Le mercredi 23 Décembre 2020, j’ai eu l’honneur et le plus grand plaisir d’avoir été l’invité de la chaine THIES-TV autour du thème : la maltraitance des enfants. Cette opportunité m’a inspiré cet article que je voudrais moins psychopédagogique que purement éducatif voire familial.
Au demeurant je souhaiterais que son audience dépasse largement le cadre scolaire pour intégrer l’ensemble de la société sénégalaise. Donc Etat collectivités locales, enseignants, chercheurs maitres coraniques et parents, je m’adresse à vous. On a coutume d’entendre que le « moi est haïssable » soit toutefois, il l’est moins pour l’enseignant. Voilà un personnage qui adore évoqué des souvenirs de son parcours. Voilà pourquoi cet article va démarrer par une anecdote.
En Octobre 1978, je prenais service pour la première fois à Mboudaye Sérère après une année de formation pédagogique au centre de formation pédagogique (CFP) de Thiès. Ce premier poste se situe dans le département de Kaolack, dans l’arrondissement de Ndiedieng, localité à l’époque assez déshéritée et enclavée. Un matin du mois de juin je quittais mon poste pour me rendre à Ndiedieng, quand à travers les chemins broussailleux, j’aperçus un grand troupeau de mouton. Mon attention fut attirée par les soins attentifs que le berger donnait à l’une de ses bêtes. Celle-ci était couchée et son maitre, tout en la caressant et en lui parlant doucement, lui faisait un pansement à la pâte. Je m’approchai, intrigué, et demandai ce qui s’était passé.
Le berger parut d’abord visiblement ennuyé de répondre puis, mis en confiance par mon attitude amicale m’expliqua : Ce mouton a toutes les qualités d’un merveilleux conducteur. Lorsqu’il était en bon état il prenait la tête du troupeau et savait se faire obéir et se faire suivre. Malheureusement, il était si sûr de lui qu’il ne prêtait aucune attention aux ordres que je les donnais et conduisait le troupeau selon sa fantaisie. Mes essais pour lui substituer un autre chef plus docile furent infructueux car il battait et repoussait énergiquement celui qui faisait mine de prendre sa place.
La situation du troupeau devenait critique. Je fus donc obligé d’avoir recours à un moyen assez douloureux. Ici le berger s’arrêta en proie à l’émotion. -Qu’avez-vous fait ?lui demandai-je. – C’est bien simple. Mais très pénible. J’ai de mes propres mains cassé sa patte d’un coup sec. Je crois, poursuivait-il, que cela m’a fait plus de mal encore qu’à lui, mais c’était un traitement nécessaire. Dès ce moment, le mouton blessé dépendait entièrement de moi. Je le portais sur les épaules chaque matin au pâturage etle soir, je le ramenais de même. Le mouton ne pouvait pas brouter lui-même, voici un mois qu’il prend sa nourriture dans ma main. Ces soins constants ont établi entre lui et moi des liens que je pense qualifier d’affectueux, presque de tendres. Il sait maintenant qu’après l’avoir blessé j’ai tout fait pour atténuer sa douleur.
Nombreux sont les parents, enseignants, maitres coraniques et que sais-je encore qui ont vécu ces moments douloureux. Je pense que tous ceux-là qui lisent ceci éviteront désormais en tous points l’exemple du berger. Mais faut-il infliger des châtiments corporels ? Je ne suis ni de l’ancienne école, qui en abusait, ni de la nouvelle qui ne les emploie plus tout. « Les châtiments corporels sont formellement interdits » mentionne le décret 79-1165 du 20-12- 1979. C’est connu. Cependant dix ans de pratique et d’expérience dans les classes et vingt-huit ans dans le corps de contrôle ont achevé de me convaincre que les enseignants en usent toujours. « Gouné Xamul Yalla Waye Xame na Yar » nous dit l’adage. C’est dire qu’il y a des cas extrêmes où le châtiment corporel devient le seul moyen efficace. Mais plus que tout autre, il doit être infligé calmement. Il faut que l’enfant comprenne que la volonté des parents passe avant la sienne et alors ceux-ci n’auront pas à user souvent de ce châtiment. Il est vrai qu’au cours de ma carrière, j’ai essayé à maintes reprises de combattre le zèle exagéré et la rudesse de certains parents. Cela ne m’empêche pas d’être parmi le petit nombre d’éducateurs qui croient qu’une correction physique, appliquée calmement mais d’une manière décidée et dans l’intention bien précise de faire comprendre que papa et maman, le maitre et le « serigne dara » auront toujours le dernier mot, peut rendre les plus grands services.
Les générations du siècle dernier et même plus récemment ont connu largement fessées, claques, coups de bâton et cravache. Si, de nos jours de tels traitements se sont singulièrement atténués il semble bien que la gifle à toute volée soit restée en honneur dans bien des familles, ce qui ne signifie pas pour autant que les enfants d’aujourd’hui soient plus raisonnables et plus sages que ceux d’autrefois. Quand j’étais instituteur, j’ai toujours enseigné et mes conseils aux parents se sont constamment inspirés de cet enseignement, que dans certaines circonstances on est bien obligé d’avoir recours à un châtiment corporel lorsque tout autre moyen de remettre l’enfant dans le bon chemin a complètement échoué.
Si les psycho-pédagogues d’aujourd’hui en viennent à condamner de telles corrections, ce n’est pas exactement parce que la science en aurait décelé la nocivité mais c’est parce que les gens qui les appliquent aujourd’hui ne ressemblent plus à ceux qui s’en servaient autrefois. Il y a cent ans, les pères de famille châtiaient rudement, mais ils le faisaient avec calme, dignité, à bon escient, pour le bien de l’enfant et non pour leur tranquillité personnelle, voir Samba Diallo dans l’Aventure Ambiguë de Cheikh Amidou Kane : « verges, bûches, en flammées… »
Ainsi, l’enfant pouvait comprendre qu’on avait en vue son éducation, son succès dans la vie et la douleur cuisante qu’il éprouvait sur le moment était atténuée par le bénéfice qu’il en tirerait plus tard.
Comme disent les wolofs : « bala ni nux nux ni war war.» De nos jours il en va tout autrement. Les parents fatigués, inquiets, énervés, s’irritent devant une résistance ou un insuccès et déchargent par les moyens les plus rapides le trop plein de leur indignation. Cette attitude fait beaucoup plus de mal que de bien et c’est une des raisons principales pour lesquelles les châtiments corporels sont suivis de si peu de bon effet.
Appliqués d’une manière excessive inconsidérée à un moment ou dans des circonstances qui ne conviennent pas, ils infligent une terrible blessure d’amour propre ou un choc émotif qui risque de donner lieu à d’amères conséquences : irritation, résistance ouverte ou alors ruse, duplicité, fourberie.
En terme les leçons apprises et comme viatique de mon expérience professionnelle je proscris sans réserve cette manière de faire qui offre tous les éléments de la maltraitance que personnellement, je condamne avec la dernière énergie. Je veux bien qu’on corrige un enfant même sévèrement s’il y a lieu, mais je m’oppose à ce qu’on le maltraite.
Yakhaya DIOUF
Inspecteur de l’enseignement élémentaire à la retraite