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À Qui Profite Le Business De La Migration IrrÉguliÈre ?

Six (6) milliards de dollars américains. C’est le minimum que le business de la migration irrégulière a généré en 2016, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (l’UNODC).

A la suite d’horribles récits de migrants et de scènes tout aussi insupportables, nombreuses sont les questions cherchant à comprendre pourquoi se jeter vers une aventure de migration irrégulière. Nombreuses sont aussi les ‘solutions’ envisagées qui, souvent, ne prennent malheureusement pas le temps de comprendre la nature du ‘business’ de la migration irrégulière.

 L’industrie de la migration (terme plus académique) a créé, et de manière très nébuleuse, des opérations financières qui engendrent beaucoup d’argent et attirent autant de criminels qui en font une activité avec des profits invraisemblables. Comme disent les anglophones : this is big business !

Notre article vous propose une définition du ‘business de la migration irrégulière’ avant de conclure avec des notes sur la gouvernance, non sans faire un inventaire, assez laconique d’ailleurs mais révélateur, de catégories d’acteurs et de facilitateurs de l’industrie de migration irrégulière.

Le business de la migration irrégulière

Pour définir l’industrie de la migration, le sociologue David Spener parle de médiateurs de la relation internationale entre le capital et le travail. Les géographes britanniques John Salt et Jeremy Stein évoquent aussi une entreprise internationale avec une variété d’agents, d’institutions et d’intermédiaires qui encouragent la migration en incitant à migrer, des personnes qui, autrement, n’auraient peut-être pas pu le faire. Castles et Miller quant à eux, recadrent l’industrie de la migration dans leur théorie des systèmes de migration selon laquelle le mouvement migratoire peut être considéré comme le résultat d’une interaction de macro et de micro structures. Selon les études du Dr Doudou Dièye GUEYE dans le cadre du projet ‘Migrating out of Poverty’ (en collaboration avec The University of Sussex en Grande Bretagne), ‘rares sont ceux qui décident seuls de leur projet migratoire et le mènent à terme sans l’implication d’acteurs collectifs ou individuels (réseaux d’amis, famille, communauté villageoise…)’. L’enseignant chercheur au département de sociologie de l’Université Assane Seck de Ziguinchor au Sénégal, ajoute, que pour mieux comprendre la migration irrégulière, il est impératif de se pencher sur les dispositifs de son industrie et d’en identifier les acteurs et institutions à son service.

Les acteurs

Après des entretiens avec plusieurs migrants sur des routes différentes et à la suite de la lecture de rapports d’études, nous remarquons deux types d’acteurs sur le trajet migratoire : le formel (légal) et par comparaison, l’informel (illégal, irrégulier).

Parmi les formels, il y a des agences d’accompagnement et de sensibilisation gérées par des États et des ONG (nationales et internationales). C’est le cas de structures qui ont bénéficié de financement du plan FRONTEX, par exemple, au Sénégal, au Burkina Faso, au Niger, en Libye, au Maroc, aux iles du Cap-Vert. Entre septembre 2017 et aout 2020, ces pays auraient reçu quatre millions d’euros (sur un budget global de FRONTEX qui, de 2015 à nos jours, serait passé de 142 millions d’euros à 333 millions puis à 460 millions d’euros). Avec les quatre millions d’euros, le plan FRONTEX voulait :

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-Encourager une gestion plus efficace des frontières.

-Démanteler les réseaux de criminalité organisée

-Accroître les capacités des pays bénéficiaires à élaborer et à partager des analyses/évaluations des risques stratégiques et opérationnels concernant les flux migratoires réguliers/irréguliers.

Sans arriver à arrêter la migration irrégulière, le Sénégal a mis sur pied, d’une part grâce à cet argent, plusieurs efforts et institutions chargées de la migration. L’évaluation et le suivi professionnel de l’utilisation de cet argent devraient nous aider à comprendre le rôle de ces acteurs de l’État dans la production de la migration.

Le monde de l’informel quant à lui, est plus complexe et très nébuleux.

Parmi les facilitateurs cités par des migrants, nous pouvons identifier certaines catégories.

– Des familles, amis, connaissances et communautés qui aident à la levée de fonds pour financer le voyage.

– Des religieux (‘marabout’ ou ‘serigne’) qui s’occupent de préparations ‘mystiques’ ou d’aider à contourner des lois grâce à leur influence et carnet d’adresse. Des migrants nous disent ne prendre le départ que lorsque le ‘marabout’ estime que « le chemin est clair, après une série de bains nocturnes, des offrandes… ».

– Le ‘coxeur’/rabatteur qui est souvent le ‘recruteur’ en contact avec un passeur capable d’organiser le voyage.

– Le passeur qui contrôle des moyens de transport (pirogue, voiture…). Il se charge de couvrir le trajet d’un point A à un point B (avec des chances qu’il abandonne ses clients avant d’arriver à l’endroit convenu, en les menaçant avec une arme à feu…)

– Le prestataire de service pour visa qui travaille dans une représentation diplomatique ou de manière indépendante et privée, homologué par une ambassade ou pas. Des migrants rencontrés en Europe nous ont confié avoir eu des facilités à avoir un visa grâce à des contacts d’une personne influente ou avoir payé une certaine somme à une tierce personne pour avoir leur autorisation de séjour. (D’ailleurs, il serait utile de savoir ce que devient l’argent -non remboursable- de ceux qui postulent pour un visa dans les ambassades en Afrique).

– Les lobbies privés qui investissent du cash et distribuent de ‘petits cadeaux’ pour contrer une législation voulant assouplir des lois de la mobilité humaine.

– Les fabricants et sociétés de moyens de transport (terrestre, maritime et aérien). Nous avons constaté que pour traverser le désert entre le Niger et la Lybie, beaucoup de passeurs conduisaient le même type de pick ups (neufs) d’un constructeur particulier de 4×4 très adaptés aux conditions du terrain. (Nous avons aussi vu dans le désert malien ce même type de véhicules équipés d’armes lourdes très sophistiquées).

– Les forces de sécurité sont aussi nommées par des migrants originaires de l’espace CEDEAO (avec garantie de circulation libre) ; ils parlent beaucoup de ‘checkpoints’ où il faut payer cash, un droit de passage (à ceux qu’ils appellent ‘policiers’).

– Les agents immobiliers (logement, hébergement, accueil, détention et expulsion) sont aussi très actifs dans la migration irrégulière. Au Niger, lors de leur halte avant la Lybie, des migrants ont dû payer un loyer pour dormir dans des ‘ghettos’ où les conditions d’hébergement sont tout simplement inacceptables.

– Des commerçants et des ambulants qui, bien que conscients de vendre leurs produits à des migrants irréguliers qui allaient traverser la méditerranée ou le désert, des commerçants avec boutiques officiels ou des ambulants, ont pu tirer profit de la migration (vendeurs d’eau, de turban, de nourriture, d’habits et lunettes pour traverser le désert, de chaussures, de tentes, de sac à dos, de mauvais gilets de sauvetage, de carburant… sans oublier les faussaires, les contrefacteurs et spécialistes en kidnapping, torture, chantage, travail forcé, exploitation sexuelle …)

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– Les réseaux sociaux et les media ont aussi un rôle important. Des campagnes de sensibilisation contre la migration irrégulière ont raté leur objectif et ont encouragé des candidats au départ en informant sur la logistique du voyage. En écoutant des émissions, des candidats à la migration nous disent avoir pu se renseigner sur les pièges à éviter pendant le trajet…

– Le milieu de la haute finance (banques, sociétés d’assurances, gestionnaires de fonds de retraite…), à l’insu de ses clients, a investi dans la gestion de camps de réfugiés et de migrants,. Imaginez la colère d’un citoyen qui apprend que le profit qui lui est versé par la banque qui gère ses cotisations de retraite, vient de l’utilisation faite de son argent pour financer et développer des camps de migrants !

– Des opérateurs téléphoniques et des agences de transfert d’argent ont eu à servir non seulement à la communication (avec des familles de migrants, des intermédiaires…grâce aux réseaux sociaux) mais aussi à gérer, dépenser et recevoir de l’argent pour des migrants ou en leur nom. D’ailleurs, nombreux sont les migrants qui nous assurent qu’ils ont voyagé du Sénégal au Niger avec un minimum de cash ; leur argent avait été transféré sur des puces de téléphone avant leur départ.

– Des opérateurs et fabricants de technologie (vendeurs d’armes militaires, fabricants de technologie sécuritaire et de surveillance) ont bénéficié d’appels d’offre pour des systèmes de surveillance. Des agences de surveillance de frontières sont même accusées d’un certain degré de participation à des opérations de refoulement (avec la participation directe de navires) et au non-sauvetage de personnes dans des bateaux en détresse, dans le but d’empêcher, illégalement, des migrants d’atteindre l’Union européenne. Plusieurs personnes se disent choquées et crient au scandale, car disent-elles, il y a tellement d’yeux dans le ciel pour observer mais pas assez de bras pour aider des gens en détresse en mer. Comme s’il fallait autant de cameras dans le ciel pour ’regarder des gens se noyer’.

La liste d’acteurs de la migration irrégulière, formels ou pas, de premier plan ou non, ne peut être exhaustive ; à chaque trajet ses spécificités et ses détails. Ce qui est cependant sûr est que l’industrie de la migration permet des bénéfices considérables, aussi bien pour des structures publiques que privées. C’est une industrie que le migrant arrive difficilement à contourner.

La migration, moins une crise qu’une question de gouvernance

L’industrie de la migration irrégulière a donné à certains villages qui se trouvent sur le trajet du migrant, l’occasion de développer une économie de ‘services secondaires’. Celle-ci a fait vivre des communautés entières en créant des emplois et une entrée de cash essentielle pour les villageois. Qui plus est, des guides touristiques, des agents de sécurité et de défense, des personnes qui à un moment étaient engagées dans le combat armé ou le terrorisme… sont devenus des acteurs de la migration irrégulière. Le business de la migration irrégulière a été l’occasion pour des criminels et des compagnies privées, de se faire beaucoup d’argent avec des contrats offerts de manières peu transparentes par des gouvernements peu soucieux du bien-être de leurs populations et du mandat de leadership qui leur a été confié. L’industrie de la migration irrégulière a donné à certains la possibilité de s’enrichir, en toute impunité, en tirant profit de la vulnérabilité de personnes en difficulté.

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Pour INTERPOL, l’industrie de la migration exhibe des sommes d’argent énormes difficiles à localiser, à suivre et à neutraliser. Déjà en Juin 2020, INTERPOL prévenait que malgré des mesures prises pour empêcher ou pour diminuer les déplacements en Afrique, les trafiquants et les migrants étaient toujours en activité.  INTERPOL prédisait même que des routes maritimes allaient être de plus en plus explorées et utilisées. L’agence internationale disait que la demande et les prix montraient des signes d’une possible hausse considérable pendant la pandémie de la covid-19.

Vouloir trouver une solution à la migration irrégulière, sans comprendre la nature du business, nous mène droit vers l’hypocrisie, la complaisance et le sensationnalisme sans empathie d’un ‘activisme’ auto-glorifiant des autorités étatiques africaines. Celles-ci ont abandonné leurs responsabilités au gré de financements d’organisations internationales dont les projets représentent une manne financière importante, au même titre que les rémittences qui, pour une grande part ‘règlent’ des dépenses de familles et de communautés (scolarisation, fêtes, construction de maisons et d’infrastructures…).

L’industrie de la migration irrégulière a généré en 2016 au moins, six (6) milliards de dollars américains. Où est donc passé cet argent ? A moins qu’il n’ait été utilisé pour nous faire croire qu’il y a une crise de la migration, une notion certainement avec des élans paternalistes et une allure insupportable de préjudice et de profilage racial. La migration irrégulière semble plutôt être une question de gouvernance, de gestions de ressources naturelles et de mobilité (humaine). Les migrants interrogés le disent clairement en d’autres termes ; les politiques désastreuses, les élections contestées et téléguidées, la dictature financière de corporations très puissantes et les ressources de pays africains qui terminent leurs courses sur les tables et magasins de luxe d’Europe, ne construisent aucunement les économies africaines, ne créent pas de richesses africaines et sont loin de créer des emplois dignes pour les africains. Et que dire des dirigeants africains qui, en toute complicité avec d’anciennes métropoles coloniales et des dealers d’influence politique, ne savent ni parler ni répondre aux jeunes qui veulent juste une aide pour créer des conditions d’une information qui les aiderait dans leurs aspirations de réussir pour leurs familles, leurs pays. Des jeunes qui veulent découvrir la beauté de ce monde : réussir.

Six (6) milliards de dollars américains : mais ou et donc or ni car ?! This is Big business!

Henri-Pierre Koubaka est journaliste

koubaka@gmail.com







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