De Latif Guèye à Ousmane Sonko
L’affaire Abdou Latif Guèye a lieu dans la période 2002-2003. Il est accusé d’avoir, par son ONG ‘’L’Afrique Aide l’Afrique’’, vendu en Europe pour son compte personnel, et au prix plein, des médicaments antirétroviraux destinés à bas prix à des malades du sida de la sous-région. Latif Guèye avait alors dénoncé une cabale politicienne, montée de toutes pièces par des manipulateurs tapis au cœur du Palais de la République, les comploteurs du Palais.
Le magistrat Amadou Baal est chargé de l’instruction. Après avoir bien étudié le dossier et avoir entendu Latif Guèye, il conclut que s’il ne s’agit de dire que le Droit, il n’y a rien à lui reprocher.
Dans le même temps, Amadou Baal inculpe et fait écrouer un syndicaliste militant ou proche du PDS, accusé d’avoir été impliqué dans le meurtre d’un syndicaliste d’une autre centrale, brûlé vif. Wade n’est pas content. Baal est dessaisi du dossier confié à une magistrate qui inculpe Latif Guèye pour : ‘’abus de confiance’’, ‘’escroquerie’’, ‘’exportation illégale d’antirétroviraux’’, ‘’fraude douanière’’. Ouf ! Après 14 mois de détention et bien des rebondissements, la vérité finissant aussi par triompher, Latif Guèye est blanchi par la justice et réhabilité par Wade.
Par la suite, Amadou Baal s’est livré sur lui-même dans l’organe de presse en ligne ‘’Seneweb’’ : « je rendrai compte à Dieu pour tous mes actes. J’en suis tellement persuadé que je le vis. On ne peut pas être un bon juge, si on n’a pas une croyance très forte en certaines valeurs. »
Amadou Baal doit maintenant être proche d’une retraite paisible et méritée, en complète tranquillité avec sa conscience. Le comportement de ce magistrat qui a affiché courageusement et honnêtement son indépendance face au pouvoir exécutif méritait d’être rappelé et connu. Il a porté haut le flambeau de la magistrature. Ma satisfaction personnelle est de l’avoir compté parmi mes étudiants de la première année de Droit à la Faculté, une des années 1970, alors que j’avais en charge le cours d’Économie politique qui était dans leur programme. Puissent les magistrats qui ont en charge le dossier Ousmane Sonko s’inspirer de ce modèle !
C’est le Coran qui nous interpelle tous dans le dossier Sonko, avec le récit du prophète Youssouf -Joseph (PSL) à la sourate 12. Accusé de tentative de viol par une dignitaire de l’Egypte de l’époque, à la suite de multiples péripéties, il est lavé de tout soupçon. Et dans le dernier verset de la sourate, on peut lire : ces récits (de prophètes) sont un enseignement, une leçon pour tous les doués d’intelligence, de raison.
Dans le dossier Sonko, ce n’est que lorsqu’on refuse d’apprécier avec son intelligence, avec sa raison, qu’on refuse la thèse du complot politique qui, du début de l’affaire à ce jour, est plus visible que le fil blanc utilisé pour coudre sur un tissu noir. Certains proches de Macky n’interviennent plus dans cette affaire que pour le dédouaner, soutenir qu’il n’y est pour rien. Ce qui est une façon implicite de reconnaître la réalité du complot. Encore les comploteurs du Palais. Compte tenu des incohérences, contradictions et ‘’oublis’’ de l’accusatrice de viol, une justice d’instruction impartiale lui aurait prescrit un examen psychiatrique. Les seuls criminels sont ceux qui ont usé de la vulnérabilité sociale, et peut-être psychologique d’une gamine pour la manipuler.
Ceci étant, le Sénégal actuel est confronté à deux graves problèmes, l’un judiciaire, l’autre politique.
Si la justice était indépendante dans le pays, bien des rombières qui tournent autour du pouvoir seraient actuellement en prison. Sous le régime de Macky Sall, les lois de la République sont comme ces toiles d’araignées dont parlait Honoré de Balzac : elles n’arrêtent que les petites mouches pendant que les grosses mouches les transpercent allègrement. Ici, les petites mouches sont les opposants à Macky Sall. Les grosses mouches sont certains de ses partisans, délinquants avérés en cravate qui se vautrent dans l’impunité.
