majorité des Etats membres des Nations unies engage tous les autres Etats.

Il s’y ajoute qu’en Europe même, plusieurs Organisations et Institutions intergouvernementales et interparlementaires se sont prononcées sur le phénomène grandissant d’islamophobie qui, sur la base de préjugés de toutes sortes, des stigmatisations et discriminations délibérées, porte gravement et injustement atteinte aux intérêts des musulmans vivant en Europe.

C’est ainsi que la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, se fondant sur une déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement membres du Conseil de l’Europe, ainsi que sur le Plan d’action sur la lutte contre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance, note avec pertinence que «le judaïsme, le christianisme et l’islam se sont influencés mutuellement et ont influencé pendant des siècles la civilisation européenne, tout en soulignant la contribution positive que l’islam a apportée au développement des sociétés européennes dont elle est une composante intégrante».

C’est dans cet esprit que la Commission européenne a vivement regretté «que soit véhiculée une image déformée de l’islam, reposant sur des stéréotypes hostiles destinés à faire percevoir cette religion comme une menace».

Plus important encore, la Commission demande de «veiller à ce que les programmes dans les écoles et dans l’enseignement supérieur, notamment dans l‘enseignement de l’histoire, ne présentent pas d’interprétation déformée  de l’histoire des religions et des cultures et ne fondent pas leur vision de l’islam sur des perceptions d’hostilités  et de menace».

Le Rapporteur spécial des Nations unies sur la xénophobie, le racisme et la discrimination raciale, notre compatriote Monsieur Doudou Diène, s’est beaucoup investi dans la dénonciation au sein du Conseil des droits  de l’Homme des pratiques discriminatoires et islamophobes dont sont victimes les musulmans en Europe, il a ainsi permis de bien sensibiliser le Conseil  sur la gravité de ces fléaux, en se fondant sur des  faits et actes bien documentés.

Pour sa part, la Cour européenne des droits de l’Homme, saisie de nombreuses plaintes d’actes islamophobes et de diffamation de la religion musulmane, reconnaît dans un Arrêt célèbre dit  Otto Preminger Institut qu’un croyant doit certes accepter des critiques et remises en cause de ses propres dogmes au nom de la liberté, «mais cette Cour européenne dresse, toutefois , des limites à la jouissance de cette liberté en «rejetant  toute critique qui, dans sa forme, devient injurieuse  et outrancièrement offensante». Une telle pratique est assimilable à une injure dès l’instant où elle est spécifiquement élaborée pour être offensante.

Les caricatures funestes véhiculant de mauvaises images sur le Prophète Mohamed (Psl) peuvent être classées sous ce registre. Elles constituent une monstrueuse provocation qui offense avec une insolente vulgarité une référence sacrée, vénérée par plus de deux milliards de musulmans à travers le  monde. Ceux qui soutiennent le contraire n’ont qu’à soumettre leur modeste personnage ou celui d’un être cher, à de telles caricatures pour en apprécier les effets choquants.

La liberté d’expression est certes un droit consacré par la Déclaration  universelle des droits de l’Homme et du citoyen en son Article 19. Elle figure également dans le Pacte international relatif aux droits civiques et politiques. Ceci est incontestable dans toutes les sociétés  démocratiques où prévaut l’Etat de droit.

Mais cette liberté devrait, toutefois, comme toutes les autres libertés, s’exercer avec responsabilité dans le strict respect des limites objectives, qui protègent l’intégrité physique et morale de tout un chacun.

La liberté d’expression ne saurait être ni totale ni illimitée. Elle doit être encadrée dans toute société civilisée et soucieuse d’assurer une bonne cohésion sociale et un environnement propice à une parfaite harmonie et une compréhension mutuelle entre ses différentes composantes.

Ceux qui prônent l’inverse entraînent irrémédiablement leur pays et le monde entier dans la voie de la déstabilisation et de la confrontation, qui ne feront que le lit de l’extrémisme violent et de la désagrégation sociale.

Dans ce monde déjà secoué par de nombreux défis sanitaires et sécuritaires multiformes, il est puéril de susciter un antagonisme civilisationnel, à travers une confrontation de valeurs contradictoires.

L’urgence est plutôt de rechercher des voies consensuelles bâties sur des échanges constructifs, propres à créer un environnement de coexistence pacifique et de respect mutuel.

Par le dialogue et la concertation nous pouvons construire un ordre international juste et pacifique où tous les systèmes de valeurs, toutes les croyances et les traditions pourraient cohabiter dans une entente universelle.

C’est seulement dans cet esprit que nous réussirons à promouvoir «la Civilisation de l’Universel» chère au Président Léopold Sédar Senghor.

Babacar BA

Ambassadeur Ancien Représentant Permanent de l’Oci

Auprès de l ‘Office des Nations-Unies et du Conseil des Droits de l’Homme à Genève

bbcrba54@gmail.com

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