Et si l’Afrique, l’Union Africaine, profitait de l’arrivée à la Maison Blanche de Joe Biden pour relancer son vieux projet de « réparations » pour l’esclavage, le colonialisme et le néocolonialisme ? L’arrivée à la Maison Blanche du « ticket » démocrate de Joe Biden et Kamala Harris, une Africaine-américaine, est en effet une opportunité.
Il y a aussi l’extraordinaire mobilisation de la communauté noire africaine-américaine et des mouvements progressistes à l’intérieur des Etats-Unis à travers le monde entier autour du mouvement Black Lives Matter.
Le Congrès des Etats-Unis a déjà indiqué sa volonté d’étudier la question des « réparations » pour ce qui concerne les Africains-Américains puisqu’il a organisé déjà le 19 juin dernier une session d’information pour discuter de la mise en place d’une « commission » pour « étudier et formuler une proposition en vue de payer des réparations aux Africains Américains. Les nouveaux élus démocrates forts du soutien du président Biden seront certainement disposés à tenir cette promesse.
Nous suggérons ici que l’Afrique s’inscrive dans cette perspective et formule une demande de « réparations » au nom et pour le compte de « l’Afrique Monde » (Global Africa) selon le concept du panafricaniste tanzanien Ali Mazrui, c’est-à-dire de l’Afrique continentale et de toutes ses diasporas, aussi bien celles issues de la traite négrière que celles crées par les mouvements de migrations hors du continent survenues pendant la période coloniale puis néocoloniale .
Cette demande sera présentée aux Nations Unis à l’adresse non des seuls Etats Unis mais de l’ensemble des Etats européens. L’histoire du mouvement de réparations pour l’esclavage, le colonialisme et le néocolonialisme en Afrique, aux USA et aux Antilles est relativement longue et fournit des indications utiles à cet égard.
Une brève histoire du mouvement de la réparation pour l’esclavage, le colonialisme et le néocolonialisme
L’idée de réparations à l’endroit des Africains-Américains et autres Afro-descendants et des Etats Africains pour l’esclavage, la colonisation et le néocolonialisme est ancienne. Elle a été formulée aux Etats-Unis dès le lendemain de la Proclamation de l’Emancipation des esclaves, avec l’engagement du gouvernement américain d’alors, jamais réalisée, de concéder à chaque famille d’esclave libre « 40 acres de terre et une mule ».
En Afrique, elle a été mise sur la table de l’Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A) dès 1991 et a fait l’objet de la « résolution 1339 » qui a été approuvée par le Conseil des ministres tenue du 27 mai au 1 juin 1991. Puis à l’issue d’une réunion tenue à Abuja le 28 juin 1992, l’OUA a mis en place un « Groupe d’Eminentes Personnalités » présidée par le milliardaire et homme politique nigérian chief M.K.O Abiola avec pour mission de mettre en œuvre le projet de réparations convenu.
Notons que le Groupe d’Eminentes Personnalités comprenait l’historien nigerian J.F.Ade Ajayi, le Professeur Samir Amin, le Congresman Africain-américain Ron Dellums, le Professeur Joseph Ki-Zerbo, Graca Machel, Miriam Makeba, le Professeur Ali Mazrui, l’ancien président du Cap Vert Aristides Perreira, Amadou Mactar Mbow, l’ancien ministre des Affaires étrangères du Ghana sous Kwame Nkrumah, Alex Quaison Sackey et le diplomate jamaïcain Dudley Thompson.
C’est à l’initiative de ce « Groupe d’Eminentes Personnalités » que se tint la première conférence panafricaine sur les « dédommagements pour les descendant-e-s des victimes de la mise en esclavage des Africains, la colonisation et le néocolonialisme », organisée du 27 au 29 avril 1993 à Abuja au Nigeria. La Déclaration de cette conférence indiquait que les pays qui se sont livrés à l’esclavage puis au colonialisme et au néocolonialisme avaient contracté une « dette morale » et une « dette à payer ». Elle demandait aussi le retour des « effets volés, biens culturels et autres trésors pillés ». Elle indiquait que les réparations pouvaient prendre la forme de « transferts financiers » et d’annulations de dettes et devaient attribuer à l’Afrique une meilleure représentation dans les organes de décision des organisations internationales en particulier un siège au Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Mais la « première conférence panafricaine » eut finalement peu de résultats. Et ce n’est qu’en 1999 que la demande de « réparations » de l’Afrique et des diasporas africaines pour l’esclavage, le colonialisme et le néocolonialisme fut relancée par la Conférence de la Commission Vérité (Truth Commission Conference) qui s’est réunie à Accra, avec des délégués de 9 états africains, des Etats-Unis, des Antilles et de la Grande Bretagne.
