J’avais décidé de ne pas intervenir dans ce débat qui soulève les passions irrépressibles de vieux hédonistes libidineux au niveau des réseaux et de certains médias de masse. Parce qu’il est biaisé dès l’instant qu’il installe de facto deux camps antagoniques. Mais j’ai lu goulûment la réflexion « Le Lamento des femmes » du percutant Paap Seen qui m’a donné envie de glisser quelques mots impertinents dans le débat.
Dans une pétition signée fin novembre, des intellectuelles féministes (excusez cette orthographie parce qu’il y a quatre hommes parmi les pétitionnaires mais je n’ose pas dire sous peine d’être accusé de misogynie que ces quatre masculins l’emportent sur les 27 féminines) s’insurgent contre ce qu’elles qualifient de réhabilitation médiatique de Cheikh Yérim Seck (CYS). Par la magie du tube cathodique, ce journaliste, condamné pour viol en 2012, plastronne avec morgue devant les téléspectateurs sans aucun respect de ces hommes et femmes qui pensent mordicus que la place de l’ancien journaliste de Jeune Afrique, c’est l’échafaud et non les plateaux. Ont-elles raison ou non de s’ériger en gardiennes de l’orthodoxie et l’axiologie ? La question ne se pose pas à ce niveau.
Le 26 septembre dernier est la date symbolique du naufrage du ferry le Joola. Mais dans l’histoire, elle symbolise en même temps le naufrage d’un confrère condamné pour viol et que les Sénégalais portaient au pinacle grâce à son travail remarquable et intrépide dans le monde de la presse. L’affaire CYS illustrait à souhait le caractère illusoire et fugitif des situations acquises, la fragilité de toute chose, la périssabilité de toute œuvre humaine. La Roche Tarpéienne n’est pas loin du Capitole. En un jour, le monde de CYS s’est effondré à cause de ses débridements sexuels. Après une longue hibernation, CYS est de retour dans son monde, celui des médias qu’il avait déserté par la force des choses. Et il faut le dire avec honnêteté, ses analyses politiques même contestables souvent élèvent le niveau du débat public infesté par un essaim de pseudo-politologues. Après ses condamnations populaire et judiciaire, j’avais évité en écrivant sur le sujet de tomber dans le réflexe pro ou anti-confraternel qui consistait à vouloir blanchir ou noircir un confrère empêtré dans l’écheveau des libertinages et des permissivités. Ce même sentiment m’anime quand il s’agit aujourd’hui de la deuxième mi-temps du procès avec cette insurrection femelle contre toute réhabilitation médiatique de CYS.
Au sein de l’opinion sénégalaise, une telle sentence n’avait fait que soulever les passions et exhumer le débat contradictoire sur la culpabilité ou l’innocence de CYS depuis le jour de sa coucherie avec ATD à l’auberge Keur Madamel. Dès lors, les deux camps qui s’étaient dessinés en pro-Yérim et anti-pétitionnaires ou anti-Yérim et pro-Aïssata se tiraient la bourre pour faire valoir leurs arguments. Cette même dualité refait surface cette fois-ci entre pro-Yérim et anti-pétitionnaires et vice-versa. Certains qui disent que CYS a purgé sa peine a droit à une réinsertion sociale parce qu’il ne peut pas continuer à faire les frais de ce délit sexuel six ans après son élargissement. Mais il inadmissible que certains intellectuels, connus pour la profondeur de leurs idées dans bien des problématiques, à travers les fora des réseaux sociaux, subodorent ou disent ouvertement que la victime du nouveau chroniqueur de Jakaarlo a favorisé les conditions incitatives à son viol en acceptant d’être seule dans un endroit avec un homme et de flirter avec lui sans prendre certaines mesures précautionneuses.
Stop au « slut-shaming » !
Mais il faut savoir que les flirts et les caresses, mêmes s’ils constituent des préliminaires ne peuvent en rien justifier une pénétration non-consentante. Ce genre de faux-fuyant déculpabilisant l’agresseur et culpabilisant la pauvre victime est révulsant, choquant, voire déshumanisant à l’endroit du « sexe faible » (expression que je n’aime pas parce que sexiste ou désobligeant). En réalité, au vu de l’afflux quotidien des agressions et meurtres sexuels, on peut inférer de ce que le sexe masculin est celui-là qui est sous la coupe de ses pulsions libidinales, qui perd son self-contrôl devant la créature féminine et qui essaie de lui arracher le fruit interdit.
Le fait que, dans les réseaux sociaux et autres webfora, la victime (ATD) et le violeur (CYS) soient mis au même banc des accusés parce qu’ils ont partagé le lit ensemble avant que la fête ne soit gâchée par un(e) viol(ation) de domicile devient un outil dangereux pour perpétuer les stéréotypes sexistes visant à blâmer la victime ou à lui faire porter une bonne partie des responsabilités dans le « sexual assault » qu’elle a subi. Le fait d’incriminer le port vestimentaire d’une victime de viol est purement abominable et détourne le problème de son vrai jugement : le viol est un crime sexiste de pouvoir et de domination virile.
Quand sur le plateau de Jakaarlo de la TFM, le professeur de philo Songué Diouf avait lâché que les tenues sexy des filles sont provocatrices de viol, j’avais dénoncé cet imprimatur au viol et estimé qu’aucune de ses explications laborieuses ne saurait prospérer et être avalisée au point de pousser le mâle à l’acte bestial du viol. Cette thèse vile et débile servie la plupart par la gent masculine pour justifier ou légitimer le viol constitue profondément une négation ontologique de la femme. Les hommes ne sont pas plus régis que les femmes par des pulsions sexuelles irrépressibles. Le viol n’a rien à voir avec un soi-disant incontrôlable désir. Il est une humiliation, une appropriation, une domination des hommes sur le corps et le sexe féminin. Tout acte sexuel commis sous la contrainte déshumanise la femme en niant sa volonté et méprisant son consentement. « Pourquoi, comme disait quelqu’un, inversement dans les cas de viol, les femmes ne se jettent-elles sur les hommes en tenue provocatrice pour les « violer » ? » Il faut dire non au « slut-shaming » qui se propage dans les médias de masse et réseaux sociaux et il ne faut pas qu’ils soient des espaces de légitimation de potentiels attentats sexuels.
L’effet boomerang
Maintenant, pourquoi les féministes pétitionnaires ont attendu six ans après pour tenter de barrer la route à ce qu’elles appellent le process de la réhabilitation si l’on sait que depuis son élargissement, CYS n’a jamais quitté les plateaux. La première institution lui a fait même l’honneur de l’inviter au palais de la République avec d’autres confrères au soir du 31 décembre 2019. Alors pourquoi les féministes, cerbères des mœurs, pontifes moralisateurs, ne se sont-elles pas indignées depuis les premières réapparitions de CYS dans les médias mainstream ou sociaux ? Combien sont-elles ces victimes d’agression sexuelle qui se réveillent quotidiennement dans la même maison que leurs violeurs avec qui elles partagent le repas quotidien ou se mettent à leur service domestique sans pourtant avoir la liberté ou le courage de dénoncer le crime de leurs tortionnaires très souvent intimidants ? Ces femmes qui souffrent sempiternellement le martyre de leur chair martyrisée, mortifiée et qui souffrent encore de l’omerta imposée ou de l’autocensure ont besoin d’une main tendue pour sortir du gouffre de souffrance dans lequel elles geignent. Si les pétitionnaires dénient à CYS toute apparition médiatique, alors qu’elles le fassent pour les filles et femmes du juge Babacar Sèye dont l’assassin amnistié de leur père ou époux se transbahute de plateau en plateau ? Il faut éviter les indignations sélectives.
Si l’apparition de CYS, à travers les médias, rouvre systématiquement la blessure encore mal guérie de sa victime et la plonge dans un psycho-traumatisme abyssal, chaque fois que les féministes pétitionnent contre le violeur d’ATD, c’est encore une braise de plus dans le feu qui consume la victime. C’est dire que les pétitionnaires et CYS sont quasiment logés à la même enseigne.
Lorsque le vendredi 28 février 2020, le César de la meilleure réalisation cinématographique a été attribué à Roman Polanski pour son film « J’accuse », des groupes de féministes furieuses ont soulevé une bronca pour s’indigner de cette distinction de la « honte ». Sa victime, Samantha Gailey, que le cinéaste a violée en 1977 à l’âge de 13 ans a pardonné à son agresseur tout en demandant à ses défenseurs de tourner la page et de cesser de la jeter en pâture en déterrant à chaque occurrence cette affaire réglée par la justice américaine même si cette dernière a ouvert à nouveau ledit dossier.
Si l’on s’est remémoré l’affaire Polanski dont la victime aujourd’hui se retourne contre ses « défenseurs », c’est pour dire que la pétition des féministes dans l’affaire CYS risque de se retourner contre elles. En installant leur tribunal de lynchage pour rejuger publiquement une affaire qui a connu une fin judiciaire, elles risquent simplement de rallumer un feu éteint.