Deux choses me semblent fondamentales dans l’évolution d’une société démocratique : la liberté d’expression et la possibilité de choisir. Il me semble aussi que c’est autour de ces deux pôles que les membres d’une même société peuvent tisser des rapports sociaux de type civilisés et modernes. Ce principe très fort chez moi me dicte le refus catégorique de la pensée unidirectionnelle, dirigée et unique quelle qu’en soit la source. La censure intellectuelle me rebute et me rebelle. C’est dans cet état d’esprit que je m’engage à livrer ici le fruit de mon analyse de la décision de Idrissa Seck de s’impliquer dans la gouvernance du pays sous la présidence du Macky Sall. Malgré l’immense vague d’indignation et les critiques qui frisent parfois une atteinte à la dignité et à la respectabilité de sa personne. Notre sérénité de chercheur et l’intérêt scientifique que nous avons toujours portés sur les actes et les paroles de l’homme (nous avons déjà publié sur lui un article scientifique) nous incitent à prendre notre clavier.
L’analyse de la situation géopolitique sous régionale et du contexte à la fois politique et économique national ont fait surgir des contraintes extrêmement fortes laissant peu d’espace et de temps de manœuvre au régime du Président Macky Sall. Ces contraintes contextuelles internes comme externes ont confondu toutes les roues sur lesquelles ce dernier a commencé à dérouler avec des succès d’ailleurs les différents programmes du Plan Sénégal émergent (Pse). La confusion et la complexité de la gestion de l’Etat nées de ces contraintes ont dicté des changements de comportements aux acteurs politiques et à tous les citoyens.
Contraintes internes nées du contexte pré et post électoral au Sénégal (2014-2019)
D’abord, commençons par les contraintes contextuelles internes ! Pour les comprendre, il faut partir de 2014 et aller jusqu’en 2019. Il y a eu beaucoup de malentendus dans cette période marquée par différentes consultations électorales. Aux élections locales de 2014, le régime de Macky qui venait tout juste de se mettre en place a eu à enregistrer dans la majorité des grandes villes des défaites retentissantes qui ont sonné comme un désaveu des populations urbaines. Il lui fallait très vite trouver des stratégies de remédiation. C’est ainsi qu’il y a eu le Référendum de 2016 avec le renforcement de la limitation des mandats avec la clause d’interdiction de plus de deux mandats successifs. Ce Référendum a créé la première grande fracture entre l’opposition et le régime au pouvoir avec la naissance de deux camps : celui des oui et celui des non. Cette période a coïncidé avec l’emprisonnement de Karim Wade avec tous ses imbroglios politico-juridiques qui ont fini par développer de l’empathie chez les Sénégalais en faveur de l’inculpé. Ensuite, il y a eu l’affaire Khalifa Sall qui est perçue par beaucoup d’observateurs comme l’arme «non conventionnelle» utilisée par le camp présidentiel pour éliminer un potentiel et redoutable adversaire ; cette arme «non conventionnelle» a été combinée à une stratégie postélectorale non moins efficace, le parrainage pour une possible candidature à l’élection présidentielle de 2019. Un tollé général et beaucoup de contestations de la part des candidats recalés et d’une bonne partie de la population ont redonné à l’opposition sénégalaise l’opportunité de resserrer ses rangs pour barrer la route au régime du Président Macky Sall. Il lui a fallu lui-même monter au créneau en sortant les grands moyens. Les élections de 2019 se sont ainsi déroulées laissant en rade plusieurs candidats à la Présidentielle et plus d’un million de Sénégalais sans carte d’identité. L’opposition y a vu un coup fourré du candidat Macky Sall. Tout cela a conduit à des élections aux résultats contestés par les candidats déclarés perdants qui se sont automatiquement regroupés en collectif pour refuser la victoire de ce dernier. Il s’est alors installé dans le pays une vive tension politique qui aurait pu mener droit à une crise sociale.
Contraintes contextuelles
externes : débat autour du troisième mandat et la
pandémie à Covid-19
Cette situation politique postélectorale a beaucoup retardé, à mon avis, la reprise de la réalisation des programmes et chantiers du Président réélu. Ensuite, comme si un malheur ne vient jamais seul, des contraintes contextuelles externes sont venues raviver cette crise : le débat sur le troisième mandat et la bourrasque de la pandémie à coronavirus de fin 2019.
Le débat sur le troisième mandat est parti de certains pays qui nous entourent où le processus devant aboutir à une troisième candidature des Présidents en exercice avait déjà été enclenché (la Guinée, la Côte d’Ivoire), créant là-bas une crise sociopolitique qui avait commencé à compter ses morts. Les acteurs politiques sénégalais par ricochet voulaient que le débat soit clarifié dès maintenant dans notre pays, malgré le veto posé par le chef de file du Benno bokk yaakaar. Ce dernier ne voulait plus perdre du temps dans l’application des solutions aux problèmes des Sénégalais telles qu’il les avait promises dans son programme de campagne. Cet interdit a fait beaucoup de victimes politiques dans son propre camp où la tension et la suspicion entre camarades de même parti ont atteint leur paroxysme. Les rapports difficiles qui se sont installés entre ses propres collaborateurs ont fini de gripper sensiblement la machine étatique. Il devint ainsi impératif pour le chef de l’Etat de changer d’équipe gouvernementale.
Et c’est à ce moment précis que la Covid-19 est venue dévaster tous ses plans. Telle une bombe à multiples fragmentations, elle a mis à genou tous les secteurs de l’économie nationale. On n’a pas besoin de démontrer qu’il n’y avait plus d’économie pendant au moins huit mois de confinement et de mesures barrières entre acteurs de tous les secteurs.
A la crise sociopolitique née des événements pré et postélectoraux s’est ajoutée une crise économique d’une profondeur sans précédent qui a fait sombrer notre pays dans une décroissance vertigineuse pour ne pas dire dans une décadence qui peut être fatale aux populations déjà trop éprouvées, si on n’y prend garde. Tout citoyen bien averti sait pertinemment que ces deux types de crises ne peuvent pas continuer à coexister et qu’il faut rapidement juguler l’une pour faire face à l’autre.
Faire respirer le système politique
Ces contraintes externes ont rendu plus complexe la gestion de l’Etat. La résolution de la crise politique afin de rassembler les Sénégalais comme un mur face à la crise économique était devenue une question nationale très sérieuse.
Le dialogue national et le choix sacrificiel du président Idrissa Seck
Par conséquent aller à un dialogue politique était obligatoire et exigeait de tout patriote un esprit de dépassement. Une conception de la politique qui veuille qu’il y ait une cloison étanche entre les partisans de pouvoir et ceux de l’opposition et que cette ligne de démarcation ne bouge jamais ne contribue pas à la perpétuation de la stabilité nationale. Tous les pays où ces types de rapports politiques ont sévi sans issue ont connu une guerre civile et un coup d’Etat. L’exception sénégalaise s’explique par le fait que la ligne de démarcation entre camps politiques opposés a toujours bougé comme une soupape de sécurité. Interrogeons notre histoire depuis avant l’indépendance, nous constaterons que des oppositions plus radicales que celles d’aujourd’hui ont toujours rejoint le pouvoir à de pareils moments de crise, entraînant une recomposition de l’espace politique, permettant ainsi une respiration du système sociopolitique.
En acceptant la main tendue, Idrissa a fait bouger la ligne de démarcation et a permis une reconfiguration utile à la solution de la crise politique. Agissant ainsi, il a impulsé de nouvelles dynamiques qui exigent de la classe politique des efforts supplémentaires en réflexion et en stratégies. Le système en devient plus animé et plus revigoré pour le bien du pays. En plus, d’autres perspectives sont ouvertes qui inspirent de l’espoir à ceux qui aspirent à réaliser un rêve politique. Les ardeurs partisanes et la tension politique sont bien calmées.
Pour cela, nous devons un grand merci au président Idrissa Seck ; lui qui a sacrifié ses ambitions et sa position privilégiée de second aux suffrages universels nationaux, lui qui pouvait aller ramasser avec aisance les fruits de cette position légitime pour aller se vautrer dans un fauteuil de chef de l’opposition avec autant ou plus d’avantages pécuniaires et un budget plus élevé que celui du Cese. A mon humble avis, la vérité vraie qui doit être dite est de reconnaître que Idrissa est un homme pétri de valeurs. La meilleure des qualités qui est la source de toutes les valeurs de bonté, de générosité, de droiture, de courage, etc. est l’humilité. L’humilité seule peut nous permettre de nous remettre en cause et de tenir compte de notre état d’être imparfait pour corriger et remettre en cause nos décisions déjà prises face à la dure réalité de la vie ici-bas. Quand on est humble, on peut changer de chemin lorsqu’on se rend compte que l’on n’est pas sur le bon.
Idrissa, un vrai patriote, un homme politique humble et un pur Sénégalais.
Cet homme a enduré des situations de privation, de dénigrement et de traque que nul autre citoyen sénégalais n’a connu depuis Lamine Guèye jusqu’à lui, en passant par Senghor, Mamadou Dia et plus récemment par les figures emblématiques de la gauche sénégalaise au temps des emprisonnements politiques. Mais il a toujours pris sur lui d’aller retrouver ses bourreaux ou détracteurs par pur patriotisme, «kersa», «am kilifa» et «bëgg jàmm», cherchant toujours l’apaisement et la sérénité dans notre pays au prix d’être traité par des moins valeureux que lui de symbole de la tortuosité et de manquement à la parole donnée.
Depuis que le Président Abdoulaye Wade l’a défenestré, il a toujours bien tenu son rang dans la hiérarchie de la légitimité politique décernée par les Sénégalais qui vont chaque fois aux urnes. Par conséquent, si certains disent que les Sénégalais lui ont tourné le dos à cause de sa tortuosité et de son «wax-waxeet», j’ai envie de leur demander «man mii Jaañ» de quels Sénégalais parlent-ils ? De ceux qui s’acquittent de leur devoir civique et retournent tranquillement chez eux ou de soi-disant experts en science politique ou autres «journaleux» qui trouvent en ses actes une belle marchandise à revendre ?
En tout cas, Idrissa Seck vient de dessiner de main de maître un nouveau contexte politique où ceux qui veulent gouverner continueront à gouverner et ceux qui veulent s’opposer se mettront à s’opposer. C’est aussi simple que cela et ainsi va la vie, la belle vie politique dans notre chère patrie le Sénégal.
Pr Mbacké DIAGNE
Ucad