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La RanÇon De La PassivitÉ

Entre le 26 et le 28 novembre 2020, la gendarmerie a démantelé ce qu’elle a appelé un « réseau de séquestration », interpellé 43 personnes et recensé 353 victimes dans des centres dits de « redressement » (Mon esprit en divagation me fait plutôt penser à un « enrôlement (de)resocialisant ») situés entre Ouakam, Malika, Guédiawaye et la Zone B pour des faits de « maltraitance, de traite de personnes, de vol de scooters et trafic de chanvre indien. L’homme religieux Cheikh Ahmadou Kara Mbacké, qui se fait appeler le général de Bamba, est le maître d’œuvre de ces centres de redressement destinés, selon ceux qui ont mis en lui leur confiance, à la rééducation et à l’insertion de la « marge ».  Et depuis quelques jours, des images choquantes, montrant une face hideuse de ces centres, sont en train d’être diffusées, suscitant ainsi l’émoi collectif. On se demande comment ces espaces qui attentent à la dignité humaine ont pu exister dans notre pays depuis des années dans l’indifférence totale. Qu’est-ce qui peut expliquer que des parents s’abandonnent à un tel désespoir jusqu’à y envoyer leur progéniture ? L’État (au-delà des régimes) était-il au courant ? Qu’il le soit ou pas (et ce serait grave), sa responsabilité est engagée. Ce énième épisode regrettable de notre aventure collective vient une fois de plus montrer que nous nous perdons dans l’abîme de la parfaite déconfiture du tissu social et des institutions pourvoyeuses de sens (le religieux et l’autorité coutumière pour ce qu’ils représentent et le politique pour la noblesse qu’il s’échine ostensiblement à conférer à son ambition).

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La déstructuration de l’espace familial, en tant que lieu de socialisation et de formatage des esprits, a ceci de dramatique qu’elle reconfigure les rapports sociaux, met à nu la défaillance et l’impréparation des pouvoirs publics et laisse entrouvertes des brèches dans lesquelles s’engouffrent le gourou, le porteur de la belle promesse et même le quidam de l’abrutissant « penc » virtuel qui produit des « interférences » dans l’éducation des enfants… L’État n’a pas pleinement joué son rôle pour au moins deux raisons. Il a créé un « vide » en ne donnant pas une orientation claire et des moyens conséquents au secteur de l’éducation spécialisée. Baba Lyssa Ndiaye, secrétaire général du Syndicat national des travailleurs de l’éducation spécialisée du ministère de la Justice, faisait remarquer, dans l’émission « Infos du matin » de la Tfm du 8 décembre 2020, que le Sénégal est à un éducateur pour plus de 40 enfants alors que les normes internationales en préconisent un pour sept enfants. On est bien loin des standards.

Ensuite, l’État a laissé libre cours aux manœuvres périlleuses de ceux que l’anthropologue Gilles Holder a appelés les « nouveaux acteurs religieux qui s’adaptent à un contexte social particulier et démontent les classifications habituelles entre soufisme, Islam politique et réformisme » (L’Islam, nouvel espace public en Afrique). Ils s’égarent dans un mysticisme farfelu favorisé par la centrifugation de l’« Islam noir » théorisé par l’ethnographie coloniale et réinterrogé par l’orientaliste français Vincent Monteil. Les « masses » s’illusionnent ainsi dans un Islam confrérique métamorphosé qui perd ses figures charismatiques et laisse le champ libre à des forces centrifuges porteuses d’un discours attrayant face également à la déliquescence des ressorts sociaux et un État postcolonial en perpétuelle quête de légitimité. L’émiettement du « système » de référence religieuse favorise l’audibilité des égos délirants que l’État, auquel ils se plaisent très souvent à se substituer, doit rappeler à l’ordre de temps en temps.

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La liberté de culte, si elle n’est pas encadrée, crée des univers de permissivité. C’est ce qui a d’ailleurs favorisé, en grande partie, l’émergence, au Sénégal, des églises évangéliques. L’église universelle, souvent dénoncée par Mgr Benjamin Ndiaye, « part à la conquête de la société sénégalaise et des individus pour les transformer selon une nouvelle conception religieuse. Elle attire essentiellement grâce à sa théologie de la prospérité et à ses promesses de guérison » (Gilles Holder). Ce sont des milliers de Sénégalais que l’église universelle entretient dans l’illusion en reproduisant leur environnement psychosocial agrémenté d’un discours mystificateur et transcendantal, en profitant de la désespérance ambiante. Au vu et au su de tout le monde. Comme, par ailleurs, avec ces centres dits de redressement.







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