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Un Fonctionnaire Révoqué Doit-il Pouvoir Prétendre à La Magistrature Suprême ?

Le tollé soulevé ces derniers jours sur ce qu’il convient d’appeler l’affaire Ousmane Sonko-Adji Sarr, et qui pose un problème profond d’éthique et de morale, m’a amené à réfléchir sur une autre problématique antérieure, dont je n’ai pas souvenance qu’un acteur politique, de la société civile ou tout simplement un citoyen lambda, ait posée sur la table pour susciter le débat. Cette problématique concerne tous les hommes politiques qui aspirent à accéder à des mandats électifs, particulièrement à la Magistrature suprême. Peut-on être révoqué de la fonction publique pour manquement à l’obligation de devoir de réserve professionnelle (obligation de discrétion professionnelle et obligation de secret professionnel) et revenir, par le moyen de la politique, pour être le patron de cette même fonction publique ? Peut-on être licencié d’une entreprise pour faute lourde et revenir par la voie d’appel à candidatures à être Directeur général de cette même entreprise ?

L’une des premières qualités que l’on attend d’un président de la République, pour ne pas dire d’un haut fonctionnaire, c’est le devoir de réserve professionnelle à tout égard. Voilà une posture où l’on est au cœur de toutes sortes d’informations aussi sensibles les unes que les autres, qui engagent la vie, la sécurité et à la cohésion de la Nation. Certaines informations, si elles venaient à être portées à l’attention du public, pourraient détruire complétement les fondamentaux de la Nation. D’autres nuiraient de manière irréversible à l’honorabilité de personnalités, prises pour de citoyens modèles, ou tout simplement de communautés entières, à cause des agissements de leurs membres influents. Si chaque citoyen, à partir de son poste de responsabilité, s’amusait à divulguer ce qu’il détient comme information, personne ne mettrait plus le nez dehors au risque d’être la risée de tout le monde ; la sécurité publique serait même menacée, à cause de possibles règlements de compte. Imaginons un peu, si des personnalités comme feu Ousmane Tanor Dieng, Djibo Kâ, pour ne citer que celles-là, se mettaient, de leur vivant, à révéler ne serait-ce qu’une partie des informations auxquelles ils ont eu accès, de par les postes de responsabilité qu’ils occupaient ?

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Ce n’est donc pas pour rien que l’on parle d’Hommes d’Etat, c’est-à-dire de personnes capables de garder un secret jusqu’à leur tombe.

Arrêtons-nous un peu sur ce concept pour mieux étayer notre argumentaire ! Le secret d’Etat est défini comme «une information tenue confidentielle et non divulguée au grand public au motif d’assurer la sécurité ou les intérêts stratégiques d’un Etat ou d’un gouvernement, dans quelques domaines que ce soit : militaire, économique, scientifique, politique…» (source : www.wikipedia.org). Par exemple, les actions discrètes, menées par les services secrets, relèvent systématiquement du secret d’Etat.

Or le président de la République et le gouvernement qui l’assiste sont dépositaires de tellement de secrets qu’il serait hasardeux de confier de telles charges à quelqu’un qui ne sait tenir sa langue. N’oublions pas que nous accédons à certaines informations du fait de notre position stratégique dans l’appareil d’Etat ou dans l’entreprise ! Ce n’est pour rien que l’on parle de devoir de réserve professionnelle, qui se décline à travers ses deux composantes que sont l’obligation de discrétion professionnelle et l’obligation de secret professionnel, qui constituent en quelque sorte les garants de la stabilité de nos structures, de notre société.

Paul Valery disait que «le secret d’Etat est inévitable dans une démocratie moderne». Une affirmation que corrobore Sébastien-Yves Laurent politologue, Professeur à la Faculté de droit et de science politique de l’Université de Bordeaux, spécialisé dans les questions du renseignement, qui soutient qu’«il ne peut y avoir de vie démocratique sans secret de l’Etat». Bref, chez nous, l’adage dit bien que «toute vérité n’est pas bonne à dire» ou, sous une autre forme, «un mensonge qui répare vaut mieux qu’une vérité qui détruit».