Cette Conférence conclura que « la mise en esclavage des Africains pendant 400 ans et la colonisation de l’Afrique sont à l’origine de tous les problèmes de l’Afrique d’aujourd’hui » et que l’Afrique devrait recevoir une compensation financière estimée à 77 000 milliards de dollars US.
Cet argument et ce montant seront repris par Mouammar Qadhafi en sa qualité de président de l’Union Africaine, le 23 septembre 2009 à la tribune de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Il demande alors que la colonisation soit déclarée crime contre l’humanité.
Auparavant la « Conférence mondiale contre le racisme » organisée par l’ONU à Durban (Afrique du Sud, 31 Aout au 7 septembre 2001), a abordé la question des « réparations » mais n’a pu adopter de résolution contraignante du fait de l’opposition de certains Etats dont le Sénégal, par la voix de son président Abdoulaye Wade. Mais la Conférence a tout de même reconnu aux peuples « le droit de réclamer des réparations ».
Il y a eu aussi la loi française du 21 mai 2001 de la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité dite loi Taubira, défendue par Christiane Taubira députée française de Guyane.
Reprendre le mouvement et aller plus loin
Les différentes initiatives que le mouvement en faveur des «réparations» ont mises en œuvre de 1991 à 2009 sont riches d’enseignements pour fonder l’initiative pour le compte de l’Afrique Monde que nous préconisons ici.
L’Union Africaine sur la base d’une résolution pertinente pourrait mettre en place un nouveau « Groupe d’Eminentes Personnalités » qui à l’image de celui de 1992 intégrerait des représentants patentés de la Diaspora africaine américaine (tels le Congressional Black Caucus et le Black Lives Matter) et un plus grand nombre encore de représentants des autres diasporas (des Antilles « françaises » et « britanniques », d’Amérique du Sud, et de toutes les communautés Afropeans notamment.
La mission de ce Groupe sera d’organiser une seconde conférence panafricaine sur les « dédommagements pour les descendant-e-s des victimes de la mise en esclavage des Africains, la colonisation et le néocolonialisme » afin de formuler un texte pour le compte de l’Union Africaine qui l’adoptera formellement avant de le présenter aux Nations Unies.
Le texte s’appuiera sur les conclusions et recommandations de la première conférence, sur les observations de la Truth Commission d’Accra, sur les arguments présentés par le président Qadhafi à la tribune de l’Assemblée Générale des Nations Unies le 23 septembre 2009 ainsi que sur la reconnaissance de la « Conférence mondiale contre le racisme » de l’ONU de Durban du « droit des peuples de « réclamer des réparations ». Il réitèrera solennellement l’appartenance à l’Afrique des diasporas africaines, aussi bien celles établies pendant « la période d’avant la traite négrière, la période de la traite négrière et la période post-traite négrière ou la période de la migration moderne » et leur constitution en 6eme région de l’Afrique, ainsi qu’établi par la résolution de l’Union Africaine de 2003. Il intégrera éventuellement les résolutions que le Congrès des USA aura prises concernant les réparations aux Africains Américains.
L’importance des réparations
De même que les réparations allemandes à l’Etat d’Israël pour la Seconde Guerre Mondiale ont été garanties par la communauté internationale (en fait les vainqueurs de la deuxième guerre mondiale : les USA, la Grande Bretagne, l’Union Soviétique et la France), de même les Nations Unies imposeront et garantiront les réparations pour l’esclavage, le colonialisme et le néocolonialisme aux USA, à la France, à la Grande Bretagne et à l’ensemble des Etats européens concernés.
Outre la compensation morale que les réparations apporteront aux millions d’Africains et d’Afro-descendants à travers le monde, elles permettront de faire des investissements déterminants en Afrique et dans les différentes communautés africaines à travers le monde.
Les réparations allemandes qui se sont chiffrées à 3 milliards de marks (de 1952) pour la seule partie qui est allée directement à Israël, auront permis de « bâtir 1300 industries, 36 usines.. d’apporter un tiers du financement pour le système électrique du pays, près de la moitié de l’investissement requis pour les Chemins de Fer d’Israël etc.» et d’absorber des centaines de milliers d’immigrants venus d’Europe, de l’Afrique du Nord et d’Asie. On voit dès lors comment les réparations pourraient impulser le développement de l’Afrique.
Mais est-il possible d’obtenir effectivement cette « réparation » ?
Cela ne se fera assurément pas sans une lutte politique déterminée. Tout dépendra de la détermination des chefs d’état africains à mener le combat au niveau des Nations Unies à travers l’Union Africaine. Ils doivent se convaincre que c’est là le seul combat qui vaille et que l’annulation de la dette et la mise en place d’un Plan Marshall pour l’Afrique ne sont que des leurres.
C’est surtout et d’abord la société civile africaine qui doit se convaincre de l’importance et de l’urgence du combat et le porter pour que les chefs d’état et de gouvernement s’en saisissent.