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La Douleur Des Derniers Morts

Je finissais la lecture du dernier livre de Felwine Sarr, La saveur des derniers mètres, quand mon téléphone sonna. La nouvelle. La même. Depuis un an, nos journées sont rythmées par la même sonorité macabre, et se rejoue le similaire rituel morbide. Un coup de fil. Une dépêche. Untel vient de se soustraire à notre affection pour rejoindre les ancêtres. Et toujours ces cinq lettres fatales : Covid pour maintenir vive la douleur des derniers morts. Le destin égrène le chapelet des vies emportées par cette sale maladie. Un an que cette horreur venue d’ailleurs lointains s’est invitée à notre quotidien, semant tristesse et incompréhension. Le coronavirus est passé d’événement brusque à réalité avec laquelle nous cohabitons. A la peur succède l’effroi et un insoutenable sentiment d’impuissance. Que signifient finalement les mots distanciation, gel, masque, test, si tous les jours la mort frappe à notre porte avec un être qui nargue nos gestes et nos évitements ? Il se joue, avec la même malice, des solennelles prises de parole des dirigeants qui aiment parer leur néant discursif de lourdeurs verbales relatives à la martialité.

Le texte de Felwine, itinéraire d’un visiteur de mondes, de Mexico à Istanbul, s’achève à Niodior, dans une conversation avec le «Vieux colonel» parti se lover dans les bras de l’Eternité. C’est de la mélancolie de cette fin que m’extirpe mon interlocuteur, porteur de la mauvaise nouvelle. Un oncle proche vient de rejoindre le «Pays sans fin».  Depuis des mois, le bilan du Covid-19 ne sonne plus comme un chiffre vague, une statistique donnée à 10h chaque matin. C’est une vie, une part de moi qui disparaît et laisse la place à un mélange étrange de sentiments. L’injustice, au fond, c’est cela qui s’impose en premier ; cette injustice de voir les nôtres disparaître parce qu’un imprudent quelque part, dans une ville lointaine, a consommé un pangolin. Puis arrive l’effroi qui nous rappelle que ce ne sont plus seulement les autres, les morts annoncées par les médias ailleurs, ni celles de gens dont on connaît vaguement la famille. Il s’agit à présent des nôtres qu’aucun privilège après tout ne devrait préserver. Nous sommes ici égaux devant l’implacable.

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Dans son récit, Felwine parle de la tante Diayi Sali qui attend la mort dans le stoïcisme et la dignité des femmes de ce pays. Comme l’auteur, j’interroge cette conscience de ne plus revoir une personne, de la voir s’effacer à notre affection pour rejoindre le Pays réel, cet ailleurs qui prend le relais quand l’illusion du temps présent s’achève.

Cette pandémie est une usure morale avec l’injonction à la fermeture qui, depuis un an, nous a séparés de nos proches et de la vie tout simplement. Mais le pire est de devoir constater la perte de ceux qu’on aime sans leur offrir une dernière présence, sans leur témoigner une ultime affection. Parfois, c’est un article de presse qui nous informe du décès d’un ami, nous extirpant à la saveur âcre des dernières douleurs. Il faut souffrir de la douleur de l’absence et purger son âme derrière chaque mort, car il s’agit de la nôtre qu’on entrevoit, nous rappelant notre insignifiance devant l’Eternel. C’est aussi pour refuser la fin de l’homme, cette fin aussi ridicule que subite, emportée par un virus aussi diffus qu’invisible, que je demeure croyant. Je crois pour me convaincre de prochaines agapes ailleurs, sous la bénédiction de l’Eternité et la compagnie agréable des ancêtres. Comme le poète, je crois aux forces de l’Esprit. 

Au fond, depuis un an, nous nous battons contre la mort au nom de la vie flamboyante et source de possibles. Les mesures barrières, la pause mondiale et le télétravail ne sont que des outils pour préserver la vie ; d’où sa sacralité. Malgré tout, nous perdrons. Telle est la fatalité de l’existence. Dans cet entre-deux, est nécessaire cet esprit de conquête que Felwine emprunte à l’écrivain haïtien Dany Laferrière. Cet esprit qui se veut une photographie des lieux et des émotions de l’époque pour défier le moment sinistre, témoigner pour les générations futures, mais surtout soigner nos déchirures. C’est une époque propice aussi au kintsugi, art japonais de la réparation et de la résilience, parce que les conséquences de cette pandémie violent l’intégrité de nos âmes.

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Dans ce récit de voyage ponctué de villes, de rêves, d’amitiés, d’amours, de livres et de musiques, Felwine nous invite à dépasser la douleur des derniers morts pour louer la vie et célébrer l’amour au temps du corona.







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