D’aucuns diraient : et les secrets ou combines politiques que certains hauts fonctionnaires véreux tentent de maquiller en secret d’Etat ? Comprenons-nous bien ! Nous ne sommes pas contre les lanceurs d’alertes qui extirpent ces «secrets» de l’Etat, au contraire. Ils jouent un rôle fondamental pour nous permettre de garder certains équilibres dans nos sociétés, empêcher certains dirigeants d’aller au-delà de ce qui est moralement permis, etc.

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Il faut en effet distinguer le secret politique, qui s’inscrit dans le temps court des décideurs politiques et de leurs intérêts temporaires, du secret d’Etat qui est une sorte de protection de la vie démocratique.

Il faut le reconnaître, ce ne sont pas toutes les informations confidentielles qui sont des secrets d’Etat ; il est des moments où certaines pratiques malsaines, sorties de l’imaginaire de hauts responsables indélicats et qui ne vont pas dans le sens de l’intérêt de la Nation, doivent être portées à la connaissance de l’opinion publique pour y mettre fin. Seulement, la personne ou les personnes qui en ont accès parce qu’étant à des positions leur permettant de le savoir, et qui décident de les divulguer, ont deux choix : le faire de manière découverte, au risque de compromettre leur(s) carrière(s) ou le faire de façon anonyme ou par l’intermédiaire d’un tiers qui, lui, prend le risque d’en subir toutes les conséquences, avec comme seule récompense le service rendu à la Nation.

Préserver les deniers publics et la protection des intérêts essentiels

Dans le cadre des marchés publics, tout soumissionnaire obéit à l’exigence de déposer un quitus fiscal, délivré par l’Administration fiscale. Ce quitus justifie que le soumissionnaire est un contribuable à jour de ses obligations déclaratives et de ses paiements d’impôts et taxes et, qu’à ce titre, cette situation lui confère le droit de pouvoir prétendre être titulaire d’un marché public puisqu’il s’agit de disposer des deniers publics.

Nous nous retrouvons dans le même registre, concernant l’élection présidentielle. En effet, tout candidat à la candidature a l’exigence de déposer au Conseil constitutionnel une déclaration sur l’honneur d’être en règle vis-à-vis de l’Administration fiscale. Car il ne saurait être question de se retrouver probablement président de la République tout en étant en contentieux fiscal avéré avec l’Etat qui se retrouverait dans une situation de conflit d’intérêt inopportun.

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En définitive, toutes ces précautions s’inscrivent dans la perspective de préservation des deniers publics et de la protection des intérêts essentiels d’un Etat, pour ne citer entre autres le devoir de réserve professionnelle, décliné plus haut.

Eu égard de ce qui précède, nous estimons que des fonctionnaires de l’Etat ou des agents du secteur privé, révoqués ou licenciés par leurs employeurs pour faute lourde, ne devraient en aucun cas être admis pour prétendre à la Magistrature suprême ou à des postes électifs (députation, sénateur, Haut conseil des collectivités territoriales, Conseil économique, social et environnemental, Conseil municipal, Conseil départemental).

Moralement et sur le plan éthique, une personne révoquée ou licenciée pour faute lourde est disqualifiée pour venir prétendre diriger ses concitoyens. Si par le pur des hasards, cette personne venait à être élue président de la République, elle serait devenue de facto le patron de la fonction publique d’où elle a été révoquée. Si par hasard elle a en face d’elle un agent de la fonction publique qui manque à l’obligation de réserve telle que décrit dans les deux cas de figure, elle serait la dernière personne à pouvoir évoquer son cas, encore moins cautionner une révocation contre ce fonctionnaire.

Pour des questions d’éthique et de morale et en considération de l’argumentaire développé supra, nous estimons que l’Assemblée nationale devrait se pencher sérieusement sur cette question, pour légiférer une bonne fois pour toutes sur la problématique, afin d’éviter la survenance de ce genre de situation dans la vie politique nationale. Il y va de la santé de notre démocratie.

Barthélémy SENE

Géographe

Communicant

geejseen@gmail.com

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