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Le Lamento Des Femmes

La récente pétition contre la réhabilitation médiatique de Cheikh Yérim Seck a soulevé des réquisitoires sévères contre les féministes. L’ancien journaliste de Jeune Afrique n’a même pas eu à s’expliquer. Il a pu compter sur des défenseurs zélés, de tous horizons. La plupart ont rappelé son droit à la dignité. « Il a payé sa dette, il faut maintenant lui lâcher la bride », réclament ses avocats. On peut bien entendre cet argument, qui n’est pas insensé. Qui est celle de l’autorité de la chose jugée. En effet, dans un État de droit, si la Justice a tranché en appliquant régulièrement les lois en vigueur, après un procès équitable, il faut s’incliner. C’est un principe qui protège contre l’arbitraire. Cheikh Yérim Seck a été condamné à trois ans de prison ferme, puis à deux ans en appel, par un tribunal impartial. Il a été déclaré coupable des faits de viol. Et a purgé sa peine.

Le respect de la dignité humaine doit demeurer une vigilance invincible, en République. Et nous pensons que Cheikh Yérim Seck, comme tous les autres citoyens, qui ont eu maille à partir avec la Justice, doivent pouvoir se réinsérer dans la société. Ils n’ont pas à être menacés par des mesures ad hoc de sûreté. Dès lors qu’ils ont effectivement purgé leurs peines. Il y a un devoir d’empathie à cultiver, envers tous nos concitoyens. Qui, d’une manière ou d’une autre, ont commis des infractions délictuelles ou criminelles. Nous, qui visitons les prisons du Sénégal, savons que des hommes ont commis de pires crimes mais restent humains, entièrement. Ils savent leurs fautes indélébiles. Dans le purgatoire de leurs consciences et dans les geôles lugubres où ils sont enfermés, s’élèvent des remords et beaucoup d’amour. Ils supportent leurs souffrances, car ils savent que rien ne peut réparer vraiment les crimes odieux qu’ils ont commis.

Comme tous les anciens détenus, Cheikh Yérim Seck a le droit de vivre, libre et de se reconstruire. Nous y souscrivons. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Derrière un délit ou un crime, il y a toujours une victime. Qui mérite aussi de la compassion. Et là encore, il y a lieu de faire une hiérarchie entre les infractions. La consommation de drogue, le manquement à une obligation de prudence, le vol simple, ne sont pas de la même intensité que l’homicide volontaire et le viol. La dangerosité d’un homme ou d’une femme, qui tue ou qui viole, est très élevée. Dans le meurtre et dans le viol, il y a un besoin délibéré d’arracher la force vitale de sa victime. Dans le premier cas, en ôtant sa vie. Dans le second, en marquant d’une humiliation impérissable la personne violée. Celle-ci est condamnée à souffrir, éternellement. Le métier de violeur, comme celui d’assassin, est un enlèvement. Il arrache l’âme.

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Cheikh Yérim Seck n’a pas commis un petit larcin. Et son geste criminel n’est pas celui des brigands romantiques qui, par les voies de la violence, arrachent aux riches pour donner aux pauvres. Auquel cas on aurait pu lui pardonner, et éprouver de l’admiration. Cheikh Yérim Seck est un violeur. Et il a une victime. Qui continue d’endurer l’affliction éternelle d’un corps souillé par un prédateur sexuel. C’est ce que rappelle la pétition contre sa réhabilitation médiatique. Il y a une forme de défiance, d’invincibilité du bourreau, d’immoralité, d’impudeur abject, de manque de vergogne, à chaque fois que Cheikh Yérim Seck apparaît à la télévision. Cheikh Yérim Seck a violé une jeune femme, faible et sans défense. Si la Justice a dit le droit et si Cheikh Yérim Seck a purgé sa peine, il n’en demeure pas moins qu’il importune sa victime. Ainsi que toutes les victimes de viols. Cheikh Yerim Seck insulte toutes les consciences justes, chaque fois qu’il se présente sur les écrans.

Bigoterie aiguë. Ce n’est que par amoralité, et parce que Cheikh Yérim Seck bénéficie d’un réseau politique, médiatique et économique solide qu’il peut se permettre de narguer sa victime sur les chaînes de télévision. C’est très simple. Qui voudrait voir le violeur de sa mère, de sa sœur, ou de sa femme, se pavaner, en toute indiscrétion, dans les médias ? La pétition contre Cheikh Yerim Seck rappelle le devoir d’empathie et de respect envers les victimes de viol. Mais, effet boomerang, les auteurs de la pétition ont mobilisé, contre eux, toute l’infrastructure du patriarcat. Il leur est reproché d’être intolérants, d’être les promoteurs de la « cancel culture ». De mener une fatwa. Et, comme les pétitionnaires sont des femmes, des féministes majoritairement, les insultes et les quolibets classiques sont revenus : « hystériques », « occidentalisées ». Florilèges. Il y a cet ancien ministre de la Culture, qui est allé jusqu’à faire des insinuations très graves sur sa page Facebook. « Comment qualifier l’acte d’une femme qui rejoint, librement, un homme dans une chambre d’hôtel ? Et ce qui s’en suit ! », demande-t-il. Terribles propos. Comme des crachats jetés à la figure des victimes de viol. Des internautes excédés par ces écrits catastrophiques ont protesté. M. Amadou Tidiane Wone a essayé d’évacuer le débat, en fouettant les passions vulgaires. Dans sa tentative de justification, M. Wone s’attaque aux « gourous autoproclamés », qui seraient promoteurs de la « théorie du genre ». Donc la stratégie, éculée, de l’ingérence occidentale…

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Il y a ce journaliste du quotidien Le Soleil. Qui, dans un billet se voulant corrosif, mais sans esprit ni profondeur, s’attaque aux féministes et aux hommes qui défendent les droits des femmes. Qui pense-t-il offenser en traitant les hommes qui ont signé la pétition de « góoru mbootay » ? Un autre texte, paru dans Le Soleil, cherche, dans le même mouvement, à déconstruire les arguments des signataires de la pétition. L’auteur, plus fin, les accuse d’être des « adeptes de la religion du féminisme ». Pour lui, les féministes ne doivent pas jouer aux « gardiennes de la morale ». Ou à des « redresseurs de tort ». Car, estime-t-il, nous sommes tous des pécheurs. Il s’offusque de voir les pétitionnaires employer, plusieurs fois, le mot « mâle » pour désigner les hommes. Il pense aussi que la pétition est troublante, car elle arrive six ans après la sortie de prison de Cheikh Yérim Seck. Et ce dernier, depuis lors, apparaît régulièrement à la télévision, sans que personne n’y trouve à redire. Mais l’auteur oublie qu’il y a une charge symbolique dans la réhabilitation médiatique de Cheikh Yérim Seck.

En vérité, toutes ces réactions épidermiques, les insultes adressées aux féministes du Sénégal, disent une chose. Le désir d’invisibilisation des femmes, de leurs paroles, de leur exercice de l’indignation. De leurs saines colères. De leurs luttes nécessaires. Les hommes, au Sénégal, ne sont pas éduqués pour respecter les femmes. Ils sont sociabilisés dans la domination de la gent féminine. Et ce sont les élites intellectuelles qui perpétuent cette oppression. De la même manière qu’ils endurent la dictature des mâles blancs. Qui les ont colonisés et qui les soumettent depuis 500 ans. Les sorties outrées des mâles sénégalais, après la pétition des féministes, racontent l’angoisse de la dépossession. La peur qui habite continuellement l’oppresseur. Derrière les défenses zélées de Cheikh Yérim Seck, il y a le sursaut d’une virilité ébranlée par le colon, peu sûre d’elle-même, qui, pour exister s’attaque lâchement aux femmes. C’est le trauma du privilégié. Qui, se sentant blessé dans son orgueil, enclenche une réaction de déni. Pour espérer calmer son angoisse psychique. Les quolibets, les posts et les articles performatifs contre les femmes ne doivent pas dissuader l’avant-garde féministe. Il faut le comprendre comme des mécanismes de la névrose.

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Yeewu yewwi. Il en faut encore, du courage et de la résilience, pour venir à bout des structures et des mentalités patriarcales. Mais le féminisme doit s’insinuer dans le sens commun, et triompher au Sénégal. Car, c’est le seul mouvement qui pourra définitivement mettre fin au double joug. De l’homme sénégalais, toujours sous domination néocoloniale, et castré dans ses possibilités de conquérir le vaste monde et d’y avoir pleinement son mot à dire. De la femme sénégalaise, qui doit subir et la misogynie, et les violences conjugales, et les agressions sexuelles, et toutes les injustices sociales. Pour tout cela, le féminisme est une promesse d’émancipation totale. C’est un mouvement révolutionnaire. Le combat des femmes englobe toutes les revendications sociales, politiques et économiques. La régénération des communautés africaines, nous l’avons déjà dit, passe par la reprise du pouvoir par les femmes. Les hommes doivent tendre l’oreille et écouter ces dernières. Car elles rappellent l’absurdité de leurs conditions et revendiquent leurs libertés. Car elles veulent abattre toutes les oppressions. Car elles posent le problème des droits humains, de la dignité du genre humain. Et j’ajoute ceci : se battre contre l’exploitation et les injustices que subissent les femmes est une marque de virilité et de noblesse d’esprit. Dans le féminisme décolonial, dans l’intersectionnalité, dans l’écoféminisme, nous pouvons trouver des ressources contre toutes formes de servitudes. Ainsi qu’une vraie quête spirituelle.

Retrouvez sur SenePlus, « Notes de terrain », la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.

psene@

 







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