L’affaire est passée quelque peu inaperçue dans le tourbillon des élections contestées de l’année 2020 en Afrique francophone. L’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz est visé par une enquête préliminaire pour des faits supposés de corruption. Une commission d’enquête parlementaire a révélé, fin juillet 2020, de nombreuses irrégularités liées à la passation d’une série de marchés publics sous sa présidence. Le principal intéressé a été placé en garde en vue du 17 au 24 août, avant d’être auditionné à plusieurs reprises. Plusieurs médias locaux et internationaux rapportent que son passeport lui a été retiré, et ses comptes bancaires gelés.
L’affaire est intéressante à double titre : d’abord, ce n’est pas tous les jours qu’un ancien président se retrouve malmené par la justice de son pays. Dans une partie du continent où les chefs d’État se considèrent comme des monarques de droit divin, ce développement ouvre des perspectives. Ensuite, et surtout, Mohamed Ould Abdelaziz excipe d’une immunité supposée absolue que lui conférerait l’article 93 de la Constitution mauritanienne pour éviter de répondre aux questions des enquêteurs, ses avocats faisant en outre valoir que, de toute façon, seule la Haute Cour de justice (HCJ), juridiction spéciale prévue par la Constitution, est habilitée à juger l’ancien chef de l’État.
Les avocats de l’État mauritanien contestent le principe de l’immunité absolue accordée au président de la République, précisant que cette immunité protège le chef de l’État uniquement dans l’exercice de ses fonctions. Par ailleurs, si la HCJ n’était pas encore sur pied au début de cette affaire, la nouvelle session parlementaire qui s’est ouverte au début de janvier en Mauritanie a voté la loi sur la constitution de cette cour, désarmant ainsi en partie la défense d’Ould Abdelaziz.
Le débat juridique est aussi inévitable que nécessaire dans cette affaire. Mais il nous éloigne des enjeux politiques de fond. Les régimes politiques d’Afrique francophone sont inspirés du présidentialisme robuste qui a cours en France. Ce n’est en rien une surprise quand on se rappelle que nombre de nos Constitutions ont initialement été rédigées par des « experts » français. L’esprit monarchique qui habite l’institution de la présidence en France imprègne donc aussi l’architecture présidentielle des anciennes colonies françaises. Nous étions censés avoir, nous aussi, un « monarque républicain ». Mais, en l’absence de « Républiques » dignes de ce nom, nous avons hérité de rois thaumaturges.