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Pour Une Histoire Gagnante-gagnante (3/3)

Du George Floyd français à la Diversitas Publica

Le 20 août, je débutais une story en trois volets sur le thème de l’histoire et de l’affaire du déboulonnement des statues colonialistes sur fond du meurtre de George Floyd. J’appelais à l’émergence d’une nouvelle mémoire collective franco-africaine, réécrite par l’Afrique et sa Diaspora. Aujourd’hui, intéressons-nous à la France.

Ça y est, nous avons notre affaire George Floyd ! Si l’affaire Adama Traoré et bien d’autres servent de catalyseur aux manifestations antiracistes contemporaines, le lynchage à Paris de Michel Zecler, producteur martiniquais de musique, par trois policiers blancs, a été extraordinairement filmé, tout comme celui de George Floyd. S’il n’y a pas eu de mort en France, les images d’une rare violence à caractère raciste ont néanmoins provoqué un électrochoc auprès de l’opinion publique française, semblable à celui des Etats-Unis d’Amérique.

A cette occasion, j’avais qualifié la République française de « communautarisante », du fait d’une discrimination avérée de sa population d’origine immigrée, d’une républicanisation rampante des idées de Marine Le Pen (y compris au sein des administrations, voire au plus haut sommet de l’Etat puisque Emmanuel Macron serait secrètement sensible à la thèse du remplacement et à la préservation des racines catholiques par la laïcité) et d’une américanisation partielle mais réelle de la violence policière sur la population noire. C’est le paradoxe jacobin ou parisianisme : par notre légendaire universalisme, tout est fait pour nous différencier des Etats-Unis d’Amérique qualifiés à l’inverse de communautaristes, et cependant tout nous en rapprocherait ! Notre contre-modèle serait devenu notre nouvelle référence du fait de l’Etat.

La loi sur les séparatismes (vocable cyniquement détourné par l’Etat) vise aussi les associations de défense des noirs. Cette loi controversée, d’ailleurs, même si elle s’est focalisée sur le radicalisme religieux après les attentats, est venue couper l’herbe sous le pied des manifestations populaires d’Assa Traoré faisant suite au mouvement américain « Black Lives Matter ». L’Elysée a tout fait pour empêcher son essor sur le sol français. Il faut dire que l’Etat français voit d’un mauvais œil la radicalisation des organisations anti-racistes qu’il ne maîtrise pas contrairement dans le passé avec SOS Racisme par François Mitterrand. De nouvelles générations d’activistes apparaissent, sans doute plus déterminées, plus spontanées, plus indépendantes politiquement parlant, plus catégorisées certes autour du genre et de la race, et donc moins universalistes au sens français du terme, avec de nouveaux moyens de combat, et le tout dans une aspiration américaine des luttes contre le racisme anti-noir et du mouvement MeToo.

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Ce transfert sournois de culpabilité d’américanisation d’une partie de la société civile française, trouve un écho favorable auprès des souverainistes qu’ils soient de droite ou de gauche, et auprès d’un anti-américanisme primaire de nombreux français. Même l’Institut afro-européen que je dirige, est accusé de trop s’inspirer du concept afro-américain alors qu’il n’en est rien : les deux foyers diasporiques ont leur propre histoire et propre vécu. La machine à étiquetage discréditant les nouveaux activistes (la famille délinquante Traoré ou le passé judiciaire de notre George Floyd) et divisant les français entre eux, est en marche pour d’une part sauvegarder un modèle laïque et républicain à bout de souffle inadapté à la nouvelle démographie française et au monde d’aujourd’hui, et pour d’autre part préserver le pouvoir dominant d’une minorité d’hommes blancs.

Je voudrais m’attarder sur la réponse d’un syndicat de policiers au président français : « Il semble beaucoup plus simple d’accuser les policiers que de reprocher aux politiques de cinquante dernières années d’avoir cloîtré des populations dans les banlieues, loin, pour ne pas les voir, et ce sans mixité ». En effet, les fonctionnaires servent un Etat français qui pratique depuis des décennies le communautarisme à outrance. Dans ce contexte, la loi sur les séparatismes est une triste parodie de la République : je combats ce que j’ai moi-même consacré à travers mes politiques ségrégationnistes territoriales. L’année dernière, je me suis rendu à deux réunions de parents d’élèves dans un collège de banlieue francilienne. J’étais le seul parent d’ascendance européenne. Et l’ironie de la situation voulait que l’équipe dirigeante et professorale de ce collège ne fût composée que de seuls blancs ! J’ai secoué ma tête, je ne rêvais pas, j’étais bien en 2020, et non à l’école des otages de Louis Faidherbe ! Dans ce même collège, une enfant est exclue pour le port du masque inadéquat, et une autre est excusée malgré une injure raciste autour du mot singe.