Un problème crucial à régler en Afrique (à l’exception de pays comme le Cap Vert, Maurice, Seychelles) et particulièrement au Sénégal est l’indépendance du système judiciaire. Les magistrats du parquet (procureurs et leurs substituts, avocats généraux) à la différence des magistrats du siège ont un statut de plus de dépendance à l’égard du pouvoir exécutif. Et ce sont eux qui interviennent plus dans les affaires à connotation politique. Au nom de la dignité, cela ne doit pas signifier inféodation. Le magistrat n’a -t-il pas fait le serment d’exercer ses fonctions en toute impartialité dans le respect de la Constitution, dans l’honneur et la dignité… de ne prendre aucune position publique ? Bien payé, à un certain grade deux à trois fois plus que le professeur d’université qui lui a appris le Droit, il ne risque que ‘’l’amovibilité’’, c’est-à-dire la possibilité d’être muté dans une juridiction inférieure hors de Dakar, par exemple d’être ‘’’déporté’’ du côté de Fongolembi (944 km de Dakar) pour ne plus avoir à s’occuper que des affaires de voleurs de moutons. Le Sénégal ne se réduit pas à Dakar. Ce petit intérêt personnel égoïste vaut-il la peine de prendre une décision qui embrase tout un pays ? C’est vraiment la souris (ou le moustique) qui accouche d’une montagne. Amadou Baal lui, s’était dressé face à Wade qui voyait en lui un ‘’magistrat récalcitrant’’.
Un autre organe du système est le Conseil constitutionnel qui tranche toujours en faveur du président de la République, avec parfois son lot de morts, comme cela est arrivé à Dakar à la veille de l’élection présidentielle de 2012, lorsque Wade voulait forcer un troisième mandat. Tout cela fait que les Sénégalais ne croient plus en une justice qui n’en est pas une, en dépit des slogans ‘’force restera à la loi’’ pour intimider, ‘’laisser la justice faire son travail’’ pour apaiser.
C’est le président de l’Union des magistrats du Sénégal Souleymane Téliko, qui dans un écrit du 16 août 2016, pour caractériser le système judiciaire du pays cite le philosophe français Blaise Pascal : « Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force. »
De l’incendie qui a embrasé le pays durant une semaine, l’étincelle est venue d’un seul point, le Palais de Justice de Dakar, avec le comportement politicien, partisan de certains magistrats. Pour éviter d’autres incendies, Macky Sall, en attendant de terminer ce second et dernier mandat, doit nous débarrasser de ce procureur ‘’de la République’’ et écouter les doléances de l’Union des magistrats du Sénégal pour une justice indépendante.
Ce n’est pas avec un remaniement ministériel (dans la pléthore), le retour du Premier ministre (qui ne sera qu’un porte-parole) et des promesses de financement (seront-elles tenues ?) qu’une paix durable régnera dans le pays.
L’autre gros problème, en toile de fond, est d’ordre politique. C’est en Ousmane Sonko, son alter ego, que cette jeunesse sénégalaise qui constitue la majorité de la population voit son avenir. Je puis dire en toute objectivité que Sonko, qui n’est pas de ma génération et que je n’ai jamais rencontré, était parmi les candidats à la présidentielle de 2019 le seul porteur d’un véritable programme de développement. Qu’on ne nous parle pas de ‘’Plan Sénégal émergent » !
Le Sénégal est dirigé depuis 1960 par les mêmes : le PS, le PDS et leurs démembrements AFP, APR, Rewmi, tous incompétents, incapables de développer le pays. Mais le label ‘’subitement devenus riches’’ sans avoir eu à faire œuvre de leurs dix doigts leur va à merveille. En 2000 et en 2012, il n’y a pas eu alternance, mais changement dans la continuité. Une situation ubuesque qui fait que des partis politiques battus à toutes les présidentielles sont toujours au pouvoir. Pour cette jeunesse sénégalaise qui manifestait, ces politiciens de métier doivent tout simplement partir à la retraite. Ce qui ne pourra se faire qu’avec des élections sans turpitude.
– Silmaxa du jiite yoon (un mal voyant ne peut pas être un guide de chemin).
– Ku mënul bayi wuloo lu yacu yowla (celui qui est incompétent et ne renonce pas est responsable de tout désastre).