« Nous sommes devenus une culture beaucoup plus visuelle, qui pense en termes de spectacle, de bruit, de conflit » Barack Obama *
Le fait le plus commenté, parce qu’il faut bien en convenir, le plus notable dans le dernier réaménagement du gouvernement –- suite logique des conclusions du dialogue national politique sous la conduite du général Mamadou Niang –-, est le retour quelque peu inattendu dans le giron présidentiel, du leader du parti Rewmi, Idrissa Seck, sorti deuxième à la dernière élection présidentielle. – Pour la petite histoire, il en était à sa troisième tentative, c’est dire qu’on a affaire à un vétéran de la politique avant l’heure, c’est-à-dire avant d’en avoir l’âge. Il atterrit à la présidence du Conseil économique, social et environnemental (CESE), en remplacement de Mme Aminata Touré, Mimi, et envoie deux de ses lieutenants au gouvernement. Autre fait, moins souligné, mais notable cependant, l’entrée au gouvernement d’Oumar Sarr, dissident du PDS, leader du Parti des Libéraux et Démocrate (PLD), dont la dissidence a été déclenchée par la confusion entretenue dans les rangs du Parti démocratique sénégalais par l’entêtement du président Wade à porter son fils à la tête de sa formation, jusqu’à la priver de candidat à l’élection présidentielle de 2019.
Beaucoup de choses ont été dites sur ce remaniement très politique finalement, là où, et je me demande pourquoi, on semblait attendre autre chose – comme si presque tous ceux entrés dans des gouvernements en tant que technocrates, depuis Diouf, n’étaient devenus des politiques purs et durs, les exemples foisonnent ! – . Et, à bon droit, des interprétations ont été fournies sur tel ou tel départ, telle arrivée ou telle mise en attente d’untel –- parce que les négociations pour sa cooptation auraient achoppé. Tout cela est recevable ; vraies informations ou, hélas !, fausses allégations ; interprétations vraisemblables ou, encore hélas, carrément fantaisistes ! Recevable, oui, parce que, hélas encore !, ce que notre regretté confrère, Babacar Touré, a appelé « Les médias de la surenchère » a pris le pouvoir dans l’espace médiatique, pris le pas sur les médias traditionnels tant qu’il les tire vers ses pratiques brouillonnes gourmandes de clics ; voire, pour certains, irresponsables, si l’on considère tout ce qui a été annoncé de faux dans cette affaire – notamment sur Malick Gakou, Abdoulaye Baldé, Samuel Sarr et d’autres. Et il semble qu’il faille en prendre son parti. Puisque c’est de « ça » qu’on dispose pour animer notre espace publique, eh bien, il faut faire avec « ça » !
Entendons-nous, faire avec, dans mon entendement, ne veut absolument pas dire subir le diktat de la surenchère. Il faut, je crois, au risque de paraître prêcher dans le désert, essayer de faire entendre, en toute humilité, un autre son de cloche que celle d’une foire à la suroffre médiatique. Faire sa part, comme le colibri – l’allégorie est bien connue- – lors de l’incendie de la forêt. Cette quête, je dois dire que je l’ai trouvée dans la chronique de Mamoudou Ibra Kane d’i Média du 20 novembre, telle que reprise par seneweb. Mamoudou y passe en revue la relation entre les deux principaux protagonistes, Macky Sall et Idrissa Seck, de cet épisode, premier d’une longue chronique politique qui commence à s’écrire sous nos yeux, avec en filigrane, un portrait psychopolitique de Seck, qui éclaire bien des aspects de cette intrigue de haut vol, et d’en appréhender les suites possibles. L’analyse, l’exégèse politique n’est pas une science exacte – et personne ne pourra jamais dire un jour : « Eureka, j’ai trouvé », voici pourquoi Seck et Sall se sont retrouvés ! -, mais il me semble, aujourd’hui plus que jamais, que ce genre d’effort est une obligation pour ceux qui s’y appliquent.
C’est dans cette obligation que s’inscrit ce modeste papier qui se propose d’aller au-delà de l’anecdotique, du spectaculaire, de «la « surenchère ». Nous allons essayer de comprendre, non pas tout ce qui tourne autour, se cache ou se trame derrière les décisions éminemment politiques bouclées lors du long week-end du Gamou (du jeudi 29 octobre au dimanche 1er novembre) par le président de la République, chef de file de la Coalition Benno Bokk Yaakaar, mais d’attirer l’attention sur un fait des faits que l’on ne peut exclure d’une observation attentive de la situation politique présente et à venir du président Sall, conséquemment de toute décision qu’il prendrait.
Depuis 2019, au sortir de l’élection présidentielle, les événements à incidences politiques les plus importants intervenus autour du président Sall –- si l’on exclut la suppression du poste de Premier ministre, qui, d’ailleurs, s’inscrit dans une autre perspective que celle qui nous occupe ici, sauf si elle a servi à préparer ce remaniement –- sont les décès d’Ousmane Tanor Dieng et d’Amath Dansokho. Ces deux ténors politiques, hommes de terrain expérimentés et intellectuellement outillés, largement « aînés » du chef de l’État, alliés politiques loyaux, jouaient de leur vivant un rôle stabilisateur auprès de Macky Sall, de conseiller écouté et respecté. Le président lui-même n’a pas manqué de le souligner avec force lors de l’éloge funèbre dédié à Tanor à l’aéroport à l’arrivée de sa dépouille et après le décès de Dansokho, avec autant de force. Insistant sur le fait qu’ils étaient des conseillers privilégiés pour lui.
Une pensée présidentielle se nourrit de conseils et d’avis éclairés, les hommes dans sa proximité devant être de qualité – intrinsèquement – et disposer d’une expertise ou d’une expérience avérée dans leur domaine, et au-delà. – Même la disparition de Bruno Diatta pourrait être ajoutée à cette proposition : quoique dans un autre registre, le protocole a tout à voir avec la sécurité présidentielle, celle-ci étant un élément stabilisateur essentiel pour un chef d’État. Bien plus signifiant, le président, dans l’hommage qu’il a rendu à Bruno Diatta, le jour de son enterrement, a révélé qu’il était, également, un conseiller notablement appréciable pour lui, au-delà de son rôle diplomatique éminent.
Sur le plan politique, la disparition de ces deux alliés majeurs au sein de la coalition présidentielle BBY, et du grand diplomate – un demi-siècle de proximité avec le sommet du pouvoir – a dû laisser un vide béant dans la garde rapprochée cérébrale dont Macky Sall a bien besoin aujourd’hui, beaucoup plus qu’entre 2012 et 2019. Avec une échéance 2024 assurément pas comme les autres, le dépeuplement de son entourage politique de tels éléments – en une année 2019 – -2020, la plus dure de ses huit ans de règne –- l’a sûrement poussé, d’abord à initier ce dialogue national qui a dû lui permettre d’évaluer le personnel politique sénégalais, ensuite d’en extraire ceux qui lui paraissaient pouvoir repeupler qualitativement son environnement immédiat, dans une perspective connue de lui seul, mais dont on ne peut exclure un réarmement politique d’ordre conceptuel, avant même une revue des troupes, et leur mobilisation pour les batailles décisives, pas seulement électorales, à venir.
Idrissa Seck n’est pas Ousmane Tanor Dieng. Il n’a pas une expérience équivalente en durée de la gestion de l’État dans la proximité avec son chef, mais seulement parce qu’il n’est pas resté dans cette position aussi longtemps que le sphinx socialiste ; cependant, il a occupé les mêmes fonctions, dans une intimité encore plus grande avec son chef, quand il était ministre d’État, directeur de cabinet du président Wade, puis Premier ministre, ce que n’a pas été Tanor ; et en tant qu’homme d’appareil, Idrissa Seck, directeur de campagne électorale présidentielle de Wade, déjà en 1988, à 29 ans, a une expérience plus étoffée – il est, aujourd’hui, du personnel politique actif, l’un des plus expérimentés. Oumar Sarr n’est pas Amath Dansokho, tant s’en faut, mais de l’apparatchik communiste, il tient la combativité, certes plus débonnaire, mais non moins redoutable, et son expérience d’homme d’appareil est bien assise – de tous les numéros deux du PDS que Wade a broyés depuis Fara Ndiaye, il est le seul à avoir anticipé le couperet pour partir avec une part considérable de ce qui restait d’apparatchiks chez leur mentor.
Mais pour comprendre la substitution des uns aux autres que nous suggérons ici, dans leurs rôles plausibles auprès du Président Macky Sall, il faut garder en tête que s’opère, depuis 2000, un renouvellement générationnel de la classe politique sénégalaise. Autant Seck et Sarr ne sont pas Dieng et Dansokho, autant Sall n’est pas Diouf, encore moins Wade, qu’il reconnaît comme son maître, et dont Idrissa Seck fut le sherpa attitré, politiquement créatif, si on pense à son rôle décisif, historiquement reconnu, dans l’accession au pouvoir de Wade en 2000, avec sa fameuse Marche bleue.
Ces deux-là, Idrissa Seck surtout, Macky Sall aura besoin qu’ils murmurent à son oreille, même si le président n’est pas complètement démuni de ce point de vue. Dépeuplée par la disparition des ténors évoquée tantôt, sa proximité intellectuelle et politique n’en est pas un désert cependant. Mahmoud Saleh, qui semble avoir pris du grade dans le jeu de chaises musicales entre Augustin Tine et lui induit par le remaniement, reste bien en place, ainsi d’ailleurs que le dernier nommé, l’ancien ministre des Forces armées, qui n’est pas le dernier venu, non plus. Le redoutable Saleh est d’ailleurs déplacé sur le terrain à un poste stratégique, une sorte de tour de contrôle où rien ne lui échappera du jeu autour du président.
Nous ne nous arrêterons pas trop sur Oumar Sarr, son rôle au gouvernement se fondra dans la masse après les premiers tapages médiatiques, et s’il se retrouve à jouer les Dansokho auprès de Sall, il aura plus de chance de le faire trop de sans vagues – même en comptant avec le turbulent entourage juvénile du président, armé presque seulement de sa « légitimité historique » dans l’avènement de « Macky Sall président », et qui ne se laisse pas oublier quand des « non-historiques » prennent trop de place dans son espace … vital – proprement ! Idy, lui, parce que c’est Idy – avec son background politique lourd –-, en plus, haut perché à la présidence de la troisième institution du pays, aura à chaque instant les projecteurs braqués sur son moindre cillement. Aussi bien par cette famille BBY à laquelle il appartient, et dont il s’était éloigné, que par les Sénégalais lambda. Parce qu’en lui donnant ce « travail » au CESE, essentiellement pour sceller leur rapprochement politique qui ouvre bien des possibles, Macky Sall ne le soustrait pas à l’obligation d’y bien travailler, et de faire de cette institution autre chose que ce qu’il décriait tantôt, où y faire autrement que ce qu’y faisaient les autres avant lui.
C’est impératif pour démentir toute la harangue spéculative sur ce rapprochement qui ne serait une histoire que de sinécures. Alors que, depuis que Macky Sall est président, donc, forcément, prestidigitateur politique, comme Abdou Diouf auquel il a emprunté son style (taiseux sur ses intentions, voire trompeur : deux semaines avant de chambouler son équipe, il déclarait : « je n’aime pas les remaniements » –- parce qu’ils lui faisaient perdre des amis, dit-il), rien d’aussi éminemment politique n’est sorti de son chapeau que ce dernier renversement de l’échiquier dont les répercussions porteront jusqu’après 2024. D’une façon ou d’une autre, ces événements qui nous occupent aujourd’hui opéreront sur tout autre survenant dans le champ politique d’ici là.
Autant dire que le sort de notre pays, au cours des dix ans à venir, au moins, est très intimement lié à ce qui vient de se passer avec ce remaniement. Sur sa tour de contrôle, où, il a été muté, comme on l’a dit tantôt, par un Macky Sall « « surlucide »« , Mahmoud Saleh ne devrait rien manquer du replacement des pièces sur l’échiquier renversé. Le trotskyste, concepteur du « coup d’État rampant » qui explosa l’entente séculaire Wade/Idy et tombeur très lointain de
Mimi Touré (son œuvre ayant commencé en 2014, déjà – revisitons les archives), sera, dans la nouvelle combinaison entre Seck et Sall, une sorte de fléau de la balance, responsable du nécessaire équilibre entre ce qu’Amadou Lamine Sall appelle « la lucidité métallique »** de Macky Sall et l’irrécusable et flamboyante créativité d’Idrissa Seck. Il se dit, cependant, que Saleh aurait beaucoup pesé sur la balance lors des discussions ayant abouti au rapprochement des deux déjà vieux compagnons politiques.
Alors, se pencher sur ces manœuvres de haut vol, en tant qu’observateur de la vie politique, pour privilégier l’anecdote, le sensationnel, voire la colère contre des gens qui, après tout, strictement comme cela se fait dans le monde entier, ne font que leur métier – politicien -, est de mon point de vue symptomatique d’une étourderie inexcusable pour qui aurait pour souci seulement d’éclairer l’opinion. En lui fournissant des éléments de réflexion, qui, certes, ne sont ni la Bible ni le Coran. En sus, en politique, ce qui est vrai aujourd’hui peut, demain, ne plus l’être.
Pour le rôle de conseiller privilégié imaginé ici pour le nouveau président du CESE, tel que le regretté ancien président du Haut-Conseil des Collectivités territoriales le remplissait auprès du chef de l’Etat, on peut penser que les difficultés seront, sinon moindres, au moins gérables, loin des projecteurs médiatiques. Si Idrissa Seck et le président ont pu se parler, en toute discrétion, pendant si longtemps que cela a été dit, pour concocter cette combinaison inattendue, surprenant totalement leur monde, maintenant qu’ils sont redevenus des alliés politiques, que le patron de Rewmi dirige la troisième institution du pays, ils ne devraient pas rencontrer de difficultés majeures pour dérouler leurs projections, quelles qu’elles soient. Desseins dont on peut, raisonnablement, penser qu’ils enjambent les prochaines élections locales – même sans exclure qu’ils les intègrent, ainsi d’ailleurs que les prochaines législatives. En politique, tout se tient, bien évidemment, et on parle de projections jusqu’ en 2024 et au-delà.
*Interview à France 2, avec François Busnel, à l’occasion de la sortie du tome 1 de son autobiographie : « Une terre promise)
**« En l’an 2068 : conversation avec le président Macky Sall », m.maafrique.com