La mort de Soumayila Cissé ce vendredi 25 décembre a plongé le Mali et ses amis dans la consternation. Après avoir échappé à six mois de captivité au cours desquels le pire était souvent annoncé voilà que le destin nous l’arrache au moment ou un avenir prometteur se profilait pour lui à l’horizon.
Décret divin !
L‘épreuve subie aux mains de ses ravisseurs a tenu en haleine l’opinion et révélé le leader politique malien dans sa dimension publique. Les témoignages sont nombreux de ses compagnons et concitoyens de l’apport de l’homme politique au parcours de son pays dont il a incarné une partie importante de l’opinion. L’intensité et la longueur de mon propre cheminement avec Soumayila m’autorisent, voire me font un devoir de témoignage particulier.
Je me souviens de ce jour de mai 1969, au plus fort de la crise scolaire et universitaire partie de la grève des élèves de l’École Nationale des Cadres Ruraux de Bambey (Sénégal). Une résolution du Conseil des étudiants avait recommandé la veille au président de l’Union des Étudiants de Dakar (UED), Mamadou Yatasaye, et au président de l’Union Démocratique des Étudiants Sénégalais (UDES) moi-même, d’engager des concertations avec les Unions Nationales d’étudiants sur les perspectives de la grève à l’Université de Dakar.
La rencontre avec l’Association des Étudiants et Scolaires Maliens à Dakar (AESMD) s’est tenue dans la salle de Conférences du rez-de-chaussée du pavillon A de la cité universitaire. Après la réunion, Cheik Mouctary Diarra, alors figure emblématique du mouvement étudiant malien et africain de Dakar s’adresse à moi : “ Batch, je te présente un jeune frère Soumayila Cissé étudiant en Faculté des Sciences …” Et d’ajouter sur un ton plus taquin : « il cherche à cultiver un champ à côté du mien ! » Façon de dire que Soumayila s’intéressait déjà à Astan la petite sœur de son épouse Diara Traoré (décédée en 2007). Le vieux Dosolo Traoré, le père des deux sœurs, était un notable éminent de la communauté malienne à Dakar.
Comme on se rappelle, la grève de l’année 68-69 s’est soldée par une « année blanche » qui avait contraint beaucoup d’étudiants non sénégalais à quitter l’Université de Dakar. Soumayila Cissé fut de ceux-là. Il poursuivit ses études de Sciences en France. A son retour commence pour lui une carrière professionnelle et politique riche en réalisations et péripéties jusqu’à ce triste vendredi 25 Décembre 2020. Ses relations familiales avec Cheik Mouctary, mon camarade, ami et « jumeau » m’ont donné l’occasion de suivre sans interruption l’ascension de notre jeune beau-frère.
J’ai ainsi côtoyé Soumayila dans toutes les étapes de son brillant parcours. D’abord à la Compagnie Malienne pour le Développement du Textile dans l’équipe de notre regretté camarade Boubacar Sada Sy dont les initiatives avaient contribué à hisser le Mali au rang de premier producteur de coton de l’Afrique de l’Ouest. Soumayila s’est aussi signalé dans les rangs du Mouvement Démocratique qui a renversé le régime militaire du général Moussa Traoré le 26 Mars 1991.
Alors avec le régime du parti ADEMA sous la direction du président Alpha Oumar Konaré se sont succédé pour lui des responsabilités dans la gestion de l’état, à la présidence, au gouvernement, puis la crise et la formation du parti URD, la présidence de l’UEMOA, le leadership de l’opposition…
Il y a quelques semaines (en octobre 2020) lors de son passage à Dakar, après sa libération, nous évoquions avec nostalgie comme par prémonition funeste, maints souvenirs d’événements vécus ensemble à Dakar, Ouagadougou et bien sûr à Bamako.
Et mon interlocuteur de se laisser aller à des confidences sur le ton de résolutions positives pour l’avenir du Mali et de l’Afrique au-delà de la crise sécuritaire, politique et de la pandémie. Jusqu’au bout il aura exprimé sa foi en l’unité de l’Afrique que lui a légué son père Bocar Cissé, écrivain de l’histoire des pays du Sahel, cet « instituteur des sables » condisciples et ami, à l’école normale William Ponty, du Professeur Assane Seck du Sénégal, Mamoudou Samboly Ba, ancien président de l’Assemblée nationale de Mauritanie et Boubacar Keita, père du président IBK. Rétrospectivement ses propos ultimes résonnent encore à mes oreilles comme les accents d’un testament.
La disparition de Soumayila Cissé laissera un vide immense chez plus d’un au Mali, dans la diaspora malienne et parmi ses nombreux amis en Afrique et ailleurs.
Pour ma part, je perds un jeune frère affectueux et un compagnon témoin d’un long cheminement, une figure inspirante, sympathique, inoubliable.
Je présente mes condoléances à son épouse Astan, à leurs enfants que j’ai vu naître et grandir, à toute sa famille, ses amis, aux militants et sympathisants de l’URD, au camarade Younoussi Touré, ancien premier ministre du Mali, au président, au gouvernement et au peuple malien.
Soumi, repose en paix en cette terre du Mali que tu as servie avec amour et passion !