Comment de surcroît ne pas s’interroger sur la caste des élites de l’Etat français ! Le Préfet de Police de Paris, Didier Lallemand, vient d’accorder un soutien financier aux policiers mis en examen dans notre affaire George Floyd. Les bras m’en tombent ! Ce même préfet n’a pas été démis de ses fonctions en dépit d’une responsabilité hiérarchique certaine dans les violences policières à caractère raciste. La République française, depuis les années 60, est malade de ses énarques devenus hauts-fonctionnaires et politiciens : ils forment un réseau complexe et difficile à dénoyauter créant un vrai séparatisme entre la France d’en haut et la France d’en bas d’où l’émergence des gilets jaunes. La République des idéologies nobles, des combats pour l’honneur, nous l’avons perdue il y a belle lurette. C’est la République des acquis de barons politiciens, donneurs de leçons à l’endroit des « racailles » de la banlieue, et qui pourtant sont un à un condamnés pour crimes de cols blancs, à l’exemple de Nicolas Sarkozy et consorts.

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Je ne pense pas que le français soit plus raciste qu’un autre peuple. Le principal problème, c’est qu’après les indépendances, la France n’a pas procédé à une décolonisation des esprits. Cette action est imputable à l’Etat, en particulier à travers son système éducatif qui a manqué le virage. Car oui nous sommes encore les héritiers d’une mentalité où les préjugés perdurent sur les anciens colonisés, aujourd’hui devenus (pour une partie) des minorités en France, et où le sentiment d’une nation-empire colonial fait encore fantasmer dans le cercle des hommes du pouvoir. Dès qu’un président est élu, il devient le Champollion de l’Afrique subsaharienne : quelques mois après son investiture, il en sait déjà plus que les africanistes et parfois les Africains eux-mêmes.

Il y a quelques semaines, au moment des attentats, un professeur d’histoire et de géographie se plaignait sur une radio de recueillir les contestations de parents d’élèves d’origine algérienne au sujet de son récit de la guerre d’Algérie. C’est très révélateur de ce que les américains désignent sous le nom de « Global History », c’est-à-dire une remise en cause de l’histoire du dominant, pour s’intéresser à la pensée des autres, celle des anciens colonisés devenus pour certains minorités chez l’ancien colonisateur. La confrontation des visions de l’histoire est alors inéluctable « pour forger une mosaïque de savoirs, soucieux de coller au réel du passé ». Le récit national unilatéraliste de ce professeur est en effet évalué aux réalités des autres pensées, et surtout de ceux qui ont été opprimés et qui n’avaient pas le droit à la parole. Nous entrons en France dans une ère où les minorités nous imposent de revoir et réévaluer notre histoire et les nombreux ratés de notre universalisme. Ça fait mal !

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Les minorités ne nous lâcheront plus ! Nafissatou Diallo, en Amérique, a montré la voie à de nombreuses femmes contre le racisme sexuel et social de l’homme blanc puissant. Les footballeurs d’origine africaine, aujourd’hui, s’unissent pour dire non au racisme ordinaire. Les minorités nous mettent aussi devant nos contradictions et notre brouillonisme politique et juridique. Lors des caricatures de Mahomet, la liberté d’expression française a été perçue comme une usine à gaz et injuste pour les minorités religieuses. L’entre-soi gaulois, résistant soi-disant au monde entier, est inadéquat à notre prétention de rayonnement culturel universel.

Pour faire un bon match de football, il faut être deux ; pour établir une bonne relation entre deux pays ou deux continents, là-aussi il convient d’être deux. L’Afrique doit se prendre en main pour imposer une relation plus gagnante-gagnante au reste du monde et l’inspirer comme naguère. La France, de son côté, doit s’efforcer de changer pour engendrer une mosaïque mondiale sur son territoire (son empire colonial et néocolonial étant derrière nous) et sur la base de la diversité de sa population (issue de son histoire coloniale). C’est ce que j’ai nommé l’ère de la Diversitas Publica. La République (Res Publica : chose publique) s’est imposée en France après la Révolution de 1789 ; le XXIème siècle, lui, consacrerait le jaillissement dans le champ public de la diversité ethnique, culturelle et basée sur le genre.

Il ne serait nullement question de penser en blanc et en noir, mais en termes de métissage. C’est ce qu’avait souligné Léopold Sédar Senghor lorsqu’il avait défini ses œuvres d’afro-européennes car métissées. Il ne serait nullement question de consacrer la Dictatura Diversa où certaines minorités seraient sur-représentées (le risque aux Etats-Unis) et ramèneraient tout à elles. Marchons plutôt sur les pas d’Edouard Glissant ; il est venu le temps de créer une nouvelle entité culturelle française grâce à ses minorités et d’être l’étendard de ce « tout-monde » à l’échelle de la France. C’est à cette condition que la France pourrait envisager une nouvelle influence mondiale, en s’associant avec d’autres pays-modèles du vivre ensemble, à l’exemple du Sénégal.